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prince français aille à la Martinique, que là il établisse, au nom du Roi, un gouvernement pour toutes les colonies françaises 1, qu'il en ouvre les ports à toutes les nations et y reçoive tous les vaisseaux qui sortiront avec le pavillon blanc des ports français non soumis à B.... Ce prince déclarera que lorsque la France sera délivrée, les liens de la métropole et de la colonie seront rétablis.

Je n'ai pas le temps de vous développer toutes les conséquences de ce système; vous en pénétrez plusieurs, et j'ose dire qu'elles seront plus utiles qu'elles ne paraissent au premier coup d'œil pour l'avantage et pour l'honneur. Que de Français iront s'y rallier au Roi avec leurs ressources! Alors Cayenne sera rendu et il ne sera pas impossible d'avoir avant peu quelques ports à Saint-Domingue. Si on se trouvait heureux d'avoir quelque province française, combien ne doit-on pas apprécier davantage de garder sous la domination française la Martinique, la Guadeloupe, Cayenne, dans peu une partie de Saint-Domingue, peut-être un jour l'île de France, de se préparer ainsi des moyens indépendants de l'étranger pour appeler des Français et pour rentrer en France par quelques ports maritimes jaloux de ces liaisons.

Je vous conjure de ne pas perdre une minute pour faire savoir ce projet au Roi et le faire exécuter.

Agréez, monsieur le Vicomte, tous mes sentiments; nos regrets, nos vœux, nos hommages suivent l'homme qui dans ces horribles catastrophes a le bonheur d'accompagner une princesse pour qui il me serait bien doux de mourir 2.

1. Pour les colonies, cf. t. II, correspondance de Stuart, no 22, 18 avril; n° 49, 9 mai. Correspondance de Goltz, no 15, 16 juin.

2. Le vicomte de Montmorency accompagnait la duchesse d'Angoulême, contrainte d'abandonner Bordeaux.

LOUIS XVIII A GAND. T. I.

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No 100.

Lainé au comte de Blacas 1.

Suscription: M. le comte de Blacas. Pour lui seul.

Monsieur le Comte,

A. B.

Gand, samedi 19 avril 1815.

Arrivé ici depuis quelques heures. ma première prière est de vous conjurer de ne pas dire en voyant ma signature que je suis à Gand. Il importe fort au service du Roi et peut-être au bien de mon pays que le président de la Chambre des députés soit ignoré et ne se trouve pas ici. Aussi bien, ma destination n'était pas pour Gand. Je suis parti de Bordeaux par mer, croyant aborder bien plus loin. Mais des circonstances particulières m'ont porté à Ostende, d'où je me suis acheminé vers le but de mon voyage.

1. Moniteur universel, no 1, 14 avril. Déclaration de Lainé :

<< Comme le duc d'Otrante, se disant ministre de la police, m'outrage assez pour me faire dire que je peux rester en sûreté à Bordeaux et vaquer aux travaux de ma profession, je déclare que si son maître et ses odieux agents ne me respectent pas assez pour me faire mourir pour mon pays, je les méprise trop pour recevoir leurs outrageants avis.... Non, je ne serai jamais soumis à Napoléon Buonaparte; et celui qui a été honoré de la qualité de chef des représentants de la France aspire l'honneur d'être en son pays la première victime de l'ennemi du Roi, de la patrie et de la liberté, si, ce qui n'arrivera pas, il était réduit à l'impuissance de contribuer à les défendre. »

Il faut se rappeler que Lainé avait publié à Bordeaux, le 28 mars 1815, la proclamation suivante : « Au nom de la nation française et comme président de la Chambre des représentants, je déclare protester contre tous décrets par lesquels l'oppresseur de la France prétend prononcer la dissolution des Chambres. En conséquence, je déclare que tous les propriétaires sont dispensés de payer des contributions aux agents de Napoléon Buonaparte, et que toutes les familles doivent se garder de fournir, par voie de conscription ou de recrutement quelconque, des hommes pour sa force armée.... La présente protestation sera déposée dans les archives à l'abri des atteintes du tyran, pour y avoir recours au besoin. »

Je désirerais bien, monsieur le Comte, avoir un entretien avec vous sur plusieurs objets d'intérêt public. J'attends votre réponse à votre porte, et si cette lettre ne vous trouve pas libre de me répondre, je vous prie d'écrire à l'hôtel du Lion d'or, chambre no 9, à M. Henri Bauman: c'est le nom que je porte et à l'aide duquel je suis parvenu à me soustraire à ce qu'on allait exiger de moi.

Je prends la liberté, monsieur le Comte, de vous répéter qu'il est de la dernière importance de cacher ma présence ici, et je vous prie d'agréer les respects de....

N° 101.

Lainé au comte de Blacas.

A. B.

Anvers, 19 mai 1815.

Monsieur le Comte,

J'ai différé à vous envoyer les notes que vous avez eu la bonté de me demander, parce que les événements ne les rendaient pas pressantes, et ensuite parce que j'en ai été empêché par des indispositions continuelles mêlées de

fièvre.

Un contre-temps, qui tient aux événements commerciaux de cette ville, m'obligera à aller dans dix jours environ à Amsterdam, où l'amitié m'appelle. Mais ici ou là je serai toujours prêt à me rendre partout où Sa Majesté jugera à propos de m'employer.

Je vous supplie de continuer à observer à mon sujet la même réserve. Je n'ai aucune nouvelle de ma famille. Je sais seulement par une voie indirecte qu'elle n'a reçu aucune des nombreuses lettres que je lui ai adressées depuis mon départ.

Agréez, monsieur le Comte, l'assurance de la respectueuse affection de votre très humble et très obéissant serviteur.

H. B.

N° 102.

Notes de Lainé au comte de Blacas.

A. B.

Le Roi a auprès de lui plusieurs serviteurs fidèles et éclairés, et peut-être convient-il que le rédacteur de ces notes soit réservé pour continuer au premier moment les fonctions qui lui sont dévolues.

Son crédit et son influence diminueraient beaucoup en France, s'il se trouvait dans les lieux d'où les armées se dirigent contre la France, quoiqu'elles ne soient envoyées que contre son oppresseur et celui des nations.

Ceux qui l'ont engagé à se soustraire momentanément à la tyrannie de France l'ont conjuré de vivre ailleurs dans la retraite, comme ignoré, et pour se réserver plus utilement pour le Roi et la France.

A ces considérations, il est mû par l'intérêt de sa nombreuse famille dont il est le seul soutien, et si B. a contre lui le prétexte d'avoir suscité des étrangers, il fera séquestrer le bien qui est le seul asile et la seule ressource de huit personnes.

Cependant le service du Roi et de mon pays l'emporte sur tout et je continuerai à me dévouer en toutes choses, mais principalement, s'il se peut, dans celles qui peuvent se concilier avec ma position toute particulière.

Il paraît que les Anglais prennent les navires qui sortent des ports de France ou qui y rentrent. Bordeaux éprouvera à cause de cette mesure un dommage immense à raison

de ses anciens malheurs. Sa Majesté pourrait-elle obtenir que le gouvernement anglais fût moins rigoureux et restituât aux correspondants de ceux que les propriétaires de navires indiqueraient? Si cette idée pouvait devenir la matière d'une négociation particulière, je ferais ce qui dépendrait de moi pour remplir la mission que Sa Majesté daignerait me confier, et une fois en Angleterre, je trouverais le moyen de donner cette espérance à mes compatriotes. B. va prendre ou peut-être a déjà pris envers les ÉtatsUnis d'Amérique tous les moyens d'ouvrir un commerce à la France. Cet intérêt lui réconciliera bien des habitants des villes de commerce. Ne serait-il pas bien convenable qu'un avantage quelconque à ce sujet fut dû au Roi? Soit sous ce rapport, soit sous tout autre, il doit y avoir des communications à entretenir entre Sa Majesté et le gouvernement des États-Unis. Mes liaisons avec l'Amérique, ma position en France, qui est toute du goût des Américains, me rendraient peut-être propre à être utile au Roi. J'ose croire que les villes maritimes verraient avec intérêt que je fusse chargé de quelque mission auprès des ÉtatsUnis. Il n'est pas nécessaire que la mission soit solennelle et je me dévouerai, si Sa Majesté le croit utile, pour une simple commission secondaire.

I

Ma première pensée à Paris, au moment de la catastrophe, a été de songer au sort des colonies. Madame a dû de Bordeaux une note 1 que j'ai remise à M. le vienvoyer comte de Montmorency. Je crois encore qu'il est de l'intérêt du Roi et de la monarchie que quelqu'un des princes français se rende à la Martinique; on ferait de cette colonie une sorte de chef-lieu de toutes les autres. Pendant la durée des circonstances actuelles, on ouvrirait les ports

1. Cf. ci-dessus, no 99.

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