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ment, et la plupart n'étaient pas même en état de payer cette contribution.

Manants. Sur 2,493 contribuables à la manance:

149 chefs de famille, ou veuves, étaient hors d'état de payer aucune imposition;

597 ne pouvaient payer aucune imposition royale, et n'étaient jamais taxés, par le Magistrat, au delà de 32 sols;

800, quoique cotisés, étaient toujours en extance, et ne parvenaient à s'acquitter ai des arrérages ni du courant.

Si nous additionnons ensemble ces petits et ces mauvais contribuables, nous trouverons un total de 2,481 chefs de famille ou veuves, dont les deux tiers environ doivent être rangés parmi les pauvres honteux, discrètement assistés par les citoyens charitables et par les paroisses.

Pour cette population nombreuse, le premier des biens, le complément ou la rançon de l'assistance, c'est le bon marché des denrées. Pénétré de cette pensée, le Magistrat de Strasbourg influait de deux manières sur le prix des objets de consommation: il les soumettait à une taxe continue ou accidentelle, et exposait sur le marché, en temps opportun, des approvisionnements qui servaient à maintenir le prix à un taux modéré. Nous n'avons pas à juger ici ces moyens au point de vue économique, nous nous contentons de les exposer.

Les diverses professions commerciales étant régies à Strasbourg par le système des corporations, c'est-à-dire du monopole; il était indispensable qu'une taxe arbitrée par le Magistrat réfrenât l'esprit de coalition qui fermente toujours parmi les marchands, lorsque leur nombre limité et le privilége dont ils sont investis les mettent à l'abri de la concurrence. Le prix du pain, de la viande, de la bière, de l'huile à brûler, de la chandelle, était done en tout temps. fixé par le Magistrat de Strasbourg. Dans les jours de cherté, le tarif municipal englobait toutes les denrées sans exception, y compris les petits oiseaux, selon l'observation naïve d'un chroniqueur; mais on ne recourait à cette mesure extrême que lorsque le peuple commençait à murmurer. La taxe était alors plus favorable que nuisible aux marchands; elle leur tenait lieu de sauve-garde, car on l'établissait avec équité (1), en ayant égard aux circonstances, et l'on pre(1) Notices, t. 11, p. 173.

nait grand soin de ne pas écarter du marchés les débitants. Dans cette vue, la mercuriale était enregistrée jour par jour à l'Hôtel de Ville.

Nous avons dit qu'abstraction faite de la taxe, l'ancienne administration municipale de Strasbourg réussissait à prévenir ou à modérer l'extrême cherté des subsistances. En effet, elle employait dans ce dessein, des ressources en nature que les fonds de terre appartenant à la ville et les redevances qu'elle recevait, soit à titre seigneurial, soit à titre de propriétaire, mettaient à sa disposition. La ville n'avait aucune avance à faire pour s'approvisionner de grains, de vin, de bois; ses vassaux et ses fermiers apportaient régulièrement dans les magasins, les caves et les chantiers publics, les dîmes ou les rentes en nature dont ils étaient redevables. Le Magistrat, loin de spéculer sur ces denrées, comme un marchand ordinaire, consultait l'intérêt public pour choisir le jour de les mettre en vente. Les établissements de charité également possessionnés en dîmes et en rentes, l'hôpital bourgeois, l'aumônerie de Saint-Marc, la maison des enfants trouvés pratiquaient le même système désintéressé. Les administrateurs de ces fondations auraient cru manquer à leur mission de charité, s'ils eussent prélevé un bénéfice sur la masse de la population, au risque d'augmenter la gêne du plus grand nombre.

Le plan que le Magistrat de Strasbourg suivait, en vue de maintenir dans une limite équitable le prix des grains, mérite d'être exposé avec quelque détail. Tous les ans, à dater du premier vendredi du mois de mai; jusqu'à la fin du mois de septembre, 50 à 60 hectolitres de grains tirés des greniers de la ville, étaient apportés au marché et vendus aux bourgeois ou aux boulangers indifféremment, sur le pied du prix moyen, sans que la même personne pût en acheter plus de deux sacs le même jour. Une fois l'automne venu, le Magistrat s'abstenait de toute vente de grains à moins de circonstances extraordinaires. On a deviné la raison de ce système: M. de Kentzinger, ancien maire de Strasbourg, nous l'explique en propres termes. Dans la première période, fait-il remarquer (1), du mois de mai au mois de septembre, les marchés sont le moins approvisionnés parce qu'alors

(1) Des Grains et de quelques objets de police à Strasbourg, p. 57 et 58; Strasb., 1820.

les cultivateurs ont pour la plupart vendu la presque totalité de leurs grains et sont le plus occupés à la campagne. Au contraire, la récolte étant faite et la crise des travaux étant passée, les approvisionnements des greniers publics «devaient d'autant moins inter«venir sur le marché, qu'on approchait de l'époque à laquelle le «prix moyen réglait le pied sur lequel se faisait le rachat des rentes «en grains. La ville ne devait pas être soupçonnée d'avoir eu une «influence quelconque sur ce prix. >>

Nous omettons de retracer le régime suivi à Strasbourg pour la vente du sel, de la chandelle et d'autres consommations de première nécessité. Nous n'avions point d'autre dessein que de rappeler avec quel soin le Magistrat de cette ville s'évertuait non-seulement à soulager, mais à prévenir l'indigence. Les moyens qu'il prenait pour atteindre ce but ne sont plus applicables dans notre état de civilisation; mais l'intention qui dictait ces mesures surannées n'a rien perdu, ce nous semble, de son opportunité et de son importance. Quoique l'on commence à s'en apercevoir généralement, il ne faut pas négliger l'occasion de le faire remarquer une fois de plus, dût la mauvaise foi accuser de complaisance envers l'ancien régime et de mauvais vouloir pour notre temps, celui qui, sans prétendre le moins du monde ressusciter ou même célébrer outre mesure des formes abolies, signale avec impartialité les lacunes que présentent les institutions nouvelles.

Autrefois, disait en 1839 M. Schützenberger, maire de Strasbourg (1), «les établissements de charité étaient suffisants parce qu'ils se combinaient avec des institutions sociales qui avaient pour but et pour effet de prévenir le paupérisme. L'organisation sociale du travail et la constitution de la commune y opposaient une digue qui depuis a été rompue. » En effet, les corporations d'arts et métiers n'avaient pas été, à Strasbourg comme en France, dénaturés par l'arbitraire et par l'esprit fiscal. Dans cette ville maintenue à la capitulation de 1681, sous l'empire de sa législation particulière, elles avaient échappé à cette succession d'édits qui, remaniant sans cesse et sans raison l'organisation des métiers, transformant les maîtrises

(1) Rapport du maire sur les causes du pauperisme, et les moyens les plus convenables d'en prévenir et d'en corriger les effets, p. 2; Strasb., 1840.

en priviléges héréditaires et les fonctions de jurés et de gardes en titre d'offices, avaient accru le monopole du travail et tracé une démarcation de plus en plus profonde et injuste entre les maîtrises et les compagnons. A Strasbourg, au contraire, ceux-ci avaient des droits reconnus, et les exerçaient librement. Tandis que les ordonnances des rois interdisaient sévèrement aux garçons de métiers de former aucune assemblée et de délibérer sur leurs intérêts, les compagnons strasbourgeois jouissaient du droit d'association et entrenaient une caisse commune, selon les lois et coutumes de l'Allemagne. » De même que chacune des tribus entre lesquelles tous les citoyens de la ville, nobles et bourgeois, étaient répartis, avait sa maison de réunion où l'on trouvait à manger et à boire, les compagnons de chaque métier se choisissaient une auberge ou un cabaret bien famé et bien tenu. Là, les ouvriers en voyage trouvaient un lit et un gîte, en attendant qu'ils fussent placés chez un maître. L'un des plus anciens garçons de métier, élu par ses camarades, était chargé des fonctions de placeur. Tous faisaient une bonne police entre eux; ils punissaient ceux qui se conduisaient mal, et au Lesoin, les dénonçaient aux compagnons établis dans les villes voisines. Hermann, à qui novs empruntons ces détails, ajoute (1): « Rien ne contribua plus au «maintien des mœurs que cette censure domestique... La police entre «les milliers de garçons de métier qui travailla:ent à Strasbourg, se <«<faisait facilement, avant la Révolution, sans frais, et il n'y avait pas a de commissaire de police. L'ammeister-régent et un procureur fiscal, «faisant les fonctions du ministère public, suffisaient pour le main«tien de la sûreté publique. »>

Tout en nous félicitant que la liberté du travail ait été restituée aux ouvriers, il nous sera permis de regretter que, jusqu'à présent, cet incomparable bienfait ne se soit pas concilié avec les précieux avantages que nous venons d'énumérer.

(La suite au numéro prochain.)

(1) T. 1, p. 455.

AMEDEE HENNEQUIN.

Le gérant, Alexis CHEVALIER.

Faris. Imprimerie de Rigsous, rue Monsieur-le-Prince, 29 bis.

DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

LOI RELATIVE AUX CONTRATS D'APPRENTISSAGE.

La loi relative aux contrats d'apprentissage est une preuve nouvelle de la sollicitude des représentants du pays pour le bien-être et la bonne éducation des classes ouvrières. Elle a pour but d'assurer une protection efficace aux enfants, trop souvent délaissés sans appui au milieu des travaux et des dangers de l'industrie dans nos grandes villes.

Cette loi, dont les sages et prudentes dispositions avaient été mûrement étudiées par la commission d'assistance, semblait devoir passer sans opposition; M. Madier de Montjau l'a pourtant attaquée avec une grande violence. Les arguments passionnés de l'orateur montagnard ont été très-heureusement réfutés par M. Henri de Riancey, l'un des membres de la commission. Nous donnons, d'après le Moniteur, les principaux passages de cette réfutation, qui a été accueillie par la majorité avec une faveur marquée, qui expose très-bien l'esprit et les avantages de la loi.

Alexis CHEVAlier.

et

M. DE RIANCEY. Messieurs, on a reproché à la loi d'être une loi dure, et d'être une loi impossible.

Quant à la dureté de la loi, je vous demande la permission, en très-peu de mots, de vous redire ce qu'elle a fait pour la tutelle et pour la protection des intérêts qu'elle voulait défendre.

Je remarque d'abord que c'est la première fois qu'une grande as

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