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pauvre madonette a les deux bras cassés, accident que Notre-Dame d'Afrique n'a pas su réparer, elle pourtant qui reboute si bien les membres des autres, si l'on en croit la collection de bras, de fémurs et de tibias en plâtre et en métal qui tapissent les murs de l'étroite chapelle. On a dissimulé cette infirmité par deux bouquets de fleurs placés à ses côtés, et, afin de faciliter l'ascension aux pèlerins, on a commencé à pratiquer des marches qui montent du cimetière au sommet de la sainte montagne où la Reine du ciel a placé son trône.

>>-Mais le phénomène, le phénomène ? s'écrira le lecteur impatient.

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» Le quatrième dimanche de l'Avent, la petite madone placée en vedette dans le buisson a été vue, dit-on, portant entre ses bras cassés un exemplaire de la fameuse brochure intitulée LETTRE DE LA SAINTE VIERGE, trouvée dans la chapelle provisoire de Notre-Dame d'Afrique et adressée à Louis-Antoine-Augustin Pavy, évêque d'Alger, suivie des AVIS SALUTAIRES de la bienheureuse vierge Marie à ses dévots indiscrets, et publiés en 1673 avec l'approbation de l'évêque de Tournay et autres.

>> Voilà le phénomène ! On comprend qu'il mette bien des têtes à l'envers : « Comment, se disent les bonnes âmes à la foi naïve, ainsi que les appelle M. l'évêque d'Alger, comment la sainte Vierge a-t-elle pu se laisser mettre (dans les bras qu'elle n'a plus!) une brochure remplie, dit-on, de tant d'impiétés et d'outrages envers elle et envers Monseigneur, qui lui a voué tous les efforts et tous les labeurs de son épiscopat? (1) La sainte Vierge ne connaîtrait donc pas le contenu de cette brochure? elle ne saurait donc pas lire? elle serait donc ignorante, inintelligente, incapable de discerner le bien du mal, la vérité de l'erreur, le bon grain de

(1) Appel en faveur de Notre-Dame-d'Afrique, par M. Pavy, évêque d'Alger.

l'ivraie? Que deviennent alors toutes les louanges, toutes les litanies qu'on chante en son honneur? ou bien, si elle a réellement toutes les qualités, toutes les vertus qu'on lui attribue, il faut donc forcément en conclure que, loin de regarder la fameuse brochure comme un tissu d'absurdités et d'outrages envers elle et envers son divin Fils, elle la considère, au contraire, comme une œuvre saine et salutaire, digne d'être proposée par elle à ses dévots indiscrets! Mais alors M. l'évêque et tous ses acolytes qui l'accablent de leurs anathèmes et qui en défendent si sévèrement la lecture à leurs ouailles ne savent donc ce qu'ils disent? Ils sont donc en contradiction manifeste avec la reine du ciel, la corédemptrice du genre humain, l'inventrice de la grâce, la fille et l'épouse du Père céleste, la mère et l'épouse du Fils, et l'épouse aussi du Saint-Esprit (1), l'épouse de la sainte Trinité tout entière, totius Trinitatis triclinium (2).

>> Voilà les deux abîmes sur lesquels flottent suspendues les âmes « à la foi naïve,» sous la houlette de leurs pasteurs... On comprend qu'elles ne puissent guère paître tranquillement dans une pareille position, et il est grand temps que ces derniers les tirent de là s'ils ne veulent pas entendre la voix du souverain pasteur leur criant par la bouche de son prophète :

<< Malheur aux pasteurs d'Israël qui ne songent qu'à se » repaître eux-mêmes! etc. (Ezéchiel, ch. XXXIV), » Alger, le 25 décembre 1860.

Pour tous les articles non signés : L'abbé GUETTÉE.

(1) Voir le mandement de M. l'évêque d'Alger sur le culte de la sainte Vierge, et la Lettre de la sainte Vierge.

(2) Ancienne hymne du Rituel romain.

FARIS.- - IMPRIMERIE DE DUBUISSON ET ce, RUE COQ-HÉRON, B.

L'OBSERVATEUR

CATHOLIQUE

REVUE

DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET DES FAITS RELIGIEUX.

Omnia instaurare in Christo. Eph., I, 10.

DE LA PAPAUTÉ

D'APRÈS LE PAPE SAINT GRÉGOIRE LE GRAND.

(3o article.

- Voir les nos du 16 janvier et 1er février.)

Saint Grégoire, après avoir écrit à Jean, patriarche de Constantinople, pour le supplier de ne pas outrager plus longtemps l'épiscopat et l'Église, en s'attribuant le titre d'œcuménique ou universel; après avoir écrit à l'empereur Maurice, pour l'engager à réprimer l'orgueil et l'ambition du patriarche, saint Grégoire, disons-nous, s'adressa aux deux autres patriarches de l'Église, ceux d'Alexandrie et d'Antioche. Il leur envoya une lettre commune que nous allons traduire. Elle prouvera, comme les précédentes, que le pape saint Grégoire le Grand, qui ne mourut qu'au commencement du vir siècle, ignorait la papauté telle qu'on la présente aujourd'hui. Voici la lettre du grand pape (1): « Grégoire, à Euloge, évêque d'Alexandrie, et à Anastase, évêque d'Antioche :

Lorsque le Prédicateur par excellence disait : « Tout le

(1) Lettres de saint Grégoire, liv. V, Lettre 43°; Edition bénédictine.

» temps que je serai l'Apôtre des nations, j'honorerai mon » ministère (1) ; » lorsqu'il disait ailleurs : « Nous sommes » devenus comme des enfants au milieu de vous (2); » il nous donnait, à nous qui sommes venus après lui, l'exemple d'être en même temps humbles en esprit et fidèles à conserver en honneur la dignité de notre ordre; de manière que notre humilité ne soit pas de la timidité, que notre élévation ne soit pas de l'orgueil.

» Il y a huit ans, lorsque vivait encore notre prédécesseur Pélage, de sainte mémoire, notre confrère et coévêque Jean, prenant occasion d'une autre affaire, assembla un synode dans la ville de Constantinople, et s'efforça de prendre le titre d'universel; dès que mon prédécesseur en eut connaissance, il envoya des lettres par lesquelles, en vertu de l'autorité de l'apôtre saint Pierre, il cassa les actes de ce synode. >>

Les ultramontains ont étrangement abusé de ce passage en faveur de leur système. S'ils l'avaient comparé aux autres textes de saint Grégoire qui ont trait au même sujet et à l'ensemble de sa doctrine, ils se seraient convaincus de deux choses: 1o que saint Grégoire n'entendait ici que la primauté accordée à l'évêque de Rome par les conciles, à cause de la dignité de son siége, illustré par le martyre de saint Pierre, premier des apôtres; 2o qu'il ne s'agissait, dans le synode de Constantinople, que d'une affaire particulière concernant la discipline, et dans laquelle le prêtre inculpé avait eu recours à Rome, comme il le pouvait d'après les canons du concile de Sardique. L'évêque de Rome, Pélage, était donc juge en dernier ressort dans cette affaire; il l'était en vertu de la primauté accordée à son siége; cette primauté avait été accordée à son siège à cause de saint Pierre; le concile de Chalcédoine avait aussi, pour honorer saint Pierre, offert aux évêques de Rome le titre d'universels, comme

(1) Epitre de saint Paul aux Romains, XI, 13,

(2) 1re épître de saint Paul aux Thessaloniciens, II, 7.

nous l'apprend saint Grégoire. Mais il y a loin de là à une souveraineté de droit divin appartenant aux papes par succession de saint Pierre. Les ultramontains ont vu tout cela dans le texte ci-dessus de saint Grégoire; mais ils ont soigneusement évité, pour atteindre leur but, de citer les autres textes qui déterminent le sens de ce dernier, et nous font connaître la vraie doctrine du saint pape.

Les ultramontains ont toujours usé de ce procédé dans leurs citations empruntées, soit aux conciles, soit aux Pères de l'Église.

Continuons la lettre de saint Grégoire :

« J'ai eu soin d'adresser à Votre Sainteté des copies de ces lettres. Quant au diacre qui, selon l'usage, est attaché à la suite des Très Pieux Empereurs pour les affaires ecclésiastiques, Pélage lui défendit de communiquer, à la messe, avec notre susdit coévêque. Suivant les traces de mon prédécesseur, j'ai écrit à notre coévêque des lettres dont j'ai cru devoir envoyer des copies à Votre Béatitude. Notre principale intention était, dans une affaire qui, à cause de son orgueil, trouble l'Église jusqu'en ses entrailles, de rappeler l'esprit de notre frère à la modestie, afin que s'il ne voulait rien céder de la rigueur de son orgueil, nous pussions plus facilement, avec le secours de Dieu tout-puissant, traiter des moyens de le réprimer.

>> Comme Votre Sainteté, que je vénére d'une manière particulière, le sait, ce titre d'Universel a été offert par le saint concile de Chalcédoine à l'évêque du siége apostolique dont je suis le serviteur, par la grâce de Dieu. Mais aucun de mes prédécesseurs n'a voulu se servir de ce mot profane; parceque, en effet, si un patriarche est appelé Universel, on ôte aux autres le titre de patriarche. Loin, bien loin de toute âme chrétienne la volonté d'usurper quoi que ce soit qui puisse, tant soit peu, diminuer l'honneur de ses frères ! Lorsque, nous, nous refusons un honneur qui nous a été offert, réfléchissez combien il est ignominieux de le voir usurper violemment par un autre. »

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