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franca, M. de La Rochejaquelein estimait que la Lombardie, une fois réunie au Piémont, il en était résulté un royaume assez fort pour résister à l'Autriche sans qu'il fût une menace pour la France. « Cette combinaison paraissait satisfaire les plus légitimes "ambitions: un seul mot de l'Empereur pouvait régler le sort de l'Italie... » Malheureusement, concluait l'orateur, il ne l'a pas fait à temps, delà la perte graduelle de notre influence en Italie. Et voici ce qui est arrivé: Aux termes de l'article 19 du traité de Zurich, «<les circonscriptions territoriales des Etats indépendants de l'Italie, qui n'étaient point parties dans la dernière guerre ne pouvant être changées qu'avec le concours des puissances «< qui avaient présidé à leur formation et reconnu leur existence, >>> il en résultait que les droits du grand-duc de Toscane, du duc de Parme et du duc de Modène, « avaient été expressément réservés entre les hautes parties contractantes, ce qui n'a pas empêché le roi de Sardaigne de s'emparer de Parme, de Modène, des Romagnes. » La France, selon M. de La Rochejaquelein, était donc compromise par sa signature protectrice apposée au traité de Zurich. Sans doute la France avait fait officiellement tous ses efforts pour le maintien du traité, mais en vain : le Piémont se sentant soutenu par l'Angleterre. Aussi bien l'orateur trouvait-il que la France avait sagement agi en annexant Nice et la Savoie pour avoir un gage de sécurité pour son propre territoire. Venait la question des Romagnes. M. de La Rochejaquelein en convenait : en droit, ces provinces appartiennent au Souverain Pontife; en fait, leur position géographique semble un obstacle à ce qu'elles rentrent dans le domaine pontifical tant que les Duchés resteront au Piémont ; mais en se plaignant de sa spoliation, le SaintSiége usait de son droit, autrement il eût été le premier souverain qui n'eût pas protesté contre l'usurpation d'une partie de ses Etats. Que se passa-t-il alors? M. de La Rochejaquelein parcourt ici toutes les phases de cette grosse question: proposition de la part de la France au Gouvernement romain de faire occuper Ancône et les Marches par l'armée napolitaine; acceptation de la part du cardinal Antonelli; acceptation aussi de la part du Piémont (Preuve la dépêche de M. Thouvenel à M. Brenier, 25 mars 1860); mais refus de François II; refus heureux aux

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yeux de M. le Sénateur: car cette intervention proposée par la France devait être suivie de la violation du territoire romain par les Piémontais. Puis le départ de Garibaldi pour lá Sicile, combiné avec le Piémont, nonobstant une apparente indignation de sa part. Et derrière le tout, l'Angleterre, inspiratrice de la non-intervention à ce moment. «Elle est anglaise la non-intervention, faisait observer M. de La Rochejaquelein; elle n'est pas française. » Il ne craignait pas d'ajouter, pièces en main, que jusqu'à la chute du trône de Naples, le Piémont, de son côté, n'avait cherché qu'à compromettre l'honneur de la France. « L'Angleterre a encouragé la Révolution, disait l'orateur; mais elle ne lui a rien sacrifié ; elle lui a prêté ses conseils à gros intérêts contre la France. Le Piémont, lui, n'a cherché que la satisfaction de son ambition. Remontant ainsi le cours des événements, M. de La Rochejaquelein, arrivé à la date du départ du roi de Naples pour Gaëte, demandait pourquoi le Ministre de France n'avait pas accompagné le souverain; mais il approuvait la Note télégraphique adressée le 10 septembre à M. de Cavour par le Ministre des affaires étrangères de France, et aux termes de laquelle il était déclaré au Cabinet sarde, que s'il ne donnait pas l'assurance que la Note envoyée par le Gouvernement de Turin à la Cour de Rome (8 septembre) n'aurait pas de suites, et que l'armée sarde n'attaquerait pas les troupes pontificales, la France se verrait dans la nécessité de rompre ses relations diplomatiques avec le Cabinet de Turin, « et de désavouer ainsi publiquement une politique qu'elle juge dangereuse pour le repos de l'Europe et funeste pour l'avenir de l'Italie. » A quoi Turin répondit : « Si nous, ne sommes pas à la Cattolica avant Garibaldi, nous sommes perdus. La Révolution envahit l'Italie entière, nous sommes forcés d'agir.» (V. dépêche de M. de Talleyrand, 11 septembre.) Puis, l'ordre à ce ministre français de quitter Turin. Dans tout ce qui se passa alors, l'orateur voyait le parti pris par le Cabinet sarde de braver la France. « Il y a, disait-il, des devoirs qu'il faut remplir jusqu'au bout, la France doit savoir par nous la vérité. L'Empereur veut connaître nos opinions sincères sur la politique suivie, il les connaîtra. »

Aux yeux de M. de La Rochejaquelein, l'envahissement des Etats romains et napolitains, sans déclaration de guerre, eut fait mettre le Piémont, dans un autre temps, au ban des nations. En vain l'Empereur a-t-il écrit de Marseille au roi de Piémont, que << si les troupes piémontaises pénètrent sur le territoire pontifical, il sera forcé de s'y opposer.» (Preuve la dépêche de M. Thouvenel du 18 octobre.) Le Piémont n'en avait pas moins continué de marcher en avant, et à cet égard le général Cialdini se prévalait de ce qui avait été dit lors de son entrevue avec Napoléon III à Chambéry. A quoi la dépêche du 18 octobre était chargée de répondre; mais cette réponse, M. de La Rochejaquelein ne la jugeait pas « telle qu'il l'aurait désirée. » A la vérité, le Piémont s'était arrêté devant nos troupes protectrices du territoire si restreint autour de Rome. «< Il se serait arrêté, je l'affirme, continuait l'orateur, devant un piquet de soldats français, devant un brick français, à la frontière romaine ou devant Ancône. L'Angleterre nous respecterait davantage si nous avions imposé notre volonté au Piémont, et l'Europe entière ne serait pas pour bien des années... obligée de soutenir un pied de guerre ruineux... » Logiquement, selon l'honorable Sénateur, la chute de Rome devait suivre celle de Gaëte, et il adjurait le Sénat « de repousser de pareilles conséquences. » En ce qui concernait Rome en particulier, rappelant que, d'après les journaux anglais et italiens, il y aurait accord entre la France et le Piémont pour en finir avec Rome, l'orateur conseillait au Sénat de protester contre ce calonnies. <«< Rome ne sera pas livrée à l'Angleterre, s'écriait-il, tant qu'il y aura en France de l'honneur français. » On demandait au Gouvernement romain des réformes. Il en avait besoin, M. de La Rochejaquelein en convenait; mais le passé à la main, et tout en reconnaissant qu'il y avait des abus réels, il pensait que cela tenait plus aux mœurs et à l'esprit de la nation qu'au Gouvernement lui-même. Il ajoutait que le dernier représentant de la France à Rome (M. de Rayneval), ne partageant pas absolument les vues de son Gouvernement, il lui était arrivé d'encourager parfois le Cabinet romain dans ses résistances, plutôt qu'il ne le pressait d'accorder les concessions demandées.

Mais à cet endroit l'orateur fut interrompu par les réclamations du Ministre des affaires étrangères. M. Thouvenel, et du Prince Napoléon, enfin du comte Walewski. Le Président lui-même crut devoir adjurer M. de La Rochejaquelein de retirer ses paroles. L'incident vidé, l'orateur ajouta qu'il le fallait bien dire le coup d'Etat qui, pour la France, avait été la défaite de la Révolution, avait été aussi considéré, par un certain nombre de Gouvernements comme impliquant en même temps la défaite de la Liberté, témoin la suppression simultanée de la Constitution autrichienne par le prince de Schwarzemberg. Rien de surprenant dès lors à ce que, à Rome, après le meurtre de Rossi, le Pape ait invoqué des motifs analogues à ceux qui ont reculé en France le couronnement de l'édifice impérial. L'orateur s'appuyait ensuite, non sans à-propos, de l'opinion de Napoléon Ier, pour prouver à quel point il était nécessaire que l'édifice pontifical fût maintenu. « L'institution, disait l'Empereur, qui maintient l'unité de la foi, c'est-à-dire le Pape gardien de l'unité catholique est une institution admirable. On reproche à ce chef d'être un souverain étranger. Ce chef est étranger, en effet, et il faut en remercier le Ciel. Quoi! dans le même pays, se figure-t-on une autorité pareille à côté du gouvernement de l'Etat. Réunie au Gouvernement, cette autorité deviendrait le despotisme du Sultan. Séparée, hostile peut-être, elle produirait une rivalité affreuse, intolérable. Le Pape est hors de Paris, cela est bien. Il n'est ni à Madrid ni à Vienne, et c'est pourquoi nous supportons son autorité spirituelle : à Vienne, à Madrid, on est fondé à en dire autant. On est donc trop heureux qu'il réside hors de chez soi, et qu'en résidant hors de chez soi, il ne réside pas chez des rivaux ; qu'il habite dans cette vieille Rome, loin de la main des empereurs d'Allemagne, loin de celle des rois de France ou des rois d'Espagne, tenant la balance entre tous les souverains catholiques, penchant toujours un peu vers le plus fort, et se relevant bientôt si le plus fort devient oppresseur. Ce sont les siècles qui ont fait cela, et ils l'ont bien fait. Pour le gouvernement des âmes, c'est la meilleure, la plus bienfaisante des institutions qu'on puisse imaginer.... » Revenant à la politique suivie, M. de La Rochejaquelein eût voulu la solution indiquée par la lettre

impériale du 21 octobre 1859. (V. Ann.) « Oui, disait-il, nous voulons l'indépendance de l'Italie sur de pareilles bases, pourquoi les abandonner et se rallier à la pensée anglaise de l'unité italienne? mais on ne doit pas intervenir dans les débats intérieurs d'une nation? Y avait-il une nation italienne composée du Piémont, de la Lombardie et de tous les Etats italiens, y compris la Sicile? » L'orateur le niait. Et selon lui il ne fallait pas dire que c'était une nation qui voulait revenir à son unité, mais bien que l'on voulait faire une Italie, une nation puissante à côté de la France, en la formant d'éléments de diverses origines. Mais, disaient les documents officiels, on ne pouvait pas intervenir dans les querelles intérieures de l'Italie : on n'avait pas toujours tenu ce langage, répondait l'orateur. Toutefois, il convenait que si jamais l'alliance anglaise devenait sincère, respectant les droits et les lois de chaque peuple; si la France et l'Angleterre se mettaient d'accord sur les véritables progrès et repoussaient les principes funestes qui créent en pleine Europe une armée permanente de la France; si ces deux puissances voulaient se rendre les arbitres du monde, leur gloire, leur prospérité n'auraient point de limites. Le droit des gens, placé sous la sauvegarde de toutes les puissances, serait défendu par elles. Le respect des traités ne serait plus un vain mot.

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Tel était le rêve de M. de Larochejaquelein. Il concluait enfin que la France n'avait pas adopté une position assez nette, assez haute, assez déterminée, vis-à-vis de la Révolution, vis-àvis du Piémont. Que fallait-il faire alors? · Avoir d'abord une politique libre, décidée, que tout le monde comprenne bien et que l'on soit déterminé à faire valoir; ensuite, demander à l'Europe de se réunir au plus tôt dans un congrès qui déciderait toutes les questions qui menacent la paix du monde. Si des Gouvernements s'y refusaient, «< on ferait prévaloir la politique de la France. » Seulement il ne fallait pas hésiter à combattre la Révolution. Selon l'honorable sénateur, l'Empereur aurait été appelé à arrêter la Révolution et à mettre en pratique les principes vrais dégagés des luttes du passé. En ce qui concernait Rome en particulier, au sens de M. de Larochejaquelein, la France devait déclarer que la défense de sa religion et de sa

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