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que M. le duc de Bourbon avait éprouvé, et qu'enfin le départ précipité de Madame rendait cette mesure aussi nécessaire à sa dignité qu'utile à ses intérêts.

Depuis quelque temps, M. de Cevallos m'affligeait par la plus froide circonspection et un silence accablant à toutes mes notes pressantes. Ce ministre m'envoya une réponse du Roi Catholique sans m'en donner communication. Je pressentis que ce n'était pas le cœur de Sa Majesté qui l'avait dictée, et incapable que j'étais de sortir de mon lit, je demandai pour Rivière, qui arrivait ici, une audience particulière où il devait engager Sa Majesté à permettre au prince de se rendre à Madrid. Il s'en acquitta à merveille; il repartit pour Barcelone. Je conjurai Monseigneur de ne pas s'en tenir au texte de la lettre, mais aux dernières paroles de Sa Majesté. Quelques jours après, je me traînai au palais, je vis le Roi en audience privée, et Sa Majesté me confirma qu'elle serait charmée de connaître un prince de son sang dont la conduite avait été si brillante dans les derniers combats, et les infortunes honorées par sa vaillance.

Ceci ne se passera pas sans quelque humeur de la part de son ministre. Depuis cette époque tout tourna à notre avantage. La déclaration du 13 mars, le renouvellement du traité de Chaumont parvinrent successivement. Enfin, Monseigneur arriva, et Sa Majesté le comble depuis une semaine de témoignages d'amitié et d'affection la plus tendre. Pour les affaires, Monseigneur insiste :

1o A être autorisé à réunir sur la ligne des Pyrénées les sujets fidèles du Roi, et n'éprouver aucun obstacle dans ses levées.

2o En cas que Son Altesse Royale se portât en Roussillon, qu'il fût mis à sa disposition un corps d'Espagnols de cinq à six mille hommes pour le soutenir.

Cette demande sera plus difficile à obtenir que la première.

3° Qu'on lui fournisse à peu près mille fusils pour armer sur-le-champ ses premiers volontaires.

Il demande aussi qu'on lui désigne l'époque probable de l'entrée des armées espagnoles en France, que la plus exacte discipline soit observée par les troupes, et démontre combien il est essentiel qu'elles prennent l'attitude et tiennent la conduite d'alliés fidèles du Roi, enfin la guerre à un seul homme et à ses adhérents, et fraternité envers tous les autres.

C'est selon ces principes, que vous me recommandez de ne point perdre de vue, que tous mes offices ont été dirigés depuis l'invasion. Nous aurons satisfaction avec plus ou moins d'étendue sur tous ces articles.

Cependant hier soir M. de Cevallos, en déplorant avec moi l'état des finances de ce pays et le dénuement des troupes, ne m'a pas déguisé qu'il serait difficile de prendre l'offensive avant le 1er juillet. Le ministre de la guerre (Ballesteros), homme plein de zèle et d'activité, m'avait fait le même aveu.

Au reste, mon intelligence très amicale avec les ministres des quatre grandes puissances, et les preuves de confiance qu'ils m'ont données, en me communiquant les diverses notes qu'ils avaient passées à cet égard, me sont d'un puissant secours pour presser les opérations de ce gouvernement.

N° 95.

Le comte de Damas au comte de Blacas.

A. B.

Madrid, ce 20 mai 1815.

J'imagine que vous ne serez pas fâché, mon cher comte, d'avoir quelques détails sur le voyage de Monseigneur ici. Tout ce qui tient aux formes, à la bonne grâce et aux manières aimables de la part du Roi et des infants, ne doit rien laisser à désirer; mais il n'en est pas de même pour le grand but que nous ambitionnons. Ni les instances réitérées de Monseigneur, ni le concours le plus absolu de la part des ministres des puissances alliées, n'ont pu déterminer M. de Cevallos à donner une réponse catégorique, ni sur l'étendue des secours dont nous avons besoin, ni sur l'époque de leur mise en activité, encore moins sur la manière de les employer après avoir passé la frontière. Nous étions tous d'avis, le prince de Laval, le marquis de Rivière, le baron de Damas et moi, que Monseigneur ne désemparât pas avant d'avoir obtenu des réponses; mais Son Altesse Royale pense que sa présence sur la frontière en fera plus qu'un allié si difficile à mettre en action. En conséquence, il repart demain matin pour la Catalogne, où il a laissé Amédée d'Escars. Celui-ci lui donne de très bonnes nouvelles des dispositions du Midi; mais je crains les lenteurs de ce gouvernement-ci, je redoute presque autant l'ardeur de Monseigneur, qui brûle de commencer les opérations. Je veux pourtant espérer qu'il y mettra de la prudence, et qu'il ne s'exposera pas légèrement à des tentatives qui perdraient tout, si elles

n'étaient pas couronnées de succès. Je ne serai pas en mesure de les prévenir ni d'y influer. Pour mon malheur, Monseigneur m'envoie au corps d'armée de Navarre essayer d'y former un rassemblement des Béarnais. Il ne me manque pour cela que des armes et de l'argent, en admettant qu'il me passe du monde. Je prévois donc des difficultés insurmontables pour moi et dans tous les genres; mais un serviteur fidèle doit obéir et faire tout sacrifice d'amour-propre et de gloire. Je me rendrai donc au poste qui m'est assigné; mais je le ferai par pur dévouement et avec la crainte positive d'échouer complètement. Plaignez-moi; mais du moins reconnaissez le zèle d'un sujet dévoué qui ne calcule rien de ce qu'il croit son devoir.

N° 96.

Note du comte de Damas adressée à M. de Cevallos,
ministre et premier secrétaire d'État.

A. B., copie.

Madrid, le 28 mai 1815.

D'après la demande que Son Excellence a bien voulu me faire hier, j'ai l'honneur de mettre sous ses yeux la note suivante.

La cour d'Espagne, par le manifeste qu'elle vient de publier, annonce au monde entier qu'elle juge que la religion et la morale, encore plus que la politique, imposent la loi de faire la guerre à l'usurpateur, qui veut encore troubler la tranquillité de l'Europe, après s'être montré

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constamment l'ennemi de tous les rois, le tyran de toutes les nations.

Dès lors tout homme attaché à ses devoirs doit prendre les armes pour son Dieu, son pays et son Roi légitime. Cette vérité est généralement sentie en France. Les royalistes du Midi surtout attendent avec le dernier empressement l'appui que la déclaration magnanime de Sa Majesté Catholique leur donne le droit d'espérer, et ils se disposent en foule à se réunir aux armées de Sa Majesté........ Chargé par Mgr le duc d'Angoulême de marcher à la tête de ceux de la onzième division militaire, je sollicite avec ardeur des bontés du Roi:

1° Que Sa Majesté daigne donner des ordres à M. le général en chef de l'armée de Navarre, pour qu'il me reconnaisse en qualité de commandant civil et militaire de la 11 division, et qu'il favorise les opérations préliminaires dont ce titre m'impose l'obligation.

2° Que M. le comte de Labisbal soit autorisé à m'assigner un ou plusieurs villages près de la frontière du Béarn où je pourrai recevoir et organiser militairement tous les Français qui, pénétrés de leurs devoirs, viendront se ranger sous les drapeaux des lis.

N° 97.

Le comte de Damas au comte de Blacas.

A. B.

Madrid, 1er juin 1815.

....Je n'ai jamais vu un pays aussi dépourvu de tout; aussi est-ce une des raisons qu'ils donnent pour justifier leurs lenteurs à se mettre en action.

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