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doivent être considérées comme ayant une cause illicite, et sont comprises dans la disposition de l'art. 1133 du même Code;

» Attendu, enfin, qu'il a été reconnu par l'arrêt attaqué, que Suzanne Cheneveau n'avait éprouvé par l'inexécution de cette promesse de mariage, aucune perte ni dommage dans ses biens, et qu'elle n'avait porté aucune atteinte à sa réputation (1) ».

Il n'y aurait, comme on le verra ci-après, §. 3, no. 2, rien à redire à cet arrêt, s'il s'en tenait à son premier motif; mais en y ajoutant pour second motif que la stipulation pénale contenue dans la promesse de mariage, du 23 juin 1815, est nulle, et en adhérant par là à la décision consignée dans l'arrêt du 21 décembre 1814, il devient susceptible de la critique que M. Toullier, no. 301, fait hautement de celui-ci; et cette critique me paraît fondée sur des raisons trop puissantes pour que tôt ou tard elles ne triomphent pas.

Ces raisons, je ne les répétérai pas ici ; j'y ajouterai seulement qu'il n'y a point de milieu, ou qu'il faut aller jusqu'à dire que les promesses de mariage sont nulles sous le Code civil, ou qu'il faut de toute nécessité convenir que, lorsqu'on y appose des stipulations penales, ces stipulations doivent avoir tout leur effet. Sans contredit, si le Code civil annulle les promesses de mariage, il annulle, par une suite nécessaire, les stipulations pénales qui y sont accidentellement insérées : La nullité de l'obligation principale, porte l'art. 1227, entraîne celle de l'obligation pénale.

Mais oserait-on bien mettre en these que les promesses de mariage sont réprouvées par le Code civil? Oserait-on bien tirer du silence du Code civil sur ces promesses, une autre conséquence, si ce n'est qu'il ne les assujetit pas à des règles spéciales et qu'il les laisse sous l'empire du droit commun des contrats? C'est parceque notre ancienne jurisprudence ne les réprouvait pas, c'est par cequ'elle les reconnaissait au contraire pour obligatoires, qu'elle faisait résulter du refus injuste ou arbitraire de les exécuter. une action en dommages-intérêts. Eh bien ! il en est absolument de même sous le Code civil. A l'exemple de notre ancienne jurisprudence, solennellement approuvée, en ce point, par un arrêt de la section des requêtes de la cour de cassation, du 17 août 1814 (rapporté dans mon Recueil de Questions de droit, aux mots Double écrit), la jurisprudence actuelle applique constamment aux promesses de ma

riage non munies de stipulations pénales, la disposition de l'art. 1142, suivant lequel toute obligation de faire ou de ne pas faire se résoud en dommages-intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur. C'est ce qu'ont fait notamment

10. Un arrêt de la cour d'appel de Tréves, du 5 février 1808, « attendu que le mariage » n'est que l'accomplissement d'une promesse » réciproque préexistante de célébrer le ma»riage d'après les formalités prescrites par » la loi ; que cette convention préliminaire, soit qu'on l'appelle fiançailles, ou pro» messe de mariage, existe sous le Code civil, » aussi bien qu'elle a existé dans les ancien» nes lois, et doit produire les mêmes effets, puisqu'elle forme un contrat synallagma» tique obligatoire qui contient l'obligation » de faire, et qui entre, dès-lors, dans l'application de l'art. 1142 dudit Code, dont la » disposition générale renferme la chose, » quoique le mot fiançailles ou promesse de mariage n'y soit pas nommément expri» mé (1) » ;

2o. Un arrêt de la cour royale de Colmar, du 12 mai 1818, « attendu que, depuis l'abo» lition du divorce, le mariage est, quant au » civil, ce qu'il était avant la revolution; » qu'alors les femmes ne manquaient pas d'ob» tenir des dommages-intérêts pour l'inexé

cution des promesses faites à cet égard, lors» qu'elles n'avaient pas donné lieu à cette » inexécution; qui, si le Code qui déjà avait » resserré le divorce dans un cercle très» étroit, n'a rien statue sur les dommages» intérêts à réclamer dans ce cas, c'est que, » regardant le mariage comme un contrat, il >> rentrait, sous ce rapport, dans le droit con» mun; que l'art. 1382 oblige celui qui a » causé un dommage par sa faute, à le répa» rer (2) » ;

3o. Un arrêt de la cour royale de Metz, du 12 juin de la même année « attendu que les » art. 1142 et 1382 du Code civil disposent » que toute obligation de faire ou de ne pas » faire est résoluble en dommages-intérêts, » et que le fait quelconque de l'homme qui » cause un dommage à autrui, oblige celui par » lequel il arrive, à le réparer.....; que, quoi» qu'il soit rare que des hommes aient de» mandé et obtenu des dommages-intérêts » pour pareil refus, cependant les monumens » de la jurisprudence, tant ancienne que mo»derne, attestent que les cours et tribunaux,

(1) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 8, (2) Ibid., tome 18, partie 2, page 268.

(1) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 23, partie 2, page 169. page 41.

guidés par les principes d'équité et de jus»tice consacrés par les articles précités et le » 1383e., les ont constamment appliqués, » suivant les circonstances, dans pareils » cas (1) ».

Et c'est ce que reconnaît formellement même l'arrêt de la cour de cassation du 21 décembre 1814.

Mais si une promesse de mariage est obligatoire sous le Code civil, comme elle l'etait sous notre ancienne jurisprudence, en ce sens que le refus arbitraire de l'exécuter assujetit la partie refusante à la réparation du dommage qu'en éprouve l'autre partie, quel prétexte aurait-on pour ne pas donner tout son effet à la transaction que les deux parties feraient elles-mêmes à l'avance tant sur la question de savoir si, en cas d'inexécution de cette promesse, l'une devra une indemnité à l'autre, que sur celle de savoir quel sera le taux de cette indemnité? Aucun, évidemment aucun. Or, que font-elles autre chose par la clause pénale qu'elles ajoutent à leur promesse de mariage?

Sans doute, et l'art. 1227 le dit en termes exprès, une obligation pénale peut être nulle, sans que la validité de l'obligation principale en souffre aucune atteinte; mais d'où peut en venir la nullité? Bien sûrement, il est impossible qu'elle vienne de l'obligation principale, lorsque celle-ci est valable par soi. Elle ne peut donc venir que d'un vice particulier à l'obligation pénale elle-même. Elle ne peut donc être prononcée qu'à raison, ou de ce qu'elle est contraire aux bonnes mœurs, ou de ce qu'elle blesse l'ordre public, ou de ce qu'elle est prohibée par la loi. Or, qu'y a-t-il de semblable dans la clause par laquelle, en souscrivant une promesse de mariage, on regle éventuellement les dommages - intérêts qu'on devra supporter,si,arbitrairement et par pur caprice, on vient à en refuser l'exécution? Il n'est certainement pas, en cette matière plus qu'en toute autre, contraire aux bonnes mœurs, de fixer à l'amiable, au moment même où l'on souscrit une promesse licite, l'indemnité à laquelle on sera tenu en cas d'inexécution arbitraire de cette promesse. Ce n'est certainement pas plus en cette matière qu'en toute autre, offenser l'ordre public que de prévenir par une semblable fixation les embarras et les incertitudes d'une estima. tion judiciaire. Enfin, le Code civil ne ressus. cite pas expressément, sur cette matière, les dispositions prohibitives du droit romain; et comment supposer qu'il les ressussite im

(1) Ibid., tome 19, partie 2, page 108.

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plicitement? Ces dispositions étaient-elles donc assez sages pour mériter qu'on puisse lui présumer l'intention de les maintenir par cela seul qu'il n'en dit rien? J'ai déjà remarqué qu'elles se décréditaient elles-mêmes par leur incohérence avec ce que le droit romain réglait lui-même par rapport aux arrhes, et que, réprouvées par l'opinion générale, elles n'avaient pas pu arriver même jusqu'au règne de l'empereur Léon, sans tomber en désuétude.

Mais peut-être objectera-t-on l'art. 1229 du Code civil. Peut-être dira-t-on qu'aux termes de cet article, la clause pénale est la COMPENSATION des dommages intérêts que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale ; qu'ainsi, elle ne peut être d'aucun effet, lorsque l'inexécution de l'obligation principale ne cause aucun dommage au créancier, et que telle était précisément l'espèce de l'arrêt de la cour de cassation, du 21 décembre 1814.

Mais 10. dans quelle vue cet article s'exprime-t-il comme il le fait? Dans la seule vue d'arriver à la disposition par laquelle il établit luimême que le créancier ne peut demander à la fois le principal et la Peine. Il ne fait, en s'exprimant ainsi, que poser le principe de la conséquence qu'il en tire tout de suite. Pour être fondé à prétendre qu'en posant ce principe, il entend ôter tout effet à la clause pénale, lorsque l'inexécution de l'obligation principale ne cause aucun dommage au créancier, il faudrait aller jusqu'à dire que la clause pénale ne doit avoir qu'une partie de son effet, lorsque l'inexécution de l'obligation principale ne cause au créancier qu'un dommage inférieur à la somme stipulée par forme de Peine; car s'il n'y a pas matière à compensation dans le premier cas, il ne peut évidemment y avoir ma. tière à compensation dans le deuxième, que jusqu'à concurrence du dommage souffert. Or, il est très constant, comme on le verra au S. suivant, no. 4, que le Code civil ne permet pas de réduire la stipulation pénale, sous le prétexte que le montant en excède le dommage souffert par le créancier. Comment donc permettrait-il de la neutraliser tout-à-fait, sous le prétexte que le créancier n'a souffert aucun dommage ? Comment autoriserait-il, pour neutraliser tout-à-fait la stipulation pénale, des recherches, des débats, des enquêtes qu'il ne permet pas pour la réduire ?

20. C'était aussi, comme l'enseigne Pothier, Traité des obligations, no. 342, parceque les lois romaines considéraient l'obligation pénale comme la compensation du dommage causé au créancier par l'inexécution de l'o

bligation principale, qu'elles ne permettaient pas plus que l'art. 1229 du Code civil, de demander en même temps le principal et la Peine. Cela empêchait-il qu'elles ne permissent d'exiger la Peine, lors même que l'inexecution de l'obligation principale ne causait aucun dommage au créancier? Cela empêchait-il qu'elles ne missent en principe, pour nous servir des termes du §. 12 du titre des institutes de inutilibus stipulationibus, qu'en cas de stipulation pénale, non illud inspicitur quod intersit, sed quae sit quantitas in conditione stipulationis ?

30. Nous l'avons déjà dit, l'objet de l'obligation pénale n'est pas seulement de prévenir toute contestation sur le quantum des dommages-intérêts que le créancier pourra prétendre en cas d'inexécution de l'obligation principale; c'est encore de prévenir toute contestation sur le point de savoir si, en cas d'inexecution de l'obligation principale, le créancier sera fondé ou non à dire qu'il en souffre un dommage quelconque. C'est dans cette double vue que la loi dernière, D. de stipulationibus prætorianis, dont nous retrouvons l'esprit dans l'art. 1152 du Code civil, conseille de régler à l'avance par des conventions expresses, les dommages intérêts qui pourraient résulter de l'inexécution d'un engagement in ejusmodi stipulationibus quæ quanti res est, promissionem habent, commodius est certam summam comprehendere; quoniam plerumque difficilis probatio est quanti cujusque intersit et ad exiguam summam deducitur. ]]

S. II. Des effets que produisent les conventions pénales, lorsqu'elles sont valables.

I. L'objet d'une Peine contractuelle est, comme on l'a dit au commencement de cet article, d'assurer l'exécution de l'obligation principale.

Ainsi, la stipulation de la peine n'éteint ni ne resoud l'obligation principale, et on ne doit pas presumer que les parties aient eu l'intention de fondre celle-ci dans celle-là. C'est ce que porte expressément la loi 122, S. 2, D. de verborum obligationibus.

De là il résulte que, quand il y a ouverture à la Peine, par le defaut d'accomplissement de l'obligation principale, le créancier peut, au lieu de demander la premiere, poursuivre l'exécution de la seconde. C'est la disposition du texte que nous venons de citer, de la loi 28, D. de actionibus empti, [[ et de l'art. 1228 du Code civil.

Si, en stipulant une certaine somme en cas

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d'inexécution d'une obligation, les parties avaient témoigné clairement vouloir qu'il ne fût plus dû autre chose que la somme, des que le débiteur aurait été mis en demeure de remplir sa première promesse, une telle convention ne serait pas une stipulation pénale, mais une obligation aussi principale que la première, et qui emporterait novation de celle-ci. C'est l'espèce et la décision de la loi 44, §. dernier, D. de obligationibus et actionibus.

II. Quoique l'obligation pénale ne porte par elle-même aucune atteinte à l'obligation principale, cependant, comme l'une n'est que duits par l'inexécution de l'autre, le créancompensatoire des dommages-intérêts profaut qu'il se contente de la Peine ou de la. cier ne peut pas exiger les deux à la fois; il chose. Mais, si la Peine ne l'indemnise pas suffisamment, il peut, après l'avoir reçue, demander le surplus des dommages-intérêts qu'il a soufferts par l'inexécution de l'obligation principale. Les lois 28, D. de actionibus empti, 41 et 42, D. pro socio, le décident expressement ainsi.

Pothier fait sur ces textes une observation importante. «Le juge ne doit pas être facile » à écouter le créancier qui prétend que la » Peine qu'il a perçue, ne le dédommage pas » suffisamment de l'inexécution de la conven» tion; car les parties, ayant, par la fixation » de la Peine, réglé et fixé elles-mêmes les » dommages et interêts qui résulteraient de » l'inexecution de la convention, le créancier, » en demandant de plus gros dommages et » interêts, semble revenir contre une estima» tion qu'il a faite lui-même, en quoi il ne » parait pas recevable, à moins qu'il n'ait la » preuve à la main que le dommage par lui » souffert excède la somme convenue, comme » dans cette espèce si un marchand m'a » prêté sa voiture, à condition que je la lui » rendrais un certain jour auquel il en aurait » besoin pour mener ses marchandises à une » certaine foire, à peine de 30 livres, faute » de la lui rendre au jour indiqué; ce mar» chand, à qui j'ai promis de la rendre, peut >> ne pas se contenter de cette somme de 30 » livres, s'il a la preuve à la main qu'il a été obligé d'en louer une pour 50 livres, et que le > prix commun des voitures pour aller à cette » foire, était de la somme de 50 livres dans le temps auquel jelui devais rendre la sienne ».

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Au surplus, la règle qui empêche le créan cier d'exiger tout à la fois le principal et la Peine, admet deux exceptions.

La première est lorsqu'il est dit expressé

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La seconde est lorsqu'il paraît que la Peine est stipulée pour réparation des dommagesintérêts que doit souffrir le créancier, non de l'inexécution absolue de l'obligation, mais du simple retard de son accomplissement.

[[ « La clause pénale (porte l'art. 1229 du » Code civil), est la compensation des dom»mages et intérêts que le créancier souffre de » l'inexécution de l'obligation principale. Il » ne peut demander en même temps le prin» cipal et la peine, à moins qu'elle n'ait été » stipulée pour le simple retard ». ]]

III. La clause pénale ne prive pas celui qui l'a stipulée, des exceptions et des fins de nonrecevoir qui peuvent résulter pour lui du fond de l'engagement principal. La loi 10, §. 1, D. de pactis, déclare formellement qu'il peut

encore les faire valoir; mais que, dans ce cas,

il ne peut plus se prévaloir de la clause penale, ce qui doit s'entendre avec les deux exceptions que nous venons de remarquer.

Pothier nous donne un exemple de cette décision:

«Si je suis convenu avec un mineur devenu majeur, qu'il ne reviendrait point contre la vente d'un héritage qu'il m'a faite en minorité, et que j'aie stipulé de lui, par forme de peine, une certaine somme en cas qu'il contrevint à la convention; s'il vient par la suite à m'assigner en enterinement de lettres de rescision contre cette aliénation, la clause pénale insérée dans notre traité, n'empêchera pas que je ne puisse opposer contre sa demande la fin de non-recevoir qui résulte de l'engagement principal qu'il a contracté dans notre traité, de ne point revenir contre cette aliénation.

>>Mais, comme celui qui a stipulé la peine, ne peut pas percevoir et la peine et ce qui est renfermé dans l'engagement principal, si j'use de la fin de non-recevoir, et que je le fasse déclarer non-recevable, je ne pourrai plus exiger de lui la peine que j'ai stipulée: et, vice versa, si j'ai exige de lui la peine, je ne pourrai pas user de la fin de non-recevoir ».

Est-il donc bien vrai qu'on ne peut à la fois, dans l'espèce dont il s'agit, opposer la fin de non recevoir, et se faire payer la peine? Cela n'est-il pas contraire à la loi 122, §. 6, D. de verborum obligationibus?

TOME XXIII.

Voici ce que répond Pothier:

« Lorsque j'ai eu convention, sous une certaine peine, avec vous devenu majeur, que vous ne reviendriez pas contre la vente d'un héritage que vous m'aviez faite en minorité, T'objet de cette convention a été de me procurer la libération d'une action rescisoire que vous aviez effectivement contre moi; c'est pourquoi, lorsqu'en vous opposant la fin de non-recevoir qui résulte de cette convention, et en vous faisant, en conséquence, déclarer non-recevable dans votre action, je me suis procuré la libération de cette action, je ne peux plus vous demander la peine; autrement, j'aurais tout à la fois et la chose et la peine; ce qui ne peut pas être : telle est l'espèce de la loi 10, §. 1, D. de pactis.

» Celle de la loi 122, §. 6, D. de verborum obligationibus, est très-différente : après un partage qui est par lui-même valable et non sujet à aucune action rescisoire, dans la crainte d'essuyer un procès, quoique mal fondé, nous sommes convenus sous une

certaine peine, de ne pas revenir contre; l'objet de cette convention n'est pas, comme dans l'espèce précédente, de me procurer la libération de quelque action rescisoire que vous eussiez contre ce partage, puisque vous n'en aviez aucune; le seul objet de cette convention est de ne pas essuyer un procès ; c'est pourquoi, si vous m'en aviez fait un, quoique j'aie obtenu le congé de votre demande, il y aura lieu à la peine; car la seule chose qui faisait l'objet de notre convention, étant de ne pas essuyer un procès, quoique mal fondé; m'en ayant fait essuyer un, il est vrai de dire que vous m'avez privé de ce qui faisait l'objet de cette convention; d'où il suit qu'il y a lieu à la peine ».

IV. Est-il au pouvoir du juge de modérer et de réduire à de justes bornes la peine à laquelle un débiteur s'est soumis, en cas de contravention à son engagement?

main, aucun doute raisonnable. La négative ne souffre, dans le droit ro

Il est vrai que la loi unique, C. de sententiis quæ pro eo quod interest proferuntur, défend de porter les dommages-intérêts au-delà du double de la somme principale; mais cette défense ne concerne que l'indemnité judiciaire, et n'a aucun rapport à l'indemnité conventionnelle.

Il y a d'ailleurs une très-grande différence de l'une à l'autre. Tout homme qui contracte une obligation principale, ne s'impose que secondairement celle des dommages-intérêts

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qui peuvent résulter de l'inexécution de son engagement, et il n'est pas probable qu'il ait entendu s'obliger indéfiniment à ces dommages-intérêts, mais seulement jusqu'à concur. rence de la somme à laquelle ils paraissaient devoir monter. On ne peut pas dire la même chose de l'indemnité conventionnelle. Les lois défendent de se livrer aux présomptions lorsqu'on a des preuves claires de la volonté qu'il s'agit d'exécuter ainsi, quelque excessive que soit la somme stipulée par forme de peine, le débiteur ne peut pas disconvenir qu'il s'y est obligé, et c'est à lui à s'imputer son imprudence ou sa légèreté. Le §. 20, Inst. de inutilibus stipulationibus, et la loi 38, S. 17, D. de verborum obligationibus, fortifient cette opinion, en décidant que, dans une clause pénale, il ne faut pas considérer l'intérêt de celui qui l'a stipulée, mais seulement la quantité de la somme qui en est l'objet pœnam cùm quis stipulatur, non inspi citur quid intersit ejus, sed quæ sit quantitas in conditione stipulationis. La loi 56, D. de evictionibus, n'est pas moins positive: elle établit nettement qu'on peut, dans un contrat de vente, stipuler la restitution du triple ou du quadruple du prix, en cas d'éviction.

Mais quelque solides que soient ces raisons, tous les auteurs modernes enseignent, et une foule d'arrêts ont décidé, que la peine conven. tionnelle peut, lorsqu'elle est excessive, être réduite et modérée par le juge.

Voici les motifs d'équité sur lesquels Pothier fonde cette jurisprudence:

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Lorsqu'un débiteur se soumet à une peine excessive, en cas d'inexécution de l'obligation primitive qu'il contracte, il y a lieu de presuiner que c'est la fausse cor.fiance qu'il a qu'il ne manquera pas à cette obligation primitive, qui le porte à se soumettre à une peine aussi excessive, qu'il croit ne s'engager à rien en s'y soumettant, et qu'il est dans la disposition de ne s'y pas soumettre, s'il croyait que le cas de cette peine pût arriver ; qu'ainsi, le consentement qu'il donne à l'obligation d'une peine aussi excessive, étant un consentement fondé sur une erreur et sur une illusion qu'il se fait, n'est pas un consentement valable.

» C'est pourquoi ces peines excessives doivent être réduites à la valeur vraisemblable à laquelle peuvent monter au plus haut les dommages et intérêts du créancier, résultans de l'inexécution de l'obligation primi tive ».

Pothier ne fait ici que répéter ce qu'avaient dit avant lui Dumoulin, de eo quod interest, n°. 159; le président Favre, dans son Code,

iv. 7, tit. 23, def. 2; Groeneweghen, sur la loi unique, C. de sententiis quæ pro eo quod interest; Vanleuwen, censura forensis, part. 1, liv. 4, chap. 15; Voët, sur le digeste, de verborum obligationibus; Charondas, liv. 6, rep. 59; Socinus, tome 1, conseil 133; Maranta, disput. 7, no. 26.

Cette doctrine a été, comme nous l'avons dit, approuvée par les arrêts.

Papon en rapporte un du parlement de Paris, du 30 mars 1525, par lequel il a été jugé que, « si un pleige ou debiteur promet de » payer, faire ratifier, ou autre chose, à peine » de 500 livres, dans certain temps, et ce » néanmoins ne peut la faute de ce tant im» porter au créancier, il ne doit demander plus » contre le défendeur que l'intérêt que celui

» est ».

Le même arrêtiste nous retrace une autre espèce dans laquelle la même cour a encore suivi l'opinion des auteurs cités : « Deux gen» tilshommes transigent sur la preference des » bancs et honneurs dans leur paroisse, et » promettent faire ratifier leurs femmes, à » peine de 100 livres. L'un fait ratifier sa >>femme; l'autre ne peut convenu pour la » peine, il se défend 10. sur ce qu'il n'a pu ; 2o. sur l'excès de la peine. Il y est condamné. » Il appelle. Par arrêt de Paris, il est condam» né, à faute de faire ratifier, ès dommages et » intérêts ».

Le parlement de Paris vient encore de confirmer cette jurisprudence par un arrêt, qui, peut-être, prouve en même temps qu'elle est vicieuse.

Un particulier achète à Paris différens meubles, et charge le voiturier Lanoue de les lui faire conduire à sa maison de campagne, située à soixante quinze lieues de la capitale. Il s'oblige de lui payer cent sous par quintal, pour prix du transport, et lui impose pour conditions 10. de perdre le tiers du prix de la voiture, si les effets ne sont pas rendus à telle époque; 2o. de perdre la totalité du même prix, si on les change de voiture; 3o. de répondre des fractures ou deteriorations qui pourraient arriver dans ce dernier cas seule

ment.

Ces conditions sont écrites dans la lettre de voiture, et acceptées par le voiturier.

Par l'événement, les circonstances prévues arrivent ; les marchandises ne parviennent à leur destination que vingt jours après l'époque convenue; il est constaté qu'elles ont changé de voiture; trente-cinq verres de Bohême se trouvent cassés, et des tapisseries sont gâtées par des liqueurs répandues.

Le particulier à qui appartenaient ces effets,

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