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on reconnaissait à Strasbourg la convenance d'isoler ces malheureux, et de les soumettre à un traitement particulier. En 1784 et 1785, on arrangea au fond de la cour de l'hôpital une salle réservée aux aliénés. La situation et la distribution de ce local laissaient beaucoup à désirer; mais la crise révolutionnaire, l'accroissement de dépenses, et la diminution des revenus dont elle avait affligé les fonds de l'hċpital, forçaient à différer les améliorations qui eussent été plus complètes et plus coûteuses. Cependant, le 23 mars 1791, un incendie dévora la salle nouvellement construite; il fallut donc pourvoir d'urgence à une autre installation. En effet, dès le lendemain, l'administrateur des établissements publics lut au conseil municipal un rapport remarquable (1), dont nous citerons quelques fragments. «Le local incendié, disait cet homme de bien, n'offre aucun moyen de séparer les différentes classes d'êtres dont les organes intellectuels ont souffert un dérangement. Les fols sont en aspect les uns des autres, ils entendent les chaînes bruyantes de ceux qui sont parvenus au dernier période du mal, et cette perspective cruelle semble leur assurer le sort qui les attend. Il sera bien difficile de tenter des guérisons avec succès, tant que les circonstances extérieures excitent et abattent l'àme du malade. Le local incendié ne permet d'ailleurs aucune promenade; la salle des fols est un sépulcre ouvert d'où ils ne sortent guère que pour aller au bain ou au cimetière. >>

On proposait en conséquence d'approprier au logement et au traitement des fous un bâtiment appartenant à la commune et situé hors de l'enceinte de l'hôpital, le Marstall, ou anciennes écuries de la ville. Les constructions que l'on projette d'élever, le régime qu'il est question d'établir, portent, il est vrai, l'empreinte des préjugés qui avaient cours, à cette époque, au sujet des fous, même parmi les savants de profession. Ces malheureux inspirent encore à ceux qui les approchent une appréhension exagérée; mais on se promet en même temps de les distraire, de les occuper, de les récréer par le travail, et de leur ménager des sensations consolantes. Dans cette pensée, les cours et jardins seront plantés d'arbres; les fols ne seront plus privés d'espace pour se promener au grand air, «peutêtre même, ajoute le rapporteur, des médecins habiles trouveront

(1) Rapport sur la reconstruction des salles des fols, 24 mars 1791,

ils convenables de laisser quelquefois remuer la terre à ces êtres malheureux; le retour vers les occupations les plus simples de la nature pourrait effacer des images que les passions ont trop vivement imprimées.» On se réjouit que la situation de l'établissement proposé permette aux aliénés d'entendre, plusieurs fois par jour, le son des musiques militaires. On essayera de les habituer à quelque occupation. Des catégories seront formées, car il faut que des régimes différents puissent être essayés et appliqués à ceux que les médecins ont entrepris de guérir. «Quelle consolation pour nous tous. s'écrie le rapporteur, si quelque malheureux recouvre ses sens par le secours que nous lui aurons préparé. La bénédiction de Dieu repose sur ces bienfaits!.. » --« Quoique convaincu de la nécessité d'enrayer sur les dépenses publiques, motif qui influe sur le choix du local, je crois notre conscience engagée à redoubler de soins pour arracher à l'état de brute l'homme infortuné. Des infirmiers ou infirmières, qui fassent des observations sur les travers d'esprit des aliénés, qui soient assez instruits pour épier les nuances de leur caractère, et qui puissent être dirigés vers cet examen par un médecin attaché par goût et par humanité à cette pénible recherche : tels sont les principaux agents d'un établissement pour les malades d'esprit. >>

Les désordres de la révolution française ne permirent pas d'exécuter ce projet. Près de quarante ans s'écoulèrent avant que les fous de Strasbourg eussent été transportés à la campagne, dans un paisible et riant séjour, dans l'ancienne commanderie de Stephansfeld, où nous sommes allé les visiter.

II. AUMONERIE DE SAINT-MARC.-En 1523, le Magistrat de Strasbourg institua, pour les pauvres artisans de la bourgeoisie, un burean d'aumônes, qui n'eut dans l'origine d'autres ressources que les dons volontaires des couvents, le produit des troncs et des quêtes à domicile, ainsi que d'autres revenus éventuels. Mais, lorsque Strasbourg cut embrassé la réforme, le bureau d'aumône hérita, en 1529, des biens du couvent de Saint-Marc; il reçut de plusieurs citoyens, et particulièrement du sénateur Daniel Steinbock, des legs et des donations considérables.

Enfin le Magistrat octroya à l'aumônerie de Saint-Marc les droits et priviléges suivant:

1o Le produit des collectes dans les églises protestantes;

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2o La moitié du produit des quêtes extraordinaires qui avaient lieu dans les mêmes églises, le jour de Noël;

3o Le produit des collectes faites dans les cimetières, lors des en

terrements.

4o Le droit de deshérence dans la ville et sa banlieue;

5o Le droit d'hériter de ceux qui avaient joui des aumônes de Saint-Marc;

6o La moitié des sommes payées pour autorisation de se marier dans l'année de deuil ou dans un degré prohibé;

7° Une part dans les amendes prononcées par la police; 8° Une part du prix de location des corbillards.

L'aumônerie de Saint-Marc distribuait aux bourgeois dignes de secours, à leurs veuves et enfants mineurs, du pain et des subsides en argent ; elle était aussi chargée de délivrer gratis des médicaments, sur l'ordonnance du médecin-physicien de la ville, aux malades qui ne désiraient pas entrer à l'hôpital. Les directeurs de Saint-Marc administraient le Bosenhaus, qu'ils avaient fondé, et de plus le Blatterhaus, que le Magistrat avait remis entre leur mains en 1535. (La suite au prochain numéro.)

AMEDEE HENNEQUIN.

BIBLIOGRAPHIE.

Mémoire sur le paupérisme dans les Flandres; par E. DUCPÉTIAUX, inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance en Belgique. (Bruxelles; Hayez, imprimeur; 1850.)

L'Académie des sciences de Bruxelles avait mis au concours de 1850 la question suivante: Exposer les causes du pauperisme dans les Flandres, et indiquer les moyens d'y remédier. Pour apprécier l'importance de cette question, il faut savoir que, depuis douze ou quinze ans, le domaine de la misère s'étend sur les deux Flandres belges dans une proportion effroyable. En 1837, dans la Flandre orientale, le nombre des indigents secourus par les bureaux de bienfaisance était de 12 sur 100; il est monté progressivement jusqu'à 28 en 1847. Dans la Flandre occidentale, on secourait, à la première époque, 18 habitants sur 100, et 37 à la seconde. Aussi ce pays a-t-il déjà été appelé l'Irlande de la Belgique. Le programme de l'Académie était donc emprunté à une réalité actuelle, d'un intérêt qu'on pourrait qualifier de palpitant.

Pour répondre à un appel dicté tout à la fois par l'humanité et par la politique, M. Ducpétiaux a composé un traité complet sut cette

grande question du paupérisme qui tourmente si cruellement nos sociétés modernes. Pénétrant dans la situation particulière des Flandres, il satisfait d'abord aux conditions du programme académique; mais par les considérations générales dont il s'est inspiré, par les regards qu'il a jetés sur les causes de la misère, il en a élargi les termes. Son travail, que l'académie a couronné, ne forme pas une simple étude locale; c'est, au contraire, une étude locale renfermée dans un encadrement dont la richesse et l'ampleur rivalisent puissamment avec le fonds du tableau.

Le mot tout moderne de paupérisme, importé d'Angleterre sur le continent, exprime l'idée de cette misère permanente, héréditaire, passée à l'état chronique, qu'il ne faut pas confondre avec la pauvreté dans le sens ordinaire de ce mot. La pauvreté est surtout un mal individuel, le paupérisme emporte davantage avec lui la pensée d'un mal social. Peut-être pourrait-on dire qu'il y a la même différence de maux qu'entre les maladies du corps humain dont l'action est purement locale, et celles qui atteignent aux sources mêmes de la vie et jettent des perturbations dans l'organisme tout entier.

Après avoir sondé la situation actuelle, M. Ducpétiaux recherche quelles sont les causes du paupérisme dans les Flandres belges. Là, comme partout, il y en a de permanentes et d'accidentelles; les unes et les autres sont analysées, dans le livre de M. Ducpétiaux, avec une grande netteté de vues et un sentiment profondément sympathique pour les souffrances qui en résultent. La question des remèdes était surtout très-difficile à résoudre. M. Ducpétiaux est un esprit pratique qui ne s'est pas laissé égarer dans de chimériques utopies. Sans doute les moyens qu'il conseille ne sont pas tous également sûrs, également faciles à mettre en œuvre; mais cette partie de son ouvrage contient du moins des études très-complètes sur l'industrie et le commerce des Flandres, sur les subsistances et la population, comme sur l'instruction et la bienfaisance publiques.

Ce qu'il dit des Flandres s'applique le plus souvent avec autant de raison à certaines parties de notre propre pays. Son écrit, qui se recommande de lui-même à l'attention du gouvernement belge, offre aussi un intérêt réel à tous les hommes que préoccupent les grandes questions de l'économie sociale, et le désir d'amoindrir les maux auxquels est assujettie l'humanité. Quand on réfléchit sur les conditions de la nature humaine, sans doute il n'est pas possible d'espérer qu'un jour toute misère aura disparu du monde, et que tous les hommes, mis à l'abri des conséquences de leurs propres faiblesses et des vicissitudes du sort, goûteront un bonheur sans mélange. Si un pareil état de choses se réalisait, ce n'est pas la société qu'on aurait transformée, mais l'homme lui-même. Il faudrait, pour en venir là, que notre nature cessât d'être ce qu'elle est. Mais la consolation des à mes généreuses vient de cette confiance, qu'en combinant les ef

forts de l'esprit de charité avec un intelligent emploi des ressources sociales, on peut arriver à restreindre les chances malheureuses suspendues au-dessus de nos têtes, et à rendre moins rigoureuses les atteintes qu'il n'aura pas été possible de prévenir.

A. AUDIGANNE,

Chef du bureau de l'industrie au Ministère du commerce et de l'agriculture.

Le Dimanche des soldats, par M. Anatole DE SEGUR.

Aujourd'hui l'armée n'est pas seulement la terreur des factions et le désespoir des ennemis de la France, elle donne un démenti à toutes les prédictions de décadence, à tous les symptômes de chute. Au milieu de l'affaiblissement des principes anciens, du mépris et des ruines du passé, elle conserve intactes et pures ces vieilles traditions d'honneur, héritage des grands hommes et des grandes époques; elle se maintient obéissante et disciplinée au sein de l'insubordination générale, et pendant que tant d'esprits s'enivrent d'incrédulité ou s'endorment dans l'indifférence, le soldat français se montre religieux, et va donner à Rome, qu'il a délivrée, l'exemple de la foi et de la prière.

Mais, dans nos grandes villes, le soldat rencontre de sérieux dangers qui ne prennent pas toujours la forme d'une émeute ou d'une barricade; en contact avec une population viciée qui spécule sur les passions, exposé à mille piéges tendus par la corruption à son inexpérience, le jeune conscrit, sorti d'hier de son village, ne connaissant que le clocher de sa paroisse, ne trouve dans ce vaste désert d'hommes aucun ami pour le guider, aucun toit hospitalier pour le recevoir; il n'a souvent, comme lieu de repos que le cabaret, comme distraction que les bals et les réunions mal famées; les heures que ne réclame pas le service le livrent sans défense à tous les entraînements du mal.

De saints prêtres, des hommes de foi, ont compris qu'il lui fallait d'autres distractions et d'autres enseignements: de là ces œuvres qui, multipliées déjà dans les villes les plus importantes, accueillent et instruisent les soldats, et liées entre elles par un but et un dévouement communs, leur préparent des amis dans chaque garnison, et veulent placer une école et une bibliothèque auprès de chaque

caserne.

Le Dimanche des soldats, que vient de publier M. Anatole de Ségur, nous révèle la pensée de ces œuvres. Les récits que contient ce petit livre, mélange de contes, de souvenirs religieux et d'his

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