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le revendique. Étrange aberration! Qu'on se le persuade bien, ces époques de transitions sociales qui virent naître les Dumoulin, les Loyseau, les Domat, les Pothier, les d'Aguesseau, sont loin de nous; la codification de nos lois, but auquel tendaient ces flambeaux de la civilisation, a réduit au rôle de simple légiste quiconque entreprend aujourd'hui d'écrire; légiste plus ou moins habile, plus ou moins profond, plus ou moins logicien : 'mais le temps des grands jurisconsultes semble passé ; l'interprétation des lois existantes est le seul domaine qu'il nous soit donné de parcourir; et l'on admettra qu'après les sommités juridiques qui ont accompli cette tâche dans les premières années de notre siècle, il est bien téméraire d'aspirer à innover.

Depuis 50 ans que le Code a été publié, toutes les avenues de la science ont été explorées; tout ce qui peut se dire sur le droit a été dit; tous les points susceptibles de discussion ont été soumis à nos tribunaux; la plupart sont passés à l'état de principe; et si parfois il arrive encore, de loin en loin, que la cour de cassation modifie sa jurisprudence, ce n'est que devant l'autorité puissante de quelques hommes exceptionnels, mûris par l'expérience, vieillis dans les affaires, qui ont acquis par leurs profondes connaissances et leur haute capacité reconnue, le droit de lui soumettre un système.

Nous laissons à d'autres cette haute destinée: notre travail est notre seul mérite; faciliter l'étude des lois est notre unique ambition. Nous avons exposé sous chaque article, en nous efforçant d'être clair et concis, un enchainement de principes, et rapporté, en les discutant, toutes les questions théoriques disséminées dans d'innombrables traités. Un résumé analytique, placé à la fin de chaque titre, présente les règles dans un ordre logique, avec indication des pages où elles se trouvent développées.

Le plan de nos cinq premières éditions se renfermait dans cette limite; mais la pratique des affaires nous a démontré qu'il était trop restreint au delà du cercle des écoles, existe un autre monde dans lequel se jugent en définitive tous les systèmes : la jurisprudence. C'est dans les recueils d'arrêts qu'il faut chercher des idées vraies, des points de vue que la doctrine laisse à peine entrevoir, et la solution d'une foule de difficultés qui paraissent

inextricables en théorie. Mais comment consulter ces ouvrages volumineux, effroyable chaos où se trouvent confondues, souvent même sans ordre de date, les décisions judiciaires relatives à des lois diverses complétement étrangères l'une à l'autre ? Comment s'éclairer par ces codes annotés, tables des matières qui reproduisent les solutions sans donner de motifs? Nous avons entrepris d'explorer cette mine féconde; de coordonner, en les rattachant à des principes, les immenses matériaux qu'elle renferme au bas de chaque page, on trouvera tous les arrêts de principe; sous chaque question, à la suite des autorités doctrinales, tous les arrêts pour et contre. Le livre que nous publions est donc un résumé complet de doctrine et de jurisprudence; il répond aux besoins du praticien sans cesser d'être théorique.

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HISTORIQUE

DE LA

LÉGISLATION FRANÇAISE.

Législation antérieure à 1789.

Les lois ne sont que l'expression des mœurs et des idées communes des peuples; le législateur n'a d'autre mission que celle de constater ces tendances et de les réglementer: aussi, quelque radicale que la révolution française se soit montrée dans ses actes, les auteurs du Code se sontils bornés, dans leurs innovations civiles les plus heureuses, à réaliser les progrès indiqués par les discussions des auteurs et par la jurisprudence des tribunaux. L'unique objet de ce précis est de faire connaître les sources où ils ont puisé.

Avant la révolution de 1789, la France était régie par le droit romain, par des coutumes, par des ordonnances, enfin par des arrêts de règlement.

Droit romain. - Les provinces soumises au droit romain (en d'autres termes, les pays dits de droit écrit) comprenaient un peu plus du tiers de la France: que l'on prenne une carte ancienne, et qu'en partant, à l'ouest de l'île d'Oleron, du haut de la Saintonge, on suive cette ligne brisée qui sépare la Saintonge de l'Aunis, du Poitou, de l'Angoumois ; le Limousin et la Basse-Marche, du Berry et de la Haute-Marche; la Haute-Auvergne, le Velay, le Forez et le Beaujolais, de la Basse-Auvergne et du Bourbonnais; le Mâconnais, de la Bourgogne; la Bresse, de la Franche-Comté : tous les pays que l'on rencontre en allant de cette ligne vers le sud-ouest, sud et sud-est, étaient de droit écrit; ceux que l'on rencontre en allant de cette ligne vers le nord-ouest, nord et nord-est, étaient de droit coutumier.

Il faut ajouter aux pays de droit écrit ceux qui dépendaient des conseils supérieurs de Perpignan, de Colmar et de Bastia, c'est-à-dire, le Roussillon, l'Alsace et la Corse; enfin, le comtat Venaissin.

Cette différence de législation entre les provinces de la France est signalée notamment dans une ordonnance de Philippe dit le Bel, rendue en juillet 1302, qui institue une école de droit civil et canonique à Orléans. En dehors des matières de la foi, porte cette ordonnance, notre royaume est régi par la coutume, bien plus que par le droit écrit, quoiqu'en plusieurs parties nos sujets se servent, d'après la permission de nos ancêtres et la nôtre, du droit écrit; mais là même, c'est comme coutume que le droit écrit est laissé en pratique. »>

Dans les pays où le droit romain fut conservé, quelques coutumes s'établirent, il est vrai, pour régler les rapports de la tenure féodale, in

connue en droit romain; mais ce fut là un droit supplétif, auxiliaire et spécial, qui ne portait aucune atteinte aux libertés communales: le Midi conserva son indépendance, et avec elle tous les restes de son organisation romaine, ses municipes, son commerce actif, sa culture intellectuelle; la liberté était la règle, et l'esclavage l'exception; on tenait pour maxime nul seigneur sans titre. Dans le Nord, au contraire, où l'esclavage était la règle, et la liberté l'exception, on disait : nulle terre sans seigneur.

Le droit romain qui fut introduit dans les Gaules paraît avoir été tour à tour le Code Théodosien et le Code Justinien; puis il y eut une époque de décadence; mais au x1° siècle une recrudescence se manifesta: les copies des novelles, du Code de Justinien, des Institutes et du Digeste, multipliées à l'excès, se répandirent dans toute l'Europe, et donnèrent à l'étude de cette législation, dans les provinces méridionales de la France surtout, une impulsion qu'elle a conservée jusqu'à nos jours.

Coutumes. Entre le x et le XIIe siècle, une grande révolution, s'étendit sur toute la France: les habitants des villes, les commerçants, les propriétaires libres et non nobles se soulevèrent.

La plupart des villes eurent des administrateurs et des juges de leur choix, une administration, une justice, et ce qu'il fallait pour faire respecter cette indépendance: des murailles fortifiées et une milice.

Beaucoup de paysans attachés à la glèbe se réfugièrent alors dans les villes; un grand nombre reçurent ou achetèrent le droit de commune; enfin, les rois, jaloux d'affaiblir l'autorité des seigneurs, encouragèrent cette tendance en affranchissant les serfs de leurs terres, moyennant finance.

C'est ainsi que se créa cette classe nombreuse de vilains et de roturiers, qui depuis, sous le nom de tiers état, balança l'influence de l'aristocratie féodale et cléricale.

A cette époque la puissance royale n'était encore qu'illusoire en France; elle ne pouvait se fonder que sur les ruines de la féodalité mais on était loin encore d'atteindre ce but, d'immenses travaux restaient à accomplir; la couronne devait conquérir un prestige qui lui manquait : il fallait pour cela une succession de grands rois tous animés des mêmes sentiments d'ambition, d'honneur et d'indépendance; il fallait que l'Eglise employât également ses efforts pour fonder un ordre civil et politique. Le destin nous accorda ce concours de circonstances. Insensiblement, les seigneurs furent réprimés, les bourgeois élevés, le commerce, l'industrie, les sciences et les arts protégés, et pendant qu'à l'aide d'institutions régulières, l'administration du royaume s'organisait, nos diverses provinces, valeureusement défendues contre l'étranger, soigneusement réunies, se lièrent en un seul pays : la France moderne.

Les institutions de St Louis portèrent le plus grand coup à la souveraineté féodale, en introduisant l'appel des sentences des bailliages au conseil du roi, connu déjà sous la dénomination de parlement. Le recours ne fut d'abord admis que dans des cas extraordinaires; mais bientôt le parlement fut détaché du conseil des rois et rendu permanent; il devint un deuxième degré de juridiction. Le prince put alors régler

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