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qui nous donne des droits si légitimes à la coopération immédiate des forces de Sa Majesté Catholique 1. Cette déclaration aurait acquis auprès de ce gouvernement un caractère plus solennel, si elle m'eût été envoyée directement par Madame, ou au nom des Princes.

Il m'accable encore de sa froideur en me répétant que l'armée espagnole, tout en continuant son mouvement vers l'extrême frontière, ne franchira les Pyrénées que quand son gouvernement aura reçu officiellement de son plénipotentiaire Labrador la déclaration du congrès, et plus encore, jusqu'à ce que les puissances, sur la réquisition du Roi Très Chrétien, aient formé l'alliance offensive contre l'ennemi commun.

J'ai cherché à combattre ces dispositions désespérantes par des insinuations et des notes des membres les plus prépondérants du corps diplomatique.

et

Ma liaison avec l'ambassadeur d'Angleterre 2, qui a un des plus nobles caractères que j'aie rencontrés, m'a mis, j'ose le dire, en situation de le faire agir fortement dans notre sens. Il est d'autant plus écouté qu'il est mécontent, que l'on fait ici des demandes de subsides. Il est sorti de chez moi en m'assurant qu'il allait dire à M. de Cevallos qu'il avait la conviction intime que son frère, le duc de Wellington, était parti immédiatement après avoir signé l'alliance au congrès 3, et qu'à l'heure où Sa Majesté Catholique était encore à délibérer, ce général était entré en France à la tête de toutes les troupes anglaises, belges et prussiennes répandues dans les Pays-Bas et sur la rive gauche du Rhin.

1. Ferdinand VII n'adhéra que le 2 mai au traité du 25 mars.

2. Sir Henry Wellesley, frère de Wellington.

3. Wellington avait, en effet, quitté Vienne aussitôt après la signature de la convention militaire du 31 mars.

Le ministre de Russie m'a donné une preuve non équivoque de ses dispositions en m'envoyant, d'après ma demande, copie de la note qu'il a adressée au premier secrétaire d'État.

Je n'ai pas négligé non plus de voir les membres les plus influents du conseil d'État. Le nouveau ministre de la guerre qui y sera appelé est admirablement disposé pour adopter les mesures les plus actives: il est venu m'en assurer chez moi. Le capitaine général Castaños, le duc de San Carlos, et surtout Don Juan de Escoïquis sont pénétrés de la vérité de nos raisonnements, et m'ont promis d'exposer à ce conseil que l'honneur, la gloire et les intérêts de Sa Majesté Catholique commandent la plus prompte diligence.

J'ai proposé au Roi et à son ministre d'envoyer, mais sans délai, un officier au quartier général de Mgr le duc d'Angoulême, pour se concerter sur les mesures si délicates à prendre lors de l'entrée des troupes espagnoles : je m'en suis référé, quant aux moyens, aux données que Madame indique dans sa lettre, et à quelques instructions renfermées dans la lettre de M. de Vitrolles.

Au reste, les troupes en mouvement se composent de quarante mille hommes en Catalogne, vingt mille en Aragon, et quinze mille en Navarre et Biscaye.

Le ministre, en me donnant cette assurance, m'a demandé si ces armées seraient à la solde du Roi : j'ai cru devoir répondre qu'elles auraient leurs subsistances en France.

Quant à l'article plus délicat encore de l'entrée dans les places fortes, il me semble que la mesure d'en partager la garnison entre les troupes des deux puissances, sous le pavillon blanc et l'autorité du Roi, serait adoptée. Mais avant tout, il faut faire précéder la marche des

alliés par un officier de l'armée espagnole, qui se rendrait à Toulouse ou au quartier général de Mgr le duc d'Angoulême.

Il est indispensable, pour la franchise de nos communications, que vous m'envoyiez immédiatement un chiffre, Le comte de Peralada, ambassadeur d'Espagne, a reçu ses ordres de départ. D. Pedro Cevallos m'a assuré qu'il se mettrait en route dès l'instant que le Roi aurait fait connaître le lieu de sa résidence, et que même si cet ambassadeur trouvait trop d'obstacles à se rendre auprès de Sa Majesté, il irait à Toulouse, 'que je lui ai indiqué comme le centre des opérations du Midi et le quartier général de Mgr le duc d'Angoulême 1.

En définitive, il faut se mettre bien dans l'esprit qu'on peut obtenir des Espagnols tous les genres de sacrifices, hors celui de la lenteur.

N° 83.

Le comte de Blacas au prince de Laval.

A. B., minute.

Gand, ce 17 avril 1815.

1

Le Roi vous envoyant, mon cher prince, des instructions par le comte Louis de Sabran, je le charge de vous remettre cette lettre pour vous donner quelques informations particulières sur la situation de Sa Majesté. Vous

I. L'on voit combien l'on était mal renseigné en Espagne sur ce qui se passait dans le midi de la France. Le duc d'Angoulême n'avait jamais eu son quartier général à Toulouse, où seul Vitrolles s'était établi depuis le 23 mars, avec l'intention d'organiser un gouvernement central du Midi. L'aventure dura jusqu'au 4 avril.

savez les armements immenses qui se font contre Buonaparte et, sous ce rapport, nos espérances ne sont combattues par aucunes défiances, mais vous connaissez aussi l'état de l'opinion en France, et l'ascendant que cherche à y recouvrer un parti dont l'usurpateur a été forcé de se faire un appui 1. Cet ordre de choses est du plus grand danger. Il peut compliquer la question d'une manière funeste en présentant une troisième chance aux pervers et aux tièdes, qui ne repousseront point cette nouvelle apostasie. Il est donc de la plus haute importance de donner au Roi une force qui lui soit propre, qui ne permette d'autre lutte qu'entre Buonaparte et le souverain légitime. A défaut des Français qui ne peuvent, en ce moment, arborer la bannière royale, les Espagnols, sujets, soldats des Bourbons, doivent plus facilement que d'autres la reporter en France à côté de Mgr le duc 2 et s'y montrer comme des alliés naturels de la monarchie. Pour cela, cher prince, il faut peut-être moins un grand nombre de troupes (lorsque surtout l'immense coalition de l'Europe aura commencé son agression), qu'il ne faut des troupes disciplinées, bien conduites et animées de l'esprit qui convient à cette juste entreprise 3. Ce n'est point contre les Français, mais contre les soldats de Buonaparte, les oppresseurs de la France, qu'ils doivent être armés. Je ne doute pas que cette vérité ne frappe Sa Majesté Catholique lorsqu'elle lui sera présentée par vous avec toute la force que lui donneront les sentiments dont vous êtes pénétré.

Nous avons lieu d'espérer que d'ici à peu de temps le Roi, arrivé sur le sol de France, y fera des actes de gouvernement de la plus haute importance pour animer et diriger

1. Les libéraux, Benjamin Constant en tête.

2. Le duc d'Angoulême.

3. Cf. ci-dessous, no 91, et chapitre xi, lettre de Vincent, 23 mai.

les efforts de ses fidèles sujets. Sa Majesté emploiera tous les moyens de vous les communiquer.

N° 84.

Le duc d'Angoulême à Louis XVIII.

A. B.

Barcelone, ce 20 avril 1815.

Nous sommes dans une crise très forte, mais j'ai la confiance que tout finira bien. J'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour ne pas quitter notre patrie, mais enfin j'y ai été forcé, j'espère que cela ne sera pas pour longtemps. Les sentiments des habitants du Midi sont excellents; j'ai été assailli partout de bénédictions, elles nous porteront bonheur. Si par hasard le baron de Damas n'allait pas plus loin que Madrid, alors il vous écrirait de là de ma part une longue lettre. Je ne saurais trop dire à quel point j'ai été content de lui, ainsi que de tout ce qui compose ma maison. Le comte de Damas I et Saint-Priest ne m'ont pas encore joint. Adieu, mon cher oncle, mille amitiés au duc de Grammont et croyez à la sincérité de tous mes sentiments et de mon affection pour vous.

LOUIS ANTOINE.

1. Le comte de Damas avait été adjoint au baron de Vitrolles par le duc d'Angoulême. Lors de l'arrestation de Vitrolles à Toulouse, Damas ne fut pas inquiété et reçut même un passeport pour l'Espagne, parce que le général Delaborde jugeait « ses capacités peu dangereuses. » Cf. ci-dessous, n° 86.

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