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amèrement la ruine d'une existence aussi noble, aussi pleine, aussi dévouée aux intérêts de Dieu et du prochain, après une sérieuse délibération, nous avons décidé qu'il ne comparaîtrait pas, et nous lui avons imposé ce sacrifice, au nom d'une autorité devant laquelle sa volonté et son désespoir ont dû fléchir. En enfant d'obéissance, il a donc repris, le cœur brisé de douleur, le chemin de l'exil.

>> Nous serions désolés, monsieur, que la justice pût voir dans notre résolution quelque chose qui fût de nature à lui faire douter de notre respect pour ses droits et de notre confiance dans son impartialité.

» Vous comprendrez tout cela, monsieur, j'en suis certain; vous le ferez comprendre, et vous nous excuserez d'être forcés de renoncer à votre dévoûment, et vous voudrez bien agréer nos sincères remercîments du zèle empressé et vraiment chrétien par vous apporté dans cette affaire. Nous ne vous oublierons pas dans nos prières.

» J'ai l'honneur, etc.

» Père LAURENT, >> Provincial des frères capucins. » Le Siècle fait suivre cette lettre de quelques réflexions qui méritent d'être citées :

« Le Père Laurent a dirigé une instruction; il en est résulté que le Père Archange était complétement innocent de tout fait volontaire. Malgré des faits extérieurs si caractérisés en apparence, il ne courait donc aucune espèce de danger en se soumettant aux lois; mais, en eût-il couru, est-ce qu'un citoyen doit s'arrêter à de pareilles considérations, quand il est régulièrement cité devant la justice de son pays?

>> Quoi! du moment qu'un voleur craint de compromettre un recéleur, du moment qu'un assassin appréhende dêtre forcé de dénoncer un complice, ou même du moment qu'un prévenu n'est pas entièrement isolé, qu'il a derrière lui des parties intéressées, des parents, des amis, il lui est accordé une indulgence pour ne pas comparaître ! Il se sauve et il est sauvé!

» Eh bien! il eût mieux valu qu'il se présentât et qu'il fût condamné : on aurait dégagé la responsabilité de l'ordre, on aurait crié à la calomnie. De la part des capucins, l'escamotage du Père Archange est plus qu'un délit, c'est une faute. » Pour tous les articles non signés :

L'abbé GUEttée.

PARIS. · IMPRIMERIE DE DUBUISSON ET ce, RUE COQ-HÉRON, 5.

L'OBSERVATEUR

CATHOLIQUE

REVUE

DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET DES FAITS RELIGIEUX.

Omnia instaurare in Christo. Eph., I, 10.

DE LA PAPAUTÉ

D'APRÈS LE PAPE SAINT GRÉGOIRE LE GRAND.

(5 article. Voir les nos du 16 janvier, 1er février, 1er mars, 1er et 16 avril.)

D'après ce que nous avons exposé sur la doctrine de saint Grégoire touchant la chaire de saint Pierre, on comprend sans peine qu'on ne peut pas donner, de bonne foi, un sens absolu à des expressions comme celles-ci : « Mon fils, le seigneur Venantius est venu vers le bienheureux apôtre Pierre pour me prier de vous recommander sa cause, etc. (1) » Le soin de toute l'Église a été confié à Pierre, prince des apôtres (2). 'Il a reçu les clefs du Royaume céleste; le pouvoir de lier et de délier lui a été donné; le soin de toute l'Église et le principat lui ont été confiés (3).— Qui ne sait que la sainte Église a été affermie par la solidité du prince des apôtres (4) ?

(1) Lettre de saint Grégoire, liv. II; lettre 53e.

(2) Ibid., liv. V; lettre 20e.

(3) Ibid.

(4) Ibid., liv. VII; lettre 40e.

Ces expressions appartiennent bien à saint Grégoire; mais doit-on les citer isolément et leur donner un sens absolu? C'est le procédé que les ultramontains ont appliqué, non-seulement aux ouvrages du pape saint Grégoire, mais encore à tous ceux des autres Pères de l'Église. Par ce moyen, ils sont parvenus à tromper un grand nombre de fidèles et même un grand nombre de théologiens sincères; ils ne pouvaient soupçonner une si étrange mauvaise foi, dans des écrivains qui exaltent à tout propos leur dévouement à la cause de l'Église et de la vérité, et ils ont cru pouvoir citer d'après eux, sans remonter aux sources.

Nous n'avons pas suivi cet exemple; nous avons consulté saint Grégoire lui-même ; nous avons présenté l'ensemble de sa doctrine sur la papauté; nous n'avons pas cité quelques lignes, séparées de leur contexte, mais les passages en entier, et nous sommes arrivés à cette conséquence: c'est qu'on ne pouvait attribuer au pape saint Grégoire le Grand le système ultramontain, sans torturer sa pensée, sans lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, sans donner à ses paroles un sens forcé, contraire au véritable sens qui était dans l'esprit du vénérable et savant docteur.

Ceux qui ont lu attentivement les précédents articles, savent ce que saint Grégoire entendait par chaire de saint Pierre, par les titres de premier et de prince des apôtres qu'il donne à saint Pierre. Mais afin d'entourer sa pensée de plus vives lumières, nous citerons quelques autres textes décisifs et clairs qui détermineront le sens précis de ces expressions dont les ultramontains font un si condamnable abus.

Saint Grégoire, dans son livre sur la Règle Pastorale, émet ce principe que les pasteurs de l'Église ne doivent pas user de leur autorité envers les fidèles irréprochables, mais seulement envers les pécheurs que la douceur n'a pu corriger. Il cite à l'appui de ce principe, l'exemple des apôtres Pierre et Paul: « Pierre, dit-il, le premier pasteur, occupant le principat de la sainte Église, par la volonté de Dieu (auctore Deo), se montra humble envers les fidèles,

mais montra combien il avait de puissance au-dessus des autres lorsqu'il punit Ananie et Saphire; il se souvint qu'il était le plus élevé dans l'Église (Summus) lorsqu'il fallut punir les péchés, et, en tirant vengeance du délit, il exerça le droit de son pouvoir (1). »

Au même endroit, il prouve par l'exemple de saint Paul, aussi bien que par celui de saint Pierre, que le pasteur doit être humble envers les fidèles, et n'exercer son pouvoir que s'il est obligé de prendre en main la cause de la justice. Ainsi saint Paul se proclama le serviteur des fidèles, le plus petit d'entre eux; mais, ajoute saint Grégoire : « S'il trouve une faute à corriger, il se souvient qu'il est Maître et dit : «Que voulez-vous? je viendrai à vous avec une verge de fer. » « Donc, conclut saint Grégoire, on remplit bien la place la plus élevée (summus locus), lorsque celui qui préside domine plutôt sur les vices que sur les frères. Mais lorsque ceux qui président corrigent ceux qui leur sont soumis, il leur reste un devoir, etc., etc. (1) »

On voit que saint Grégoire considère saint Paul aussi bien que saint Pierre et leurs successeurs, comme occupant la place la plus élevée dans l'Église, comme présidant dans l'Église. S'il dit que saint Pierre occupe le principat, il dit aussi que saint Paul est maître; il se sert du même mot, summus, pour exprimer l'autorité de saint Pierre et celle de saint Paul, et de tous ceux qui ont le droit d'exercer l'autorité dans l'Église. Se serait il exprimé de cette manière générale si, par le mot de principat, il avait voulu désigner une autorité supérieure exclusivement attribuée à saint Pierre? De même que, sous la dénomination de chaire de saint Pierre, il entend le premier degré de l'épiscopat représenté par les patriarches; de même, par le mot d'autorité supérieure, il n'entend que celle de l'épiscopat, dont les pasteurs de l'Église ont hérité.

Plus on approfondit les ouvrages des Pères de l'Église, plus

(1) Saint Grégoire, Règle pastorale, 2o partie, ch. 6.

on est convaincu de leur accord à considérer l'autorité dans l'Église comme étant une et possédée solidairement par les premiers pasteurs ou les évêques. Au premier abord, on pourrait croire que le mot de principat ou celui de prince des apôtres accordé à saint Pierre dérogerait à ce principe. Saint Grégoire a pris soin de nous prémunir contre cette fausse interprétation. Le saint docteur, en attribuant à saint "Pierre le principat dans l'Église, ne l'a pas plus élevé, en réalité, que saint-Paul. Il va nous le dire lui-même de la manière la plus claire. Nous lisons dans ses Dialogues (1):

-«Pierre: Comment pourriez-vous me prouver qu'il en est qui ne font pas de miracles et qui cependant ne sont pas inférieurs à ceux qui en font?

— » Grégoire : Ne sais-tu pas que l'apôtre Paul est le frère de Pierre, premier des apôtres, dans le principat ? -->> Pierre : Je le sais parfaitement, etc. »

Ainsi Paul a été l'égal ou le frère de Pierre dans le principat apostolique; il fut au même titre que Pierre, premier et prince des apôtres. Pouvait-on dire plus clairement que, par ces titres, on ne voulait pas exprimer une dignité particulière, personnelle, exclusive?

Dans un autre endroit, saint Grégoire regarde saint Paul comme ayant droit, aussi bien que saint Pierre, au titre de premier apôtre. En rapportant, dans ses Dialogues, la mort du prêtre Martin, il raconte que ce saint homme voyait Pierre et Paul qui l'appelaient au ciel: «Je vois, je vois, disait Martin, je vous remercie, je vous remercie..» Gommeil répétait souvent ces paroles, ses amis qui étaient autour de lui, lui demandaient à qui il parlait. Il fut étonné de cette demande et dit : « Est-ce que vous ne voyez pas ici les saints apôtres ? N'apercevez-vous pas Pierre et Paul, les premiers des apôtres (2)? »

(1) Saint Grégoire, Dialogues, liv. Jer; ch. 12.

(2) Ibid., liv. IV; ch. 11.

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