Page images
PDF
EPUB

Ce projet de loi était, à mon avis, un chef-d'œuvre de bon sens; il obviait d'une manière efficace aux inconvénients qu'on pouvait redouter de la concurrence du travail des prison.

Ces inconvénients étaient de deux sortes: la vileté des prix auxquels les produits manufacturés pourraient être offerts sur les marchés, et la nature même des industries qui occuperaient beaucoup de bras dans le pays et auraient des débouchés à peine suffisants.

Le projet de loi donnait à l'autorité le droit, quant au premier point, de régler les tarifs de main-d'œuvre par nature de vente, et, quant au second, de déterminer les travaux qui pourraient être exploités (1), et d'interdire la vente, en certains lieux, des objets manufacturés.

Et comme l'appréciation de ce qu'il convient de faire à cet égard dépend d'une foule de circonstances variables suivant les localités, c'est à l'autorité locale, c'est-à-dire au préfet, sous la haute direction du ministre de l'intérieur, que le projet conférait ces attributions.

Au lieu d'adopter cette marche si simple et si naturelle, l'Assemblée constituante voulut réglementer elle-même la matière par la voie d'une mesure législative générale, et elle rendit, le 9 janvier 1849, la loi suivante :

« Art. 1er. Le décret du 24 mars dernier, qui a suspendu le travail dans les prisons, est abrogé.

«Art. 2. Les produits fabriqués par les détenus des maisons centrales de force et de correction ne pourront être livrés sur le marché, en concurrence avec ceux du travail libre.

«Art. 3. Les produits du travail des détenus seront consommés par l'État, autant que faire se pourra, et conformément à un règlement d'administration publique.

«Art. 4. Dans le cas où le travail des détenus serait fait à l'entreprise, les objets laissés pour compte à l'entrepreneur par l'État ne

(1) Il aurait peut-être convenu d'ajouter un autre droit, à savoir celui de limiter le nombre des détenus qui pourraient être employés à telle ou telle des industries autorisées. On sent en effet que la concurrence de 10 détenus, par exemple, pourrait être insensible, tandis que celle de 40 ou 50 ne serait pas sans quelque danger.

600

pourront être livrés sur le marché qu'après une autorisation spéciale

du tribunal de commerce.

«Art. 5. Les condamnés avancés en âge, infirmes, ou que le directeur reconnaîtrait ne pouvoir être employés autrement, seront occupés à des travaux dont la nature sera déterminée par un règlement d'administration publique, et les produits pourront être exportés ou vendus à l'intérieur.

«Art. 6. Ces dispositions ne seront applicables, dans les maisons soumises à une entreprise, qu'à l'expiration ou à la résiliation des engagements contractés par l'État.

Tel est l'ensemble de cette loi, dont le caractère principal est d'être inexécutable; c'est ce qu'il sera facile de reconnaître en parcourant successivement quelques-unes de ses principales disposi

tions.

L'art. 3 veut que les produits du travail des détenus soient consommés par l'État. Cette mesure, indiquée comme nécessaire pour ne pas nuire au commerce industriel, n'a pas dans la réalité un caractère sérieux. Voici, à ce sujet, un raisonnement d'un homme trèscompétent en cette matière; il me paraît sans réplique :

Parmi les remèdes proposés pour atténuer les effets de la concurrence faite par le travail des prisons au travail libre, on a proposé d'affecter à la consommation de l'État le produit du travail des détenus. Mais c'est évidemment tourner dans un cercle vicieux, ou se placer à côté de la question; ce que l'État prendra aux détenus, il cessera de le puiser à la source du travail libre. Si, par exemple, les travailleurs des maisons de détention fabriquent de la toile à voile, et que l'État s'adresse à eux pour remplir les arsenaux, les fabricants de toile à voile se plaindront avec raison, et, la difficulté ne sera pas résolue » (1).

L'art. 3, dans sa rédaction primitive, s'arrêtait aux termes qui ont été relatés tout à l'heure. L'Assemblée sentit qu'une prescription pareille avait quelque chose de trop absolu, les besoins de l'Etat, comme consommateur, étant nécessairement limités, et elle adopta,

(1) Paroles prononcées à l'Académie des sciences morales et politiques par M. Charles Lucas (voir le Moniteur du 12 avril 1850).

par amendement, l'addition des mots qui suivent: Autant que faire se pourra et conformément à un règlement d'administration publique. Mais ici une difficulté se présente, et elle est inextricable. Quid, s'il n'est pas possible que les travaux exécutés soient consommés par l'État? Comme, aux termes de l'art. 2, il est absolument interdit de les livrer sur le marché, il ne restera que cette alternative: ou les laisser pourrir en magasin, ou les jeter aux flammes.

Et voilà ce qui explique pourquoi, après deux années écoulées, le règlement prescrit par l'art. 3 n'a pas été rendu : c'est que le conseil d'État a reconnu que c'était là une œuvre impossible.

Passons à l'art. 4, relatif aux travaux faits à l'entreprise. Il veut que les objets laissés pour compte à l'entrepreneur par l'État ne puissent être livrés sur le marché qu'après une autorisation du tribunal de commerce. Il est naturel de se demander comment on a pu supposer qu'il se rencontrerait un entrepreneur prêt à accepter une condition semblable. Ce serait assurément là un acte de démence.

Il est inutile de pousser plus loin cet examen, pour être convaincu des vices de la loi du 9 janvier 1849.

Si maintenant on cherche à se rendre compte des résultats de cette loi, on reconnaîtra que, dans un certain nombre de maisons centrales soumises à une entreprise en cours d'exécution, le travail a été rétabli en vertu de l'art. 6 (1). Partout ailleurs les directeurs de ces établissements, placés entre des dispositions incohérentes, qui se contrarient entre elles si elles ne sont absolument inconciliables, se heurtent à chaque pas contre des difficultés sans cesse renaissantes. Tantôt, comme à Metz, le travail est absolument supprimé, à l'exception de quelques individus occupés à des ouvrages intérieurs dans la maison; ailleurs on voit, dans une même maison, une partie des détenus travaillant dans des ateliers, et les autres oisifs. Une telle situation est intolérable; il faut en sortir pomptement, et pour cela, il n'y a qu'un seul moyen, qui se résume en ce mot: rétablir complétement le travail dans les prisons.

Sans doute, la concurrence de ce travail n'est pas sans quelques

(1) C'est là ce qui a eu lieu dans la maison centrale de Riom, dont il a été question à l'occasion d'une pétition des chapeliers de Clermont.

inconvénients pour celui des ouvriers libres; mais, si une telle raison était jugée suffisante pour l'interdire, où s'arrêterait-on dans cette voie? Il faudrait donc briser les machines, car elles nuisent à l'industrie des filateurs ou des tisserands à bras; il faudrait détruire les chemins de fer, car ils nuisent au roulage et à bien d'autres industries encore.

La question se réduit à ceci : Le travail est-il nécessaire dans les prisons, comme moyen de moralisation? L'affirmative ne me paraît pas douteuse.

Les prisons se divisent en deux grandes catégories, suivant qu'elles sont placées sous le régime de la vie commune ou sous celui de l'isolement.

La vie commune, de l'avis de tous, est, même avec le travail, un foyer incessant de corruption. Que sera-ce, si, à cette première cause, vous en joignez une seconde dans l'oisiveté, si bien appelée la mère de tous les vices? (1)

Quant à l'isolement, autrement le régime cellulaire, les partisans les plus prononcés, les plus enthousiastes de ce système, ne l'ont jamais admis qu'avec le correctif du travail. L'emprisonnement cellulaire sans travail..., eh! mais c'est un supplice atroce, monstrueux, c'est un raffinement de barbarie indigne de notre siècle; c'est une torture morale plus épouvantable que les tortures physiques contre lesquelles se révolte notre imagination.

Si le travail des prisons est nécessaire, la conclusion, je l'ai déjà dit et je le répète, c'est que pour obvier à ses inconvénients, il faut non pas le supprimer, mais le réglementer.

Cette réglementation pourrait, d'après les détails dans lesquels je suis entré, avoir lieu en prenant pour base le système du projet de loi présenté le 18 août 1848.

C'est dans ce but que j'ai déposé, quelques jours avant la proro

(1) Dans la maison de correction de Metz, on a éprouvé des effets salutaires de l'introduction des écoles, qui ont atténué, à un certain degré, le mal produit par la cessation du travail manuel; mais les détenus ne passent à l'école que six ou sept heures de la journée, suivant les saisons, et le reste du temps ils sont livrés à l'oisiveté.

gation, une proposition qui, à part quelques légères modifications, n'est autre chose que la reproduction de ce projet.

D'un autre côté, le conseil d'Etat a préparé, depuis plusieurs mois, un projet de loi sur le travail des prisons, et il est à ma connaissance que M. le ministre de l'intérieur a l'intention d'en saisir l'Assemblée nationale, dans les premiers jours qui suivront la reprise de ses travaux législatifs.

Dans cet état, j'ai pensé qu'il était bon d'appeler l'attention du conseil général sur cette matière importante, et tel est l'objet du vœu que j'ai soumis à son approbation.»>

Les conclusions de ce rapport ont été adoptées par le conseil général de la Moselle.

DISCOURS SUR LES PRIX DE VERTU,

Prononcé dans la séance du 28 août 1851,

PAR M. DE NOAILLES,

DIRECTEUR DE L'Académie française.

(Extraits).

L'abbé BERTRAN, curé de Peyriac-Minervois (Aude). Julie CAMET fondatrice de l'asile d'Upie (Drôme). -Elisa SELLIER, de VillersEscalles (Seine-Inférieure).

«...

L'homme vénérable qui a fait un si bel emploi de sa fortune en faveur de l'humanité, M. de Montyon, a voulu que la vertu simple et obscure reçût aussi de vos mains son titre à la reconnaissance et à l'admiration publiques. En chargeant le corps littéraire le plus illustre d'être l'exécuteur de sa volonté, il semble avoir eu l'intention de rappeler que la vertu ne doit jamais être séparée du talent, que la

« PreviousContinue »