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plois obtenus pour des chefs de famille, deux vieillards placés chez les petites sœurs des pauvres ou dans un hospice.

Là nous voyons un pauvre chef de famille, dont le salaire était insuffisant pour élevers es enfants. Les conseils de la fraternité ayant triomphé de sa répugnance à apprendre un nouvel état, les frais de son apprentissage ont été payés, des outils achetés, et l'intelligent ouvrier mis enfin en état de réaliser un gain capable de pourvoir à l'entretien de son ménage.

Ici nous rencontrons des pauvres gens que l'absence de tout enseignement religieux avait conduits au dernier degré de l'indifféférence morale. Leur union a été bénie, les enfants conduits dans une école municipale. Les membres de la fraternité ont eux-mêmes appris à lire au chef de la famille, pour lui faciliter l'intelligence des principes salutaires qui doivent désormais assurer le bonheur de

sa vie.

Ailleurs nous avons été attendris au récit de la transformation morale d'un homme d'humeur sombre et farouche, que les soins discrets et affectueux d'une fraternité ont réconcilié avec lui-même et avec la société.

Citons encore ce fait de délicatesse et de probité d'une pauvre famille qui, son tour d'adoption arrivé, s'empresse de déclarer, dès la première visite, qu'elle est déjà visitée et secourue par une fraternité d'une autre paroisse, et refuse loyalement une assistance surabondante, en révélant ainsi un double emploi inaperçu.

Enfin nous n'omettrons pas de signnaler ce fait capital dans l'économie morale de notre œuvre, que les membres de deux familles réhabilitées dans ces derniers mois se sont associés avec empressement et bonheur à la dizaine pour venir avec elle, à leur tour, en aide à d'autres misères.

... Vous dirai-je maintenant quelles ressources matérielles les fraternités bien pénétrées de l'esprit et du but de l'association ont su faire surgir dans des limites qui sembleraient fabuleuses! si elles ne ressortaient de comptes sérieux et précis. Comment, s'est-on écrié, comment croire que l'on ait pu faire tant de choses avec la faible cotisation de 2 sous par semaine, de 10 sous par mois, de 60 francs au plus par an pour chaque dizaine! Comment ?... Mais est-ce que nous ne parlons pas ici à un auditoire chrétien? Est-ce que le mi

racle de la multiplication des pains serait oublié ou méconnu? Est-ce que l'on ne sait pas qu'en même temps que la foi transporte les montagues, la charité enfante des prodiges?

Mais, si ces causes providentielles de succès ne suffisent pas à édifier et à convaincre, nous dirons quelques-uns des moyens humains que notre ingénieuse association sait mettre en œuvre pour accroître ses ressources matérielles. D'abord, et c'est là le devoir comme le mérite de la personne à qui est confiée la présidence d'une dizaine, chaque associé est mis discrètement en demeure de joindre à sa cotisation permanente telle offrande supplémentaire, en nature ou en argent, que ses ressources personnelles lui permettent de réaliser en présence d'un besoin ou d'un accident subit.

Plusieurs fois, avec le produit de petites loteries improvisées dans le cercle de relations intimes, on a pourvu aux frais de déménagement et d'installation d'une pauvre famille que l'on voulait tirer d'un réduit infect et mal famé. Puis chaque associé se met en relation avec les autres œuvres de bienfaisance publique ou de charité privée, et des rapports avantageux à la fois pour ces œuvres et pour les familles secourues sont soigneusement entretenus.

L'œuvre des familles embrasse l'ensemble des misères morales et sociales; si Dieu permet qu'elle acquière un jour l'étendue et l'importance que son principe même semble lui promettre, elle aura réalisé dans de vastes proportions le système d'assistance le plus conforme à l'esprit chrétien comme aux nobles instincts d'un peuple libre. Grâce à ses efforts, la misère ne sera plus qu'une épreuve momentanée pauvre aujourd'hui, bienfaiteur demain, il s'établira une sorte de solidarité affectueuse entre l'indigent de la veille et le riche du lendemain.

Nous aurons toujours sans doute des pauvres parmi nous; mais nous aurons toujours aussi des chrétiens charitables préposés par Dieu au soin de travailler à leur réhabilitation, pour les mettre, à leur tour, en état de rendre le même service à ceux qui traversent cette phase de l'adversité que le genre humain doit inexorablement franchir, avant d'arriver au but de sa course.»>

Après M. Rataud, M. de Beauvais, curé de SaintJacques, avec une abondance de cœur et un bonheur d'ex

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pression qui ont vivement impressionné l'auditoire, s'est attaché à faire ressortir l'esprit qui anime les membres de I'OEuvre relever le courage du pauvre, lui rendre le sentiment de sa propre dignité d'homme et de chrétien, réveiller en lui l'étincelle d'honneur et de moralité que la misère étouffe trop souvent. Il a, à ce sujet, parlé du prêt d'honneur, si heureusement établi par l'OEuvre, et qui a déjà produit d'excellents résultats.

On a présenté ensuite le tableau des progrès dans les diverses paroisses des 11 et 12 arrondissements. Outre les 17 6 fraternités de Saint-Étienne-du-Mont, on en compte aujourd'hui 78 à Saint-Jacques, 68 à Saint-Médard, 28 à Saint-Nicolas, 29 à Saint-Sulpice, et 35 à Saint-Séverin.

La séance a été couronnée par une admirable allocution du P. Ventura, qui avait été invité à présider cette touchante réunion.

Nous empruntons à M. l'abbé Hippolyte Barbier l'analyse qu'il a faite de ce discours.

Le P. Ventura a pris pour matière première de son allocution l'histoire de Jaïr, l'Archisynagogue, et de sainte Véronique guérie par l'attouchement de la robe du Sauveur.

Le commentaire, même historique, qu'il donnait de cette double histoire produisit d'abord sur l'auditoire tout l'effet d'une révélation.

Nous ne savons guère ces choses- là, il convient de l'avouer. Suivant son habitude, les textes de l'Écriture et les Pères de l'Église lui prodiguaient à flots pressés tous les témoignages les plus indéniables.

Puis, rattachant à ce pieux sujet la question de la charité en général et de l'OEuvre des familles en particulier, il a démontré comment Véronique avait été guérie par la vivacité de sa foi.

«Les pauvres, disait-il, sont d'autres Jésus-Christ. Quandiu fecistis uni ex his minimis, mihi fecistis. Voulons-nous la guérison de nos misères corporelles, spirituelles, sociales? Touchons le bord des vêtements des pauvres, prenons souci d'eux; mais que ce soit en esprit de for. La France, et principaleme at sa capitale, ne

marche maintenant à la tête de la civilisation que parce qu'elle est le pays du monde où les riches donnent le plus aux pauvres. Malheureusement ses aumônes procèdent d'un double principe: elle donne, d'une part, philanthropiquement ou en vue de réaliser des utopies équivoques et désastreuses; d'autre part, ses aumônes sont faites avec le discernement supérieur de la foi, mais c'est la conduite du plus petit nombre, et voilà pourquoi, tout en s'occupant beaucoup de détruire le paupérisme, elle voit sans cesse la misère s'accroître et s'étendre. Vous être du petit nombre, ajoutait-il; que votre charité pousse au large la philanthropie et se développe comme une contagion.

<«<Travaillez à devenir le grand nombre. En touchant ainsi les vêtements des pauvres, c'est-à-dire la robe de Jésus-Christ, vous résoudrez l'effrayant problème qui menace l'avenir de la société; vous sauverez votre bien-être matériel: Qui dat pauperi non indigebit; et puisque le Sauveur, à la dernière heure, jugera comme ayant été fait à lui-même ce que nous aurons fait aux pauvres, vous sauverez votre âme.»

Ce n'est ici qu'une faible et téméraire analyse. Aux réflexions profondes de l'orateur, à ses prodiges d'érudition, se mêlaient, pour l'à-propos de la séance, des saillies charmantes, des détails d'une exquise finesse. Il y avait dans ce magnifique discours toute la fraïche allure d'une conversation de patriarche. Si l'expression nous était permise, nous dirions qu'il causait ses chefs-d'œuvre de la Madeleine et de l'Assomption. Il n'est pas possible, du reste, de se mieux mettre à la portée de tous.

Telle a été cette réunion qui datera dans les annales de l'OEuvre des familles.

ALEXIS CHEVALIER.

BIBLIOGRAPHIE.

Des Progrès de la législation en matière de bienfaisance, Discours prononcé à l'audience selennelle de rentrée du 4 novembre 1851, par M. DU BODAN, procureur général à Rennes.- Manuel de charité, par M. l'abbé MULLOIS (1).

A travers le choc d'idées et le cliquetis de mots qui font aujourd'ui ressembler toute discussion à un combat, il y a des pensées qui reposent, des paroles qui calment et détournent un moment du triste spectacle de nos discordes et de nos anxiétés. Deux hommes de bien, M. Du Bodan, procureur général près la cour de Rennes, et M. l'abbé Mullois, viennent de faire entendre quelques-unes de ces paroles. L'un dans un discours de rentrée; l'autre, dans un petit volume intitulé Manuel de charité.

Le prêtre et le magistrat se sont rencontrés sur le même terrain; animés de la même foi, ils ont voulu montrer à côté du mal que chacun a si grand empressement à signaler, le bien que l'on méconnaît ou que trop vite on oublie, et opposer à nos plaintes, à nos murmures, à nos cris de guerre et de désespoir, quelques paeifiques présages, quelques saintes espérances.

Je ne connais pas de lecture qui fasse plus de bien et ranime mieux le courage, que ces pages empreintes de bienveillance et d'affection, qui font passer sous nos yeux tout ce que, dans ces derniers temps, a fait la charité publique et privée pour lutter contre la misère. Quand on voit cette multitude de lois protectrices du pauvre, ces

(1) Ce livre se trouve chez M. Parent-Desbarres, rue Cassette, 28. 1 vol. format anglais; prix, 1 fr. 75.

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