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DE LA CHARITÉ.

TRAVAUX CHARITABLES DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

RAPPORT ET PROJET DE LOI

SUR

LES HOSPICES ET HOPITAUX,

Présentés au nom de la Commission d'assistance,

PAR M. ANATOLE DE MELUN, REPRésentant du Nord.

De tous les moyens si variés que la charité a inventés pour le soulagement des misères humaines, l'institution des hôpitaux en faveur des malades, et des hospices destinés aux vieillards et infirmes, est le plus ancien et le plus généralement adopté. Comme presque toutes les œuvres de bienfaisance publique et privée, elle fut inspirée par le christianisme; les premiers asiles offerts aux pèlerins et voyageurs furent ouverts sous Constantin, et l'histoire attribue, vers cette époque, à une dame romaine, l'établissement du premier hôpital de malades; elle y consacra sa fortune et sa vie entière : c'est ainsi que se pratiquait alors la charité.

Jusque-là chaque chrétien exerçait l'hospitalité envers le pauvre, et la maison des ministres de la religion était un asile préparé pour tous les genres de souffrance. Plus tard un bâtiment particulier,

1851.

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annexé au logement des évêques, fut destiné à ce pieux usage; et lorsqu'on élevait un temple à Dieu, on y joignait presque toujours l'habitation des pauvres, qui prit le nom touchant d'hôtel-Dieu, comme si Dieu lui-même leur offrait l'hospitalité.

Dans presque tous ces asiles, les misères étaient confondues et soulagées avec une égale sollicitude; mais dès le 5e siècle, le remède fut varié comme le mal: cinq espèces d'hospices reçurent les pauvres valides, les malades, les enfants, les orphelins et les vieillards.

Le premier hôpital de malades connu en France fut celui de Lyon, sous Childebert; Reims et Autun suivirent de près; l'hôtelDieu de Paris fut fondé par saint Landry, en 800.

Chaque siècle proportionnait ses secours à ses misères toujours croissantes. Aux 11 et 12° siècles, la lèpre et d'autres fléaux multiplièrent les maladreries et les léproseries.

L'administration publique, les associations religieuses, les confréries rivalisaient avec la charité individuelle pour doter ces établissements.

Bientôt l'affranchissement des communes, en créant une puissance nouvelle, donne aux pauvres de nouveaux protecteurs qui érigent et administrent de nouveaux asiles.

Il serait injuste de croire qu'une générosité aveugle inspirait seule ces fondations dont nos indigents profitent encore aujourd'hui ; de sages règlements les dirigeaient, et toujours le pouvoir public regardait comme son premier devoir de veiller à la bonne administration de la fortune du pauvre, et au respect dû aux intentions des donateurs. Pour éviter les abus, les conciles (1) n'hésitèrent pas à appeler les laïques à la gestion des établissements charitables, comme, plus tard, les ordonnances de nos rois empêchèrent que le patrimoine de l'indigent ne se transformât en fiefs entre les mains de l'administration civile.

De tout temps, quoi qu'on en puisse dire, l'autorité religieuse et civile, d'abord confondue, puis séparée, prit en main l'intérêt des malheureux avec une sollicitude que le texte même des édits révèle de la manière la plus touchante, et une intelligence qui peut servir

(1) Concile de Vienne, 1312.

de modèle à notre époque, trop souvent dédaigneuse à l'égard du passé.

Mais alors on se préoccupait surtout des abus qui pouvaient restreindre la part de l'indigence; les asiles étaient ouverts à tous, pèlerins ou voyageurs, membres de la cité ou de la nation, étrangers même; on ne leur demandait d'autre titre que la misère, et l'on ne partageait pas cette crainte, si commune de nos jours, qui redoute pour le pauvre, non la privation, mais l'abondance des secours dont il pourrait abuser. Bientôt cependant, telle est la nature des meilleures choses en ce monde, la loi est obligée de régler la charité elle-même. En lui créant de nouvelles ressources, il faut qu'elle s'arme contre ceux qui la trompent. François Ier, après avoir fondé un bureau général des charités publiques, assigne à chaque établissement une destination spéciale, afin que, toute misère réelle étant secourue, la paresse, souvent plus exigeante que le malheur, n'ait plus d'excuse; et presque toujours, depuis cette époque, la loi qui accorde un soulagement au malheur est en même temps un arrêt qui frappe le vice.

Vincent de Paul, au 17° siècle, fait plus pour la réforme des hôpitaux que tous les décrets. Il renouvelle dans les cœurs le feu de la charité; et en fondant les sœurs hospitalières, il donne aux malades et aux pauvres, au nom de la religion, des mères et des sœurs qu'il n'était au pouvoir d'aucune puissance humaine de leur accorder.

La lutte contre la mendicité, qui s'étend chez tous les peuples, nécessite la fondation d'établissements monumentaux destinés à recueillir des misères contre lesquelles l'action individuelle devient impuissante; les gouvernements ou de puissantes associations peuvent seuls entreprendre cette grande tâche. L'Italie donne le premier signal. En France, Louis XIV seconde le mouvement général de son action puissante; il centralise dans les hôpitaux généraux tous les services charitables; et lui-même, en leur attribuant, en 1675, l'un de ses palais, donne un exemple qu'un grand nombre de villes ont bientôt imité.

On a prétendu que c'était alors une mesure de police, et que, dans le cœur du grand roi, la crainte des désordres qui troublent la sécurité publique avait plus de part que la charité. Citons le

texte même de ses ordonnances: «C'est, dit-il, pour témoigner à Dieu notre reconnaissance par une royale et chrétienne application aux choses qui regardent son honneur et son service, et agissant dans la conduite d'une si grande œuvre, non par ordre de police, mais par le seul motif de charité, que nous voulons, etc.» (1)

Tel était le véritable principe qui dirigeait nos pères dans l'application de l'assistance, qui n'a pas été inventée de nos jours. Un principe qui dictait au roi le plus absolu ces belles paroles devait être aussi fécond pour le bien que tous les mobiles attribués depuis à la bienfaisance publique. Quelle loi, quelle constitution serait aussi puissante pour ouvrir les trésors, et surtout les cœurs, que la doctrine qui fait remonter à Dieu lui-même ce que l'on donne à ses enfants.

Sous cette généreuse impulsion, chaque siècle, comme chaque peuple, apportait sa pierre au grand édifice charitable qu'il n'est pas donné à l'homme d'achever, et cherchait à imprimer à l'exprespression d'un même sentiment la forme appropriée à ses usages, à ses besoins, et à ses moeurs. En Angleterre et en Amérique, des associations particulières élèvent des hôpitaux dont la richesse le dispute aux établissements créés par les rois; le vaste hôpital de Westminster est fondé à Londres, en 1719, par une société privée.

Cinquante ans plus tard, l'esprit d'analyse s'attaquait aux établissements charitables eux-mêmes; les objections les plus passionnées s'élevaient contre eux, leur existence même était menacée, comme nuisible à la morale et à l'intérêt publics. Pendant ce temps, Louis XVI fait tourner au profit du peuple les progrès de la science et jusqu'à l'incendie de l'Hôtel-Dieu. Construisant sur les plans de Tenon et les observations de l'Académie le nouvel hôpital, il donne par des faits la meilleure réfutation de théories exagérées, et, par la répression des abus, présente en faveur des hôpitaux l'apologie la plus éloquente, les secours distribués à tous avec intelligence et dévoue

ment.

Mais bientôt cette grave question devait être soumise à des délibérations solennelles. Après un rapport remarquable (2), l'Assemblée

241 Denmort 2. M do I, Rochefoucauld-Liancourt.

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