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arrêtée à son début une maladie qui, faute des premiers soins, eût pu devenir dangereuse.

A côté de ces avantages matériels si complets, cette association en offre d'autres qui sont peut-être plus remarquables encore. Tandis que partout les divisions les plus déplorables s'infiltrent à travers tous les rangs du corps social, l'union la plus franche, la plus cordiale, s'est établie entre tous les habitants membres de l'association de Cissey. Les barrières qui semblent ailleurs séparer les riches des pauvres sont tombées; en se rapprochant les uns des autres, tous les habitants ont appris à se connaître, à s'estimer, à s'aimer. Un échange incessant de bons services et de reconnaissance fait naître des rapports d'affection mutuelle; les préjugés se dissipent, et les classes moins fortunées trouvent dans le riche, que trop souvent on leur présente comme un ennemi, un frère tout disposé à les secourir, s'unissant à leurs joies, compatissant à leurs peines.

Divisée par quartiers, l'association de Cissey est présidée par autant de chefs de section chargés de présider au travail destiné au soulagement des membres qui y ont droit, et de veiller au maintien de l'honneur de l'association. Leur contrôle amical, accepté par ceux qui les ont élus, suffit pour maintenir, parmi tous les habitants, le sentiment de la plus haute moralité. Toute querelle entre les associés, toute parole injurieuse est réprimandée par le chef de section, et toute discussion d'intérêt est déférée au conseil de l'association, qui, avec ce bon sens populaire, bien souvent supérieur à la finesse de l'avocat, apaise les différends et règle à l'amiable toutes les contestations. Aussi l'union la plus parfaite existe-t-elle entre tous les membres, et il suffisait d'assister à la fête du 23 août pour s'en convaincre.

C'est la gaieté franche et cordiale due à ces rapports d'affection réciproque qui faisait surtout le charme de la

fête de Saint-Bernard, embellie du reste par le prestige touchant et solennel que prête à nos cérémonies le caractère religieux. Rien n'était plus gracieux et plus imposant à la fois que le cortége de l'association, quand, au retour de la messe, elle revint déposer la statue de saint Bernard dans la jolie chapelle gothique nouvellement restaurée par M. de Cissey, président de l'association, et qu'en même temps elle s'avança pour complimenter M. le sous-préfet de Beaune, venu pour la présider. La longue file des associés, en habits de fête, défilait dans le plus grand ordre, et déroulait, à travers les massifs de verdure et de fleurs, sa gracieuse spirale. Les musiciens jetaient dans les airs leurs notes les plus joyeuses, les bannières flottaient au vent, précédant ou suivant la statue de saint Bernard, portée par les jeunes gens; les jeunes filles vêtues de blanc entouraient le pain bénit, composé de brioches pyramidales et couvert de fleurs; les vieillards portaient les flambeaux de l'association. Il y avait surtout dans cette population de quatre à cinq cents âmes, réunie comme une famille avec ses chefs et ses enfants, une apparence de bonheur calme et serein qui pénétrait tous les cœurs et apportait à cette réunion un parfum de joie naïve qu'on eût cru emprunté aux siècles passés.

A deux heures, un banquet de cent convives, dressé sous un long dòme de feuillage, réunissait à la même table les chefs de famille et les propriétaires faisant partie de l'association.

Telle a été cette fête touchante qui se reproduira désormais chaque année. «Pendant que le ciel est si chargé de nuages du côté de France, ajoute notre correspondant, tout est calme et serein dans notre village; l'harmonie la plus parfaite, la probité la plus scrupuleuse, et la moralité la plus sévère, règnent en despotes, contre lesquels nul ne

songe à s'insurger. Tous les habitants s'aiment et s'estiment; l'autorité est respectée, parce qu'elle est aimée comme le lien naturel d'un ordre de choses utile à tous. »

C'est là, oui c'est là seulement qu'est le gage et le secret de la paix sociale. Nous appelons sur ce point l'attention de nos lecteurs, et nous publierons avec empressement toutes les communications qu'ils voudront bien nous adresser sur l'état présent des campagnes et sur les remèdes qu'il est possible d'y apporter.

ALEXIS CHEVALIER.

BIBLIOGRAPHIE.

Essai sur la question de l'extinction de la mendicité, par M. l'abbé HESLOT, curé d'Andouillé. Paris, Renouard, Périsse, Lecoffre, etc.

De nombreuses publications démontrent la nécessité d'éteindre la mendicité. Elles font connaître ses tristes résultats pour le pauvre, dont elle dégrade le caractère, et pour la société, qu'elle expose à d'incontestables périls. Mais, quand on y cherche les remèdes propres à guérir le mal, les digues à opposer au torrent, on est parfois réduit à n'y découvrir que l'indication de moyens théoriques, dépourvus de la sanction de l'expérience.

M. l'abbé Heslot a donc accompli une bonne œuvre en ajoutant à l'ensemble des documents déjà connus un historique clair et précis des mesures charitables employées avec succès dans plusieurs paroisses du diocèse dn Mans. Son livre révèle un dévouement profond et éclairé pour les pauvres, traite d'une manière complète la question de la mendicité, et présente d'irrésistibles arguments sur l'obligation de la résoudre au profit des classes indigentes.

L'auteur commence par l'énumération des décevantes utopies empruntées à l'antiquité et rajeunies par de modernes novateurs. Il n'a pas de peine à prouver qu'au lieu de venir en aide aux indigents, l'application de pareilles idées, si elle était possible, augmenterait leurs privations, leurs souffrances, et amènerait rapidement, comme dernière conséquence, l'égalité dans la misère.

M. Heslot se demande ensuite ce qu'il importe de faire pour obtenir l'exécution des lois prohibitives de la mendicité, et il s'empresse de reconnaître qu'avant de les mettre en vigueur, il faut ménager aux pauvres la possibilité de se procurer le nécessaire.

Mais comment atteindre ce but? Les bureaux de bienfaisance, avec leur composition et leur organisation actuelles, y parviendront-ils ? Il n'est pas permis de l'espérer; trop souvent ils ont le malheur de restreindre la sphère de leur action, en se privant du concours de ceux dont le zèle et la charité eussent merveilleusement contribué à l'étendre et à la vivifier. D'ailleurs 30,000 communes ne sont pas dotées de cette institution, et, parmi les 7,600 bureaux fondés jusqu'à ce jour, bon nombre d'entre eux jouissent de revenus trop minimes pour exercer une influence sérieusement efficace.

La muliplication des dépôts de mendicité suffira-t-elle à la solution du problème ? Non, car ces établissements présentent l'immense inconvénient de rompre les liens de famille, de séparer le mari de la femme, le père de ses enfaants, et de servir de refuge à des hommes habitués à vivre dans l'oisiveté; s'ils recevaient un grand développement, ils seraient exposés à devenir une école permanente d'immoralité. Pour être vraiment utile, le dépôt doit rester l'épouvantail de la paresse et du vagabondage.

Enfin faut-il attendre de l'assistance publique le soulagement de tous les maux et l'adoucissement de toutes les souffrances? Lui demander l'accomplissement d'une telle mission, ce serait lui imposer un fardeau évidemment au-dessus de ses forces, ajouter un danger nouveau à tous ceux qui menacent l'ordre social, et s'exposer à tarir au moins en partie la source de la charité privée, au grand préjudice des riches et des pauvres. En effet, la bienfaisance libre, spontanée, améliore celui qui l'exerce, devient pour le malheureux la plus féconde de toutes les ressources, le plus puissant de tous les sou

tiens, et entretient dans le cœur ces sentiments de bienveillance, de respect, de confiance et d'affection réciproques, considérés à juste titre comme les plus solides fondements de la paix et de la prospérité publiques.

essor,

Le concours de la charité privée est donc indispensable, si l'on veut travailler sérieusement à l'extinction de la mendicité. Mais, pour l'aider dans l'accomplissement de cette difficile mission, la loi doit lui procurer la liberté, si nécessaire à son existence, à son expansion, et dispenser les libéralités faites aux pauvres de droits fiscaux onéreux, de formalités longues, multipliées, propres à ralentir le zèle et à décourager la générosité des donateurs. La commune, le département et l'Etat, s'ils veulent payer leur dette aux indigents, ont encore, suivant M. l'abbé Heslot, un autre devoir à remplir: c'est d'encourager les bonnes volontés locales et de leur accorder des subventions proportionnées à l'étendue de leurs efforts. Lorsque ces sages conseils seront suivis, on verra la charité, prenant un nouvel attirer sur la nation tout entière de nouvelles bénédictions. Elle étudiera dans chaque contrée la forme la plus utile, la plus efficace à donner aux secours dont elle pourra disposer, et finira par obtenir, à force de courage, de persévérance et d'ingénieuse industrie, des résultats inespérés. Ici elle augmentera les lits des hôpitaux et des hospices; là elle fondera pour la vieillesse de nouveaux refuges dirigés par des sœurs hospitalières, recevra les uns gratuitement, et offrira aux autres des places à prix très-réduits; ailleurs elle confiera les vieillards abandonnés à des familles laborieuses, chrétiennes, heureuses d'honorer la pauvreté souffrante par l'aumône de leurs soins et de leur déférence; partout où elle trouvera des communes d'une certaine importance, elle y créera des associations destinées à prévenir la mendicité par d'intelligentes distributions de secours.

Enfin elle décidera dans chaque canton quelques hommes animés de son esprit à se concerter, à s'entendre, afin de recueillir pour les villages les plus pauvres et les communes les plus déshéritées les aumones des propriétaires les plus généreux, les subventions du département et celles de l'État.

Parmi les bienfaits réclamés par M. l'abbé Heslot au profit des

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