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SÉNAT.

le Pape aurait perdu presque toutes les provinces. De l'avis du Prince, on pourrait laisser au Saint-Père une juridiction spéciale et mixte pour les cas contestés; on lui laisserait son drapeau, on lui donnerait en toute propriété toutes les maisons dans la partie de la ville indiquée par le discours de l'orateur. Le Prince citait Washington comme un exemple de cette neutralité. « Vous auriez >> ainsi, disait-il, une oasis du catholicisme au milieu des tem» pêtes du monde. » En un mot, deux solutions possibles : l'unité de l'Italie avec Rome pour capitale, ou la solution de M. de La Rochejaquelein, avec ses désastres. Prévoyant les conséquences de la première, le Prince voyait le chef de la catholicité actuellement humilié, alors indépendant, révéré de tous dans le centre même de la catholicité, dans Rome, protégé par des limites incontestées, en dehors des tempêtes humaines. La catholicité n'aurait qu'à gagner à voir le Pape, dans une grande et honorable retraite, d'où il dominerait tout le monde et ne dépendrait de personne. Le Prince voudrait que du sein du Sénat il s'élevât une voix sincère qui lui dit : Sagesse, Saint Père. C'est du Sénat français que devraient partir ces paroles: Sagesse, de la part de vos fils les plus dévoués, de ceux dont vous ne pouvez contester les sympathies; de la part de ceux qui vous ont rendu service dans tous vos malheurs depuis douze ans. Ecoutez nos conseils: Sagesse, Saint-Père, et que la politique de l'Empereur s'inspire de cette ancienne devise : « Fais ce que dois, advienne que pourra ! » Agitation prolongée, ajoutait ici le compte-rendu officiel. S. A. I. reçut de nombreuses félicitations après ce discours remarquable à bien des titres.

Le marquis de La Rochejaquelein répondit incidemment à telles paroles du préopinant, qui faisaient de lui « le bouc émissaire d'opinions» qu'il n'avait jamais soutenues pas plus dans le Sénat qu'ailleurs, durant sa carrière politique déjà longue.

Réponse du prince Napoléon: Il avait pu trouver que les arguments produits par M. de La Rochejaquelein n'étaient autres que ceux mis en avant par les journaux d'une certaine opinion; mais il n'avait, en aucune façon, attaqué sa personne.

Après le Prince Napoléon, le cardinal Mathieu prit la parole.

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M. Piétri avait reconnu l'œuvre d'un parti dans l'agitation produite par la question romaine. Le vénérable prélat doutait de ce fait. Selon lui, il n'y avait dans cette agitation qu'une émotion, une peine, une anxiété religieuse. « Vous êtes trop heureux, disait-il, que l'agitation ne soit que religieuse, la religion ne fait point d'émeutes; elle n'òte rien à la couronne du prince ni au pouvoir de son sceptre. Venant à la question du temporel, que, selon lui, M. Piétri, voulait supprimer, le prélat se demandait quelle serait la garantie d'indépendance que cette suppression donnerait aux peuples pour leur chef spirituel. Le temporel une fois supprimé, comment le Pape subviendrait-il à ses besoins? établirait-on une liste civile ? On se présenterait donc aux Chambres comme dans les pays constitutionnels, on se résignerait aux discussions, aux observations, aux fluctuations du vote. Mais ce vote opéré et l'inscription faite au Grand-Livre de la dette, on pourrait bien avoir à subir des retenues, des consolidations et la banqueroute. M. Piétri se figurait bien le Pape, comme le chef suprême des agneaux et des brebis, il n'est tout cela, répond le cardinal Mathieu, que parce qu'il est évêque de Rome. Son pouvoir suprême est attaché à ce siége, et ne peut pas plus en être détaché que le rayon ne peut l'être du soleil, le ruisseau de la source.

Quant à ce qui avait été dit par le Prince Napoléon, l'éminent prélat y voyait le renversement de tous les principes reconnus. S'agissait-il, par exemple, de la non-intervention et de la dépêche citée par le Prince, laquelle avait rendu immobiles les souverains. réunis à Varsovie, l'orateur arrivait par la doctrine des auteurs et par les conséquences pratiques à des conclusions diamétralement opposées à celles du Prince auquel il répondait.

M. Billault porta à son tour le poids de sa parole dans la discussion. Il posa tout d'abord la question dans ces termes : « L'Empereur, depuis dix-huit mois, a-t-il loyalement, énergiquement lutté pour faire prévaloir, à l'égard de l'Italie, la politique qu'il avait tout d'abord proclamée, ou bien, n'a-t-il, comme certaines voix osent le prétendre, joué qu'une indigne comédie, indigne de lui, indigne de la France?» La question ainsi posée, l'organe du Gouvernement établit ce point, que ce n'était pas la première fois qu'à la politique temporelle de la France, se trouvaient mêlés les inté

rêts de la puissance pontificale. Cette réminiscence était suivie, dans le discours de M. Billault, du tableau « concis, net, » du resumé de la politique de l'Empereur depuis dix-huit mois en face de la question d'Italie. Quels étaient, se demandait le Ministre, les intérêts prédominants de la France en 1859? L'un, répondaitil, qui, depuis des siècles, est en Italie la base fondamentale de la politique française d'y arrêter, d'y détruire, s'il était possible, la prédominance de la politique autrichienne, et de ne pas permettre l'extension jusqu'à nos portes d'une puissance subreptice, d'un péril véritable pour la France. Autre pensée également aucienne, celle de rendre l'Italie à un régime de liberté sage, modérée; mais cette double prévision faite et réalisée, l'Empereur avait à sauvegarder une autre politique traditionnelle, celle de la sécurité et de l'indépendance du Saint-Père. Nul doute : la guerre allait produire, dans les populations de la Péninsule, une agitation profonde. L'Empereur voulut s'assurer d'abord qu'elle ne troublait en rien les Etats du Saint-Père. La garantie de cette sécurité c'était, d'une part, la présence de notre drapeau à Rome; d'autre part, la présence du drapeau autrichien à Bologne. Qu'arrivat-il cependant? Le 12 juin, sans motif sérieux, les Autrichiens évacuèrent inopinément les Marches, et aussitôt les populations d'être livrées à elles-mêmes et à la liberté. De là la perte de Bologne pour la papauté, et ce, par un fait complétement étranger à la volonté de l'Empereur, contrairement à ses prévisions et à sa ferme volonté. Et, cependant, tandis que la puissance catholique. qui, en évacuant les Romagnes, les avait perdues pour le SaintPère, ne recevait aucun reproche, l'Empereur, qui avait sans cesse, et à chaque fois, tout fait, pour protéger le domaine temporel, était l'objet des récriminations les plus violentes, les plus infatigables. Lors de la convention de Villafranca, quelle avait été la première préoccupation de l'Empereur? celle de réserver encore, s'il était possible, la dignité temporelle du Pape, de le mettre, par la présidence d'une confédération italienne, à la tête des populations, de lui rendre, dans de meilleures conditions, le beau rêve que lui-même, à l'avénement de son pontificat, avait essayé de réaliser. Il n'était donc pas vrai que l'Empereur n'avait, en réalité, entendu faire qu'une œuvre morte, une fiction

à laquelle lui-même ne croyait pas. Cette combinaison ménageait, au contraire, les intérêts de l'avenir et les prétentions du passé; la liberté des peuples était assurée, une porte de retour restait ouverte aux princes dépossédés, et certes, c'était générosité grande de la part de l'Empereur; car ces princes, à Solférino, avaient combattu dans les rangs de nos ennemis. A cet endroit, l'orateur du Gouvernement rappela les événements qui suivirent les annexions au Piémont, et les concessions tardives faites aux populations par les princes dépossédés. « Les concessions nécessaires, remarquait à cette occasion M. Billault, sont la plupart du temps, faites trop tard; bien peu de gouvernements ont pu les faire à temps; mais l'histoire en signale un grand nombre pour lequelles ces concessions tardives n'ont fait que précipiter leur chute. L'orateur constatait à regret que cette vérité, cette idée de fédération introduite à Villafranca n'avait pas été comprise par le Saint-Siége. S'il s'était mis résolument à la tête de cette patriotique entreprise, le Piémont aussi s'y serait associé. Mais personne ne s'était prêté à cette combinaison, et c'est alors que l'Empereur avait provoqué la réunion d'un Congrès : « car il avait pensé que des changements considérables ne pouvaient prendre une place définitive dans le droit public européen, sans que les puissances, par leur assentiment, vinssent les consacrer. » a C'est là, Messieurs, continuait l'interprète de la pensée gouvernementale, une pratique qui s'introduit de plus en plus dans les affaires de l'Europe, et c'est un progrès, un moyen, la plupart du temps, efficace, pour maintenir la paix et prévenir les conflagrations ». Au mois de décembre, le Congrès était accepté par toutes les puissances continentales avec empressement, par les autres, ou plutôt par une autre, l'Angleterre, avec des réserves. L'Autriche et le Saint-Siége voulaient un engagement sur les solutions qui seraient acceptées et celles qui seraient combattues. En décembre 1859, la combinaison, possible en juillet, ne l'était plus quand l'Italie centrale était en feu. De là la lettre de l'Empereur au Saint-Père, et le conseil par lui donné au Pape d'abandonner les Romagnes. Refus du Saint-Père par l'encyclique connue de tout le monde : Tout ou rien, tel en était le sens. Partant, point de Congrès possible.

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- Mais la brochure le Pape et le Congrès? interrompit à cet endroit un membre.

Le Ministre : « J'y arriverai. » Il y arriva en effet, et la résuma. En parfaite harmonie avec la situation, elle ne donnait au SaintPère, selon M. Billault, que des conseils salutaires, et les affaires temporelles n'en seraient pas où elles sont, si ces conseils avaient été suivis. C'était en décembre, alors que l'intention du Piémont n'avait pas encore reçu son développement. Mais plus difficile était la situation. Alors nouvelle combinaison proposée par l'Angleterre, à savoir, l'évacuation de la Lombardie, et même de Rome, et, Venise laissée de côté, et engagement de la part des deux gouvernements, de laisser le suffrage universel prononcer en Italie sur la question d'annexion à la Sardaigne. Mais, par suite, accroissement de confiance pour le parti de l'annexion. L'Empereur alors revient à son idée de Confédération, la seule peut-être résolutive de toutes les difficultés. En conséquence, proposition au Piémont de prendre le vicariat des Légations sous la suzeraineté du Pape et la reconstitution de l'autonomie de la Toscane, et nouvelle insistance de la part du chef du Gouvernement français pour que l'on suive ses conseils. Mais qu'arriva-t-il ? - Le suffrage universel inscrit dans les dépêches de l'Angleterre fonctionne, toute l'Italie centrale réclame l'annexion, et un décret du Roi de Sardaigne la prononce. « Les prévisions de l'Empereur, dit l'orateur, se sont ainsi réalisées pas à pas ; à chaque étape de cet envahissement. » Il a fait tous ses efforts, en juillet, en décembre, en février; et tous ses efforts sont restés inutiles, il n'a été compris par personne; et cependant je n'hésite pas à le dire, et je crois que le Sénat finira par le dire avec moi, « lui seul avait raison. » Quant aux Romagnes, à la perte désormais accomplie, comment a répondu le Saint-Père ? Par les armes spirituelles : le 23 mars excommunication. O Mais en même temps persistance de la situation, et l'Empereur a acquis la conviction que désormais il n'y a plus aucune combinaison territoriale à offrir au Saint-Père, aucun effort nouveau à tenter. » A la proposition du Pape de se faire garder par les troupes napolitaines, Napoléon III, qui ne voit plus qu'un statu quo quelconque possible pour la Cour de Rome, consent avec em

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