Page images
PDF
EPUB

déjà il ne sera plus possible de secouer le joug. Si le Roi de France rentre à Paris par la seule force de l'étranger, non seulement l'étranger lui dira sans cesse sur tous les tons qu'il n'avait pas de parti en France, mais en ayant ou en affectant des craintes pour l'avenir, on lui imposera de telles lois que le Roi de France ne sera plus que le vassal de l'Europe.

Il est donc évident, monsieur le Comte, que l'honneur français et la dignité du Roi doivent par-dessus tout faire souhaiter qu'il éclate des mouvements français, qu'il se lève des bannières françaises, avant même l'entrée des alliés. Une témérité qui, sur quelques points, serait même sans succès, augmenterait la force du Roi.... Je l'ai déjà dit, Mgr le duc d'Angoulême et Madame ont fait plus pour la cause royale et française que si une armée prussienne eût battu une armée de Bonaparte. Je n'insiste pas plus longtemps sur ce point, vous sentez tout cela comme moi et mieux que moi, monsieur le Comte.

[ocr errors]

Dans ce règne du Roi, vous avez gardé avec tout le monde un air de dignité froide que le cardinal de Richelieu ou lord Chatham auraient peut-être eu tort de prendre au plus haut degré de leur puissance. Fort de l'amitié du Roi, vous avez dédaigné celle des Royalistes, et vous avez eu tort! Mais aujourd'hui vous êtes attaqué et vous devez garder ou reprendre cette dignité, elle sied

en ce moment.

A mon retour de Bruxelles, je viendrai prendre vos ordres, comme nous en sommes convenus hier.

Gain examine ensuite quelle doit être la conduite de Blacas. Il a la France et l'Europe contre lui 1. Talleyrand a inoculé

1. «Tout ce qui sort de France crie au Blacas comme au loup. » Jaucourt

aux souverains tout le mal que l'on dit de Blacas. Il n'en est pas moins important que Blacas reste auprès du Roi. Il faut proposer au Roi la suppression du ministère de la maison; mais il faut faire créer une charge de surintendant de la maison. De là Blacas pourra « faire ferme à ses ennemis. »

à Talleyrand, 24 avril 1815. Cf. chapitre xi, lettres de Vincent, 23 mai, II juin, annexe 7.

[blocks in formation]

J'envoie à Madame 3 la lettre que je viens de recevoir à l'instant des mains de Sa Majesté Catholique. J'ajoute ici copie d'un office au premier secrétaire d'État, qui n'est que la répétition de ce que j'avais dit avec bien plus de véhémence et de détails dans mes conférences, qui ont été presque journalières depuis que les événements ont pris un caractère si grave. C'est M. de Cevallos qui, après

1. Prince de Laval-Montmorency, ambassadeur de Louis XVIII auprès de Ferdinand VII.

2. Pour ces pièces et les suivantes jusqu'à 97, cf. ci-dessus : lettre de Louis XVIII, no 12; lettre du comte d'Artois, n° 62 et 65; instructions au duc d'Angoulême, no 25. Ci-dessous, t. II, correspondance de Stuart, n° 14, 11 avril; no 91, 2 juin; no 97, 9 juin. 3. La duchesse d'Angoulême.

[ocr errors]

avoir lu avec moi la lettre (la 2o du 28) si élevée, si persuasive et si touchante de Madame, insista pour que je lui fisse une demande officielle des mesures qui en feraient l'objet.

Je viens d'entrer avec le ministre dans le développement des motifs qui exigent surtout et avant tout la plus grande célérité dans les mouvements des troupes espagnoles, et la plus sérieuse circonspection dans la manière dont ces troupes alliées et amies se présenteront pour ôter toute apparence d'hostilité, ménager notre amourpropre national, et manifester à l'armée et à la France entière la pureté des intentions de Sa Majesté Catholique, l'amitié des deux peuples et l'unité de leurs efforts.

J'étais entré précédemment dans l'esprit des vues de Madame; j'avais déjà parlé au ministre de l'utilité d'un manifeste dans le sens de la guerre à l'homme, paix à la France, fraternité aux sujets du Roi, nécessité de la plus exacte discipline et tous les égards dus à un pays ami, les couleurs blanches unies à la cocarde rouge, et même ce qui peut-être paraîtra minutieux à la distance où vous êtes, l'avantage de parer les officiers de l'armée de la décoration du Lis 1.

Vous ne pouvez vous imaginer la considération dont jouit ici cette décoration. Les grands, les généraux, les ministres se font un honneur de me la demander, de la porter, une ambition de l'obtenir. Depuis nos revers je suis accablé de demandes à ce sujet, malgré un impôt de 3,000 réaux pour avoir la permission de la porter. Il y a

1. La décoration du Lis consistait en un lis d'argent suspendu à un ruban blanc ; ce n'était pas, à proprement parler, l'insigne d'un ordre de chevalerie, c'était seulement une sorte de signe de ralliement. Beaucoup de gens la prirent sans qu'elle leur eût été conférée officiellement. L'origine en fut une distribution de morceaux de ruban blanc, faite par le comte d'Artois aux gardes nationaux venus au-devant de lui, le jour de son entrée solennelle à Paris, le 12 avril 1814. Cf. collection de la Société : Souvenirs de M. de Semallé, p. 196.

quatre jours que M. de Cevallos m'a dit qu'il la voulait prendre. Je terminerai cette digression en vous priant d'engager Madame à m'envoyer quelques brevets et décorations en son nom, que je pourrais envoyer aux principaux officiers, qui seraient éminemment flattés de les recevoir de cette auguste princesse.

Le ministre a désiré une note afin de la présenter ce soir au conseil d'État, qui est convoqué pour la première fois depuis le retour du Roi dans ses États.

C'est une immense mesure dans cette capitale et pour le gouvernement de ce royaume, que la réunion de ce conseil d'État. Il était ardemment souhaité par tous les gens éclairés, et il y avait contre ce système d'administration des règnes précédents une forte opposition soutenue en général par le parti appelé servile, par les intrigues subalternes de la domesticité du Roi, qui, dit la censure, abusait des bontés et de l'amour extrême du Roi pour son peuple.

Ainsi la grande question qui nous occupe sera agitée ce soir dans la première séance du conseil, à ce que m'a dit M. de Cevallos.

J'ai le regret de ne pouvoir dire que ce premier secrétaire d'État, qui me montrait, il y a quelques jours, des sentiments si animés pour le sort du Roi et les malheurs de la France, se soit soutenu dans la même ardeur. Il proteste toujours de sa constante admiration pour la conduite du Roi et de son amour pour les Bourbons.

Nul doute sur ses principes. Mais à la célérité des mesures dont je lui démontre l'évidente nécessité, il oppose des délais et le manque d'argent pour entrer en campagne. Il conteste l'authenticité de cette déclaration de Vienne 1

1. Déclaration du 13 mars, cf. p. 2, note 3.

« PreviousContinue »