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leurs anciens souverains; elles avaient donc profité de l'occasion, pour s'en débarrasser une bonne fois. >>

Toutefois, le prince Napoléon distinguait entre la question de Parme et celle de Modène et de la Toscane. La première de ces questions, disait-il, n'avait pas même été traitée à Villafranca; il avait, de plus, été stipulé que Parme appartiendrait au Piémont seulement. Au moment d'écrire ce paragraphe, l'Empereur d'Autriche avait fait observer qu'il ne pouvait pas disposer de ce qui ne lui appartenait pas. Et il avait ajouté N'en parlons pas; occupons-nous seulement du duché de Modène et de la Toscane ; puisque le roi Victor-Emmanuel occupe Parme, il le gardera. On parlait de la neutralité de ce duché, neutralité dérisoire selon le Prince.

Quant à l'annexion de Nice et de la Savoie, on ne pouvait contester le caractère de justice de cet acte, un des faits les plus glorieux des temps modernes pour la France. « On a beaucoup parlé au nom des traités... La politique française les doit respecter; mais quant à ces odieux traités (de 1815) qui ont mis le pied de l'Europe sur la gorge de la France, il faut, toutes les fois que nous le pouvons, les maudire et les déchirer. » Jusqu'à présent, remarquait l'orateur, ces traités n'avaient été déchirés que contre la France. La gloire de Napoléon III, c'est de les avoir déchirés, c'est d'avoir laissé aux autres Gouvernements qui l'ont précédé la triste vanité de les maudire. Lui, il n'a fait ni une ni deux; de la pointe de son épée il les a déchirés, et le peuple lui en est reconnaissant. »>

Venant aux affaires de Rome, le Prince appuya sur quelques dépêches et documents son opinion sur cette question. En premier lieu, le fait de l'encyclique, lancée contre le droit public français, sans avoir été communiquée au Gouvernement impérial; puis la citation d'une « conversation extrêmement curieuse » dont le duc de Gramont rendait compte au Ministre. « Je commence à croire disait ce diplomate au cardinal Antonelli, que vous désirez un cataclysme vous ne pouvez fermer les yeux à l'évidence; vous voyez le mouvement qui vous enlace, vous savez que la révolte des Marches et celle de l'Ombrie sont imminentes... Vous savez, continuait le représentant de la France, les dangers que court

SÉNAT.

le royaume de Naples, et quand un mot de transaction pourrait encore conjurer l'orage, sauver le reste des Etats du Pape, sauver Naples que vous sacrifiez sans pitié, sauver l'Italie peut-être d'un bouleversement général, vous refusez tous les tempéraments et vous appelez la tempête, comme si vous spéculiez sur les épaves du naufrage. » Mais où l'orateur voyait plus que de l'aveuglement, c'était dans l'autorisation donnée par la Cour de Rome au général de Lamoricière. Puis il faisait le piquant tableau de ce qu'il appelait le Coblentz romain. De Rome, le Prince passait « aux puissances les plus catholiques qui ne demandaient qu'à baiser les pieds du Saint-Père et à soutenir son pouvoir temporel; » et il citait une dépêche de M. Barrot, dans laquelle il rendait compte d'une conversation avec M. Collantes, ministre des affaires étrangères « de la très-catholique Isabelle (sic). » Il résulterait de cette pièce que M. Collantes ne contestait pas l'obstination du Saint-Père, qui, dès qu'il avait été établi sur le trône, avait oublié les leçons de 1848, de même qu'il avait oublié les promesses de réformes faites au temps du danger. Le Ministre de la Reine d'Espagne aurait exprimé aussi l'opinion que la proposition faite par l'Empereur des Français de réunir une conférence des puissances catholiques, pour délibérer sur la question romaine, en dehors de la question des Romagnes, était inspirée par la saine et calme intelligence des vrais intérêts du Saint-Siége. Quelle était maintenant la pensée du Gouvernement de Lisbonne ? D'une dépêche du chargé d'affaires de France en Portugal, le Prince Napoléon retirait la preuve qu'elle ne différait point de celle de son collègue d'Espagne. Venant à l'attitude du roi de Naples, lorsqu'on lui offrit de prendre en main la cause du pouvoir temporel du Pape « qui fuyait de tous côtés comme un vase fêlé (sic),» et alors qu'on lui proposait d'envoyer des troupes pour venir en aide à la papauté : « Nous ne sommes pas assez forts, aurait-on répondu, pour donner des secours au Pape, pour lui donner des troupes. » Puis on aurait ajouté : » A côté des Légations, il y a d'autres provinces qui nous touchent et qui sont aussi malheureuses, tout aussi mal gouvernées que les autres. Laissez-les vivre à titre de vicariat. >>

L'emploi de ce mot n'était donc point piémontais comme on

l'avait prétendu. Après avoir ainsi rappelé les dispositions de la Cour de Naples, le prince Napoléon évoqua rétrospectivement les griefs du pays contre la politique de cette Cour avant sa chute. Puis il s'attacha à répondre aux attaques dirigées «< contre la conduite du Nord de l'Italie vis-à-vis du Sud. » Il reconnaissait que le droit strict n'avait pas été respecté. Mais il y avait les circonstances, la souveraine loi, le salut du pays, témoin ailleurs le coup d'Etat de 1851, et, antérieurement, le retour de l'île d'Elbe. Seulement le Prince eût voulu plus de franchise de la part de M. de Cavour qui, à son sens, aurait dû dire : « Je ne puis m'opposer au mouvement des Deux-Siciles, je ne puis empêcher Garibaldi de partir. » Quand un Gouvernement régulier, entouré de cent mille hommes, possédant une marine formidable, quatorze frégates à vapeur, ne sait pas se défendre contre mille courageux patriotes, évidemment il doit tomber, il est destiné à périr; que devait faire le Piémont? En allant à Naples, en face de la révolution qui venait d'y éclater, il avait arrêté l'anarchie en Italie. En même temps, comment pouvait-il arrêter Garibaldi? Il n'y avait qu'un seul moyen, c'était de prendre en main la cause et le drapeau de ce général. « C'est là de la politique, de l'excellente politique, et ce n'est pas de la mauvaise foi. »>

En terminant, le Prince aborda la question de l'unité italienne. A ses yeux, l'unité italienne avait été le résultat inévitable de la guerre de 1859. Quand le peuple italien a vu l'Autriche tomber, il a dit : « Le maître est tombé, ses valets vont tomber avec lui; ils ne doivent plus se relever. Napoléon a abattu l'arbre sur le Mincio, les branches doivent tomber partout. » Seul, le Pape était dans une position différente. Il eût pu dire « Je suis avec le parti de l'indépendance italienne. » Mais non ; il s'est tourné du côté de l'Autriche. Le Prince-orateur le déclarait : « Pour réformer la carte de l'Europe de 1815, dans l'intérêt de la France, il n'y a pas d'autre moyen que l'émancipation de l'Italie et l'unité italienne doit être la conséquence de cette émancipation. >> - « Je vous demande, Messieurs, disait le Prince, à quoi vous ont servi tous ces petits princes qui se disputaient les lambeaux de l'Italie ? A semer la discorde, à faire intervenir les influences autrichienne, espagnole, à ouvrir des champs de

SÉNAT.

bataille pour les influences étrangères? Mais rien de semblable avec une nation de 25 millions d'habitants. Ce qui dominait tout, au sens de l'orateur, c'était la question politique; l'origine des gouvernements, l'origine populaire, élective, nationale, tel était le véritable aimant de l'alliance française et italienne en un mot, deux dynasties également issues du suffrage universel. Aussi bien le Prince s'applaudissait-il de la politique suivie depuis 1859 comparée avec celle de 1848. Mais un mot contre lequel il s'insurgeait avec passion, » c'était que l'unité de l'Italie fût tout au plus une expression géographique. Restait la question de savoir si cette unité n'était pas la seule politique bonne, et même la seule possible. Emploierait-on la force pour la prévenir?«< Hypothèse folle, absurde, liberticide,» suivant le Prince. Il ne croyait pas, en ce qui concernait Rome, qu'elle put vivre comme elle vit, entourée de la liberté et de l'indépendance; mais il y avait Venise. Cette reine de l'Adriatique, entre les mains de l'Autriche, c'était un des malheurs qui pesaient sur l'époque moderne; aux yeux de l'orateur, toute attaque intempestive, tout appel à la force, serait déplorable. Mais le malheur de Venise serait peut-être utile au reste de l'Italie; ainsi, quant à Venise, ce que conseillait l'orateur, c'était de laisser faire une puissance plus forte que les baïonnettes, l'opinion publique; il espérait à cet égard en la sagesse du peuple italien. Quand, disaitil, le Parlement italien aura décrété que Victor-Emmanuel est roi d'Italie, il demandera une capitale, et avec la logique des faits, il dira: Pas d'intervention! c'est votre droit politique. A cet égard, l'orateur citait digressivement une dépêche du Ministre des affaires étrangères de France au duc de Montebello, datée du 17 octobre 1860, laquelle se résumait dans les points suivants : 1o Dans le cas où la Vénétie serait attaquée par le Piémont, la France s'engagerait à s'abstenir à la condition que les puissances allemandes s'abstiendraient de leur côté. 2o Il serait entendu que l'état des choses qui a déterminé la guerre de 1859 ne serait point rétabli; qu'en tout cas la Lombardie resterait acquise au Piémont, et que l'Italie serait fédéralisée conformément au traité de Zurich. 3° Un congrès réglerait les questions relatives aux circonscriptions des divers Etats de l'Italie et à l'établis

1861.

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sement des pouvoirs destinés à les gouverner; 4° Lors même que le Piémont viendrait à perdre les acquisitions faites en dehors des stipulations de Zurich et de Villafranca, le traité de cession de Nice et de la Savoie ne serait l'objet d'aucune discussion dans un congrès; on n'y pourrait régler que la neutralisation du Faucigny et du Chablais. « Cette dépêche, c'est le Prince qui parle, est la base de la liberté, de l'indépendance et de l'unité de l'Italie; elle est le bouclier de la non-intervention. Cette dépêche me suffit pour constituer le royaume d'Italie. Qu'on donne Rome et il sera constitué. » L'orateur approuvait l'envoi de cette dépêche par le Gouvernement français, alors qu'on parlait de coalition, «< que l'on était à Varsovie; que l'on voulait s'entendre contre la France. » Ce qui a sauvé la paix, c'est cet acte d'énergie, loyale, franche de l'Empereur. Voilà ce qui a rendu l'unité de l'Italie possible, et ce qui a consacré le renversement des traités de 1815. Venait la question « de l'abdication papale; » ainsi s'exprimait le Prince. Toutefois, après avoir reconnu qu'il fallait une certaine indépendance à ce chef spirituel, qu'il ne devait pas être le sujet d'un souverain quel qu'il fut, et, partant, que de là venait la difficulté de régler la question de Rome, l'orateur, pensait que cette difficulté n'était pas insoluble. « Jetez les yeux sur un plan de Rome, et vous verrez quelque chose d'extraordinaire que la naturé a fait. Le Tibre divisant cette ville sur la rive droite, vous voyez la ville catholique, le Vatican, SaintPierre; sur la rive gauche, vous voyez la ville des anciens césars, vous voyez le mont Aventin, enfin, tous les grands souvenirs de la Rome impériale. Sur la rive droite, la Rome (sic) où s'est réfugiée, dans les temps modernes, la partie la plus vitale du catholicisme; il y aurait possibilité, je ne dis pas de forcer le Pape, mais de lui faire comprendre la nécessité de s'y restreindre.

Le Prince, comme on voit, reproduisait les vues d'un écrit mémorable. A cette condition, il lui paraissait possible de garantir au Pape son indépendance temporelle dans ces limites. La catholicité lui assurerait un budget, propre à la splendeur de la religion, et lui fournirait une garnison. Un budget catholique serait bien plus assuré, une fois garanti par toutes les puissances, qu'un budget romain assis sur un Etat dont

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