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sorte tous les contribuables de cette classe participeraient également au droit d'élection sans rien innover au nombre des députés. L'idée de faire entrer les députés du commerce pourrait se concilier avec un pareil plan. Quant aux universités, il semblerait indispensable d'ajourner leur droit d'élection jusqu'au moment où elles seront réorganisées.

Je vous prie, Monsieur, de réfléchir encore à ces idées que personne n'est plus que vous en état de soumettre à un examen éclairé. J'ai pensé que ce tempérament aurait l'avantage d'éviter l'extrême agitation, résultat presque infaillible d'une élection populaire dans un temps où toutes les passions seront fort exaltées, et de la rendre cependant assez nombreuse pour donner à la Chambre l'aspect d'une assemblée animée d'un nouvel esprit.

On parle beaucoup, à Paris, de l'existence d'un tiers. parti entre les fauteurs de Bonaparte et les royalistes 1. Son but serait d'offrir dans une autre usurpation une autre garantie à tous les crimes et à toutes les trahisons. Quelque force éventuelle qu'il acquière dans la capitale et parmi les complices mêmes de Napoléon, je doute qu'il fasse beaucoup de prosélytes en France.

Agréez, je vous prie, Monsieur, la plus sincère assurance de mon inaltérable attachement, et de la considéraration distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur....

1. Cf. ci-dessus, no 80, et la note 2, p. 158, et ci-dessous, n° 107. Il s'agit du parti qui songeait à offrir la couronne au duc d'Orléans.

N° 107.

Lainé au comte de Blacas.

A. B.

Monsieur le Comte,

Lundi 19 juin 1815, Amsterdam.

Les réflexions de votre lettre me paraissent d'une prudence consommée, et si j'ai incliné pour un grand nombre, c'est pour satisfaire à beaucoup d'opinions de poids, multiplier les partisans et proportionner la Chambre des députés à la Chambre des pairs. Si j'ai parlé d'un mode d'élection de plano, c'est que la Charte n'en a pas tracé d'autre, car le corps intermédiaire est tellement dans mon sentiment que mon projet était tout prêt. Je ne connais le nom de quelques députés à la Chambre de B. que par les journaux anglais, et j'étais loin de croire qu'un grand nombre des anciens y avaient pris part en consentant à proférer un exécrable serment. Si vous avez sous les yeux la liste de ceux qu'on appelle représentants, vous pouvez, en la comparant avec la vraie, juger si la majorité nous reste. En cas d'affirmative, on pourra convoquer même sans faire de nouvelles élections, en déclarant que ceux qui ont pris part au gouvernement de B., ayant abdiqué leur qualité, ne sont plus membres de la Chambre des députés. S'il en est de même de la Chambre des pairs, les choses deviennent assez plénières (sic), et la première dont on s'occuperait serait une loi sur les élections. Je sens bien qu'il serait plus régulier de procéder en complétant comme vous le dites, mais je vous prie de peser les observations suivantes. Dans tous les départements il y a

quelque député à remplacer, dès lors il faudrait partout convoquer les hommes payant 300 fr., former dans chaque département un collège, et comme même après la rentrée du Roi, il y aura plusieurs départements soumis aux pervers, on réunirait difficilement les députés qu'il peut être pressant de convoquer dès qu'une partie de la France aura recouvré son Roi et sa liberté. Je me plais toujours à croire qu'avec moins de vingt mille hommes, surtout à l'aide de la Vendée, on aurait tout le Midi et une grande partie des côtes de la Bretagne; alors le projet que j'eus l'honneur de vous communiquer en mars pourrait se continuer, et si le Roi ne jugeait pas à propos de s'y rendre, il pourrait déléguer Monsieur ou le duc d'Angoulême en qualité de lieutenant général. Je suis prêt à aller trouver Son Altesse Royale Mgr le duc d'Angoulême au premier ordre de Sa Majesté.

Je me suis déjà aperçu, par deux fragments des journaux anglais, et une grande insinuation de l'un d'eux, que le parti dont vous me parlez a fait des progrès en France et a quelques prosélytes même en Angleterre ; j'ai été stupéfait, dans les dernières journées de mon séjour à Paris, du nombre de gens qui inclinaient à cette effroyable idée, et lorsqu'en me pressentant très fortement on me nomma le prince 2, je répondis trop vivement : Dans le Midi nous aimons autant B. que lui. Permettez-moi, monsieur le Comte, de vous rappeler la pensée dont je vous ai fait part à Gand. Ne serait-il pas possible de tirer avantage de cette faction à l'aide du prince que j'aime à y croire étranger? Si on peut compter sur lui, pourrait-on s'en servir pour abattre plus aisément B. en lui proposant

1. Cf. n° 98.

2. Le duc d'Orléans.

de s'honorer en déclarant ensuite aux yeux du monde qu'il n'agit que pour son Roi. Je sens que la chose est délicate; mais vous sentez que si l'âme du prince est aussi élevée qu'elle paraît éclairée, il peut jouer un rôle admirable, surtout si les souverains alliés sont mis dans la confidence.

Les horreurs que préparent les jacobins et le sort dont B. est menacé par eux doivent rassurer du côté de l'empereur d'Autriche, qui sans doute ne doit pas être disposé à exposer une archiduchesse à être traînée dans le faubourg Saint-Antoine.

Je vous prie, monsieur le Comte, d'excuser les irrégularités d'une réponse anssi précipitée; veuillez y trouver une preuve de mon dévouement et de ma respectueuse affection.

N° 108.

Lainé au comte de Blacas.

A. B.

Amsterdam, 17 juin 1815.

Monsieur le Comte,

Je reçois ici par l'Angleterre, et pour la première fois depuis mon départ de France, des lettres de Bordeaux datées du 23 mai. On y dit que dans la onzième division militaire, il n'y a pas plus de sept mille hommes de troupes de ligne, que plusieurs des officiers qui les commandent ne soupirent qu'après l'occasion de servir le Roi, que la plupart des soldats sont à B. parce qu'ils espèrent le pillage. On me mande que s'il avait paru dix mille hommes, tout le Midi était comme à la fin de mars. L'esprit de Bordeaux est toujours le même, les tribunaux

n'entrent pas. On ne s'est pas rendu dans les collèges électoraux, les députés l'ont été par seize électeurs. On a nommé des agents de Fouché, des hommes pervers, et dans le reste du département, trois jacobins forcenés, entre autres un ex-général que j'ai trouvé dans votre antichambre aux Tuileries, qui était dès lors agent de B., que lord d'Halousie ne voulut pas faire arrêter malgré le cri public et s'appelle Cæsar Faucher et est extrêmement dangereux, quoique fort corruptible.

Les mêmes lettres me mandent que toute communication est interrompue avec Nantes et les départements de l'Ouest. Le courrier de Paris était même en retard et on croyait qu'il serait intercepté à Poitiers. Mais en même temps on me mande que bien des gens se découragent à cause des retards, et qu'un coup de canon tiré au milieu du mois de mai aurait retenti dans tout le Midi. Les classes de la société les plus indifférentes ont horreur et frayeur des jacobins et de la domination de Paris, où ils paraissent régner.

J'ai conféré ici avec un homme du plus grand mérite et accoutumé aux troubles politiques. Il regrette que les hommes honnêtes aient eu le scrupule de ne pas se présenter dans les collèges et que s'il y en avait eu un peu plus grand nombre même dans la Chambre de B., la force de l'opinion publique les ferait prononcer en faveur du Roi. Ce même homme pense que dans l'intérêt du Roi on ne doit rien ménager pour s'y procurer des intelligences, car la plupart doivent être intéressés comme Paris même à renverser B.

1. César Faucher et son frère Constantin furent fusillés à la deuxième restauration. Il est curieux de noter qu'en 1793 ils avaient été condamnés à mort à la Rochelle pour avoir porté le deuil de Louis XVI et prononcé son éloge.

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