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INTRODUCTION

I.

Sainte-Beuve écrivait en 1869, à propos des lettres de sir Henry Bulwer sur Talleyrand 1 : « Les mémoires par<«<ticuliers sur l'Empire n'ont point encore paru; les con«<temporains qui savaient ont cessé de vivre; les fils, les << descendants tiennent en échec jusqu'à présent les révé<< lations posthumes. Toute cette histoire finira par sortir. >> Aujourd'hui, les scellés ont été rompus. Les délais que les grands acteurs ou les témoins directs du drame de la Révolution et de l'Empire avaient mis à la publication de leurs Souvenirs sont tous ou presque tous périmés. Il a surgi, de partout, des Mémoires moins apocryphes que la plupart de ceux qui avaient fait naguère la fortune des cabinets de lecture; et grâce à la vogue qui a fait une sorte d'article de mode de tout ce qui se rapporte à l'époque impériale, à côté des récits de personnages qui s'y trouvaient au premier rang, on a tiré de la poussière les notes d'obscurs coryphées qui y figuraient à peine au dernier. Mais ce sont les archives diplomatiques surtout, dont le secret a été levé presque partout, après avoir été de rigueur dans la plupart des chancelleries, qui ont

1. Nouveaux lundis, tome XII, p. 62.

fourni aux chercheurs les informations les plus certaines et les plus importantes sur les vingt-cinq années qui vont de la chute de la royauté jusqu'à la Restauration, quart de siècle qui a été rempli des transformations et des bouleversements les plus extraordinaires, dans l'ordre social et politique.

I

Les Cent-jours furent comme le dernier acte de ce drame unique qui a Sainte-Hélène pour épilogue. Les historiens n'ont pas manqué à cette période courte mais décisive. Seulement, ils se sont attachés d'une manière presque exclusive aux événements dont Napoléon a été le héros tragique, et aux actes par lesquels il avait cherché à reconstituer l'empire en lui donnant de nouvelles bases. Les écrivains ne se sont guère occupés de Louis XVIII et de son séjour à Gand, où il avait transporté sa cour, son ministère, son esprit et ce merveilleux appétit que rien ne pouvait décourager.

Cependant, sans vouloir établir de parallèle entre la grandeur des deux théâtres et l'importance des scènes qui s'y déroulèrent en même temps, les petits Cent-jours, selon l'expression de Chateaubriand, ont bien aussi leur intérêt, ne fût-ce que par le changement qui fut apporté, pendant cette sorte d'interrègne, dans la direction des idées de Louis XVIII sur la politique qui convenait le mieux à la France, et sur le choix des hommes qui devaient être chargés de l'appliquer, au moins à l'origine. Le système constitutionnel n'était plus en cause : Napoléon lui-même avait reconnu, en ouvrant, le 7 juin 1815, la session du Corps législatif, que désormais le principe s'en imposait. Mais le Roi, en arrivant à Gand, ne prévoyait guère qu'il aurait à prendre comme porteparole de sa politique M. de Chateaubriand, qui attendait, d'assez méchante humeur, à Bruxelles, le moment, peu désiré, d'aller rejoindre son poste diplomatique à Stockholm, que le roi Bernadotte n'était pas pressé non plus

1. En réalité, cent onze jours s'étaient écoulés entre le départ et le retour de Louis XVIII. L'appellation de Cent-jours est due à M. de Chabrol, préfet de la Seine, qui, en haranguant le Roi, à sa rentrée à Paris, lui dit : << Sire, cent jours se sont passés depuis que.... >>

de le voir occuper. Louis XVIII songeait encore moins à recevoir en audience familière M. Guizot, envoyé auprès de lui par le parti constitutionnel, et à devoir briser avec M. de Blacas, son chevaleresque et loyal conseiller, le fidèle ami des mauvais jours, pour faire entrer dans le conseil, dès sa rentrée en France, le duc d'Otrante, qui avait voté la mort de Louis XVI.

Mais les questions de politique intérieure, subordonnées après tout à des événements encore très incertains, cédaient le pas à des préoccupations plus graves et d'un intérêt plus immédiat. Le trône pouvait échapper à Louis XVIII, même au cas où les forces alliées auraient raison du génie militaire de Napoléon. Si les puissances étaient d'accord pour abattre celui-ci, elles étaient moins décidées à repousser absolument toute autre combinaison que le retour de la branche aînée des Bourbons, si la nation française s'y montrait hostile. Non seulement l'empereur de Russie, mais encore le cabinet de Londres et M. de Metternich, ne se croyaient pas liés vis-à-vis de Louis XVIII, en tout état de choses.

Le Roi et la plus grande partie de son entourage se résignaient aussi non sans regret à l'idée de devoir compter uniquement sur le triomphe des armées étrangères pour

1. L'empereur de Russie était assez partisan de la consultation de la nation: « Vouloir ramener les Bourbons sur un trône qu'ils n'ont pas su « garder, disait-il, ce serait exposer la France et l'Europe à de nouvelles << complications dont les suites seraient incalculables. » (Mémoires de Metternich, I, 183.)

Dans les fameuses instructions que M. de Metternich donna à M. d'Ottenfels lors de son envoi à Bâle pour y rencontrer l'agent de Fouché, il lui déclarait que, sauf le refus de conserver Napoléon Bonaparte à la tête de son gouvernement, les puissances ne voulaient pas faire la loi à la France, et dicter son choix entre la rentrée de Louis XVIII, le duc d'Orléans et la Régence. « Si la France veut le duc d'Orléans, lui disait-il << en particulier, les puissances serviront d'intermédiaire pour engager le << Roi et sa lignée à se désister de leurs prétentions. » (Mémoires de Metternich, II, 515.)

« J'étais alors assez rapproché des conseils des princes étrangers, » dit le comte Beugnot (Mémoires, édit. 1889, p. 446), « et j'avais eu, durant mon séjour << en Allemagne, l'occasion de connaître personnellement quelques-uns de << leurs principaux ministres. Je reste persuadé que si le Sénat avait appelé « au trône une famille autre que les Bourbons, elle eût été acceptée de << l'Europe, je ne dis pas sans difficultés, mais avec une sorte de complai

<sance. »

le rétablissement du pouvoir légitime. Il y avait dans ce fait une cruelle extrémité pour toute âme française, même dans ces temps troublés où les intelligences les plus droites étaient souvent hésitantes devant la rapidité et la contradiction des événements. De là ces projets chimériques du Roi pour donner une part, même la plus infime, aux couleurs françaises dans l'action militaire contre Napoléon, et ces tentatives, difficilement excusables, ayant pour objet d'engager des troupes à l'étranger, au nom du roi de France, pour seconder les forces alliées.

Les Mémoires de Chateaubriand, du comte Beugnot, du chancelier Pasquier, les correspondances de Talleyrand, de Metternich et de Pozzo di Borgo, le Journal de Louis-Philippe d'Orléans, le Moniteur de Gand, organe officiel du Roi, et d'autres publications connues, permettent de reconstituer en grande partie l'histoire de Louis XVIII pendant les Cent-jours. Mais, indépendamment des renseignements qu'on y trouve, nous avons eu la bonne fortune de voir s'ouvrir pour nous une source abondante d'informations nouvelles. M. le duc de Blacas a bien voulu, avec la plus gracieuse libéralité, nous autoriser à faire usage des papiers réunis par son éminent aïeul, le ministre de la maison et le secrétaire intime du Roi et le dépositaire de sa correspondance politique pendant les Cent-jours. A côté des pièces en grand nombre et d'un sérieux intérêt que nous avons pu en extraire, nous avons reproduit un choix de documents diplomatiques, empruntés aux archives officielles de Londres, de Berlin et de Vienne, qui sont publiés pour la première fois. On sait que les gouvernements étrangers avaient cessé toute relation officielle avec Napoléon, et que leurs agents étaient restés accrédités auprès de Louis XVIII, que la plupart, et surtout les plus notables, avaient suivi en Belgique.

Notre historique aurait été incomplet si l'on n'y avait

1. Nous donnons à ce journal le titre sous lequel il est le plus généralement connu; il portait en réalité celui de Journal universel.

trouvé des renseignements sur l'établissement du Roi à Gand, sa manière de vivre, son entourage. Nous avons recueilli les éléments de ce récit dans les journaux et les écrits contemporains, dans les archives communales de Gand, dans certains travaux d'érudition locale, sans omettre une relation manuscrite en flamand, tenue, jour par jour, par un bourgeois de la ville 1. On avait déjà pour ce reportage les révélations piquantes de Chateaubriand et du comte Beugnot. Nous avons pu y ajouter de nouveaux détails dans cette Introduction.

La Belgique fut, à toutes les époques, hospitalière aux proscrits et aux émigrés français. Réfugiés des temps de la Ligue et de la Fronde, réformés s'expatriant à la suite de la révocation de l'Édit de Nantes, jansénistes chassés de Port-Royal, pamphlétaires se mettant à l'abri de la Bastille, comédiens menacés du For-l'Évêque, puis à partir de la Révolution et jusqu'à ce que la France s'assimilât les provinces belges, émigrés allant rejoindre l'armée de Condé, généraux, comme Dumouriez, ou simples écrivains, comme Rivarol, se dérobant à la guillotine, tous rencontrèrent dans ce pays un refuge dont la sécurité fut troublée très rarement; on sait que ces généreuses traditions se sont maintenues depuis la proscription des régicides, en 1816, jusqu'aux fréquentes secousses politiques de nos jours. Ce n'est pas en exilé que Louis XVIII vint y attendre le moment de remonter sur le trône de France. Il était traité en monarque régnant, et il aurait pu se considérer presque, comme Charles-Quint, dans sa bonne ville de Gand, tant la courtoisie du roi des Pays-Bas avait tout subordonné à ses convenances et à son prestige, et relégué en quelque sorte au second plan l'autorité du souverain véritable, sans toutefois compromettre celle-ci.

(1) Je ne saurais trop me louer du concours d'un érudit gantois d'un rare savoir, M. l'avocat Prosper Claeys, auteur des Mélanges historiques et anecdotiques de la ville de Gand, des Pages d'histoire locale gantoise, etc., qui a bien voulu se mettre à ma disposition, pour toutes mes recherches, avec une extrême obligeance.

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