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CHAPITRE VIII.

Convocation du Sénat. Ce qui avait préparé cette assemblée à la délibération nouvelle. Rapport de M. de Casabianca sur les crédits supplémentaires. Quel est le droit du Sénat en cette matière et ce droit peut-il être autre chose que la question constitutionnelle? — Réponse de l'organe du Gouvernement. Session extraordinaire du Sur quoi il est appelé à délibérer les virements et les crédits supplémentaires. Exposé des motifs présenté par M. Baroche. Rapport de M. Troplong. Discussion. Paroles d'un ancien ministre, M. Magne. M. Brenier opposé au projet de sénatus-consulte. Pourquoi. M. de Ségur-d'Aguesseau favorable au projet.

Sénat.

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– Grave incident que soulève ce sénateur.

Paroles du Président

et de M. Dupin. - M. Bonjean et les amendements par lui proposés. Paroles de MM. Fould et Forcade de la Roquette. projet.

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Adoption du

Le Sénat était en quelque sorte préparé au sujet important qu'il allait avoir à débattre par une discussion encore récente, soulevée par une question, sinon absolument analogue, du moins voisine, dont il avait été saisi dans le courant de la session. C'était lors de la présentation (27 juin) du rapport de M. de Casabianca sur la loi relative aux crédits supplémentaires de 1861, déjà votée par le Corps législatif, et aux crédits extraordinaires ouverts en 1860, et encore en 1861. A cette occasion, la Commission, dont M. de Casabianca était l'organe, posait une question importante: « Le Sénat, demandait-elle, a-t-il un contrôle réel à exercer sur les lois de finances, si intimement liées à la prospérité et à la puissance du pays; ou bien la sanction qu'on lui demande ne consiste-t-elle que dans une formalité vaine, dans une sorte d'enregistrement sans examen? En d'autres termes, ces lois peuvent-elles soulever des questions constitutionnelles, les seules qu'il nous soit permis de discuter lorsque nous venons à statuer sur les projets de lois approuvés par le Corps législatif? Partant du principe constitutionnel, que la nation, par ses représentants, vote l'impôt et en règle l'em

ploi de concert avec le Chef du Pouvoir exécutif, et, dès lors, de l'obligation imposée aux Ministres de ne faire aucune dépense non autorisée par la loi du budget, ni de dépasser la somme y affectée, la Commission établissait, que c'était sur cette règle que reposait « tout le système financier. » Si en dehors, l'anarchie et le désordre, en l'absence des assemblées législatives, se révélaient tout à coup, ou l'insuffisance d'une allocation budgétaire, ou un besoin nouveau et urgent, on y pourvoyait en ouvrant, par décret, un crédit supplémentaire dans le premier cas, extraordinaire dans le second. Bien que l'usage d'une faculté circonscrite dans ces conditions, dût sembler rare, il offrait cependant un expédient facile de se soustraire aux prescriptions du budget « qui, quelquefois, paraissent génantes au Gouvernement. » En effet, les crédits n'avaient pas cessé de s'accroître. Le Gouvernement, lui-même, s'était ému de ce résultat. En vue de diminuer le nombre de ces crédits, un décret, en date du 10 novembre 1856, défendit aux Ministres, sous leur responsabilité d'engager aucune dépense nouvelle, avant qu'il n'ait été régulièrement pourvu au moyen de la payer. Il ordonna, en outre, que tout décret portant ouverture de crédits supplémentaires ou extraordinaires seraient rendus sur avis du Conseil d'Etat et du Ministre des finances, qui les contre-signerait avec le Ministre compétent. Et pourtant, le but n'avait pas été atteint. Témoin la loi même soumise aux délibérations du Sénat. Ici se représentait la question posée : Le Sénat serait-il désarmé «< si les dispositions constitutionnelles qui protégent la fortune publique contre l'exagération des dépenses étaient enfreintes ? » Quant à la Commission, partant de ce point, que la légalité des crédits était subordonnée à l'imprévu et à l'urgence, elle concluait que le Sénat, avant de les sanctionner, devait constater cet imprévu 'et cette urgence. Attendu qu'en cette occurrence, la question de fait se liait essentiellement à la question constitutionnelle. Si on enlevait au Sénat la connaissance de la première, on le mettait dans l'impossibilité absolue de répondre sciemment à la seconde, sous le mérite de ces considérations et, précisément, parce que, cette fois, elle estimait que les crédits en question remplissaient, en effet, les conditions

voulues d'imprévu et d'urgence, la Commission était d'avis de promulguer la loi.

M. Billault, ministre sans portefeuille, répondit à ces observations, au moins inattendues : « Que le Sénat, disait-il, soit le vigilant gardien des principes constitutionnels, c'est son droit, son devoir, le vœu du Gouvernement qui le lui demande. Mais que le Sénat « sortant de la circonspection habituelle de son langage, » donnât son assentiment à des paroles » dont les généralités exagérées allaient « bien au delà du but, » ce n'était pas dans son habitude, faisait observer le Ministre, « ce ne sera pas plus aujourd'hui qu'hier,» ajoutait-il. Quant à la question ellemême, après avoir rappelé les principes, à savoir, que le vote des crédits, quels qu'ils pussent être, devait appartenir au Corps législatif seul, M. Billault soutenait que, « sur les lois de finances comme sur les autres, le Sénat n'avait à examiner que les questions constitutionnelles. >>

M. de Casabianca ayant répliqué, que si le Sénat n'était pas compétant à examiner la question d'urgence et d'imprévu des crédits, « le contrôle constitutionnel qui appartient au premier Corps de l'Etat serait illusoire, » M. Billault répliqua de son côté, que c'était là « une question de fait et non de forme constitutionnelle, » et que, résolue par le Corps législatif, elle ne saurait appartenir au Sénat. »

A son tour, M. le Président fit remarquer que la question demeurait réservée, et ne pouvait donner lieu à un vote. « L'opinion de la Commission, disait-il, est grave sans doute; mais ce n'est que l'opinion d'une Commission. Elle n'engage pas celle du Sénat. >>

Le vote, sur l'ensemble, suivit ces paroles, et la loi fut promulguée à l'unanimité.

Le Sénat était donc pleinement au courant du problème. Toutefois, le projet de sénatus-consulte, en date du 30 novembre, présenté le 2 décembre, et portant modification des articles 4 et 12 du sénatus-consulte antérieur du 25 décembre 1852, ne devait avoir trait qu'à la question constitutionnelle, quoique, pouvant, par cela même, témoigner de la sagesse des considérations présentées au nom de la Commission des crédits

supplémentaires, par M. de Casabianca. Le Sénat décida que la lecture de l'Exposé des motifs que devait faire M. Baroche, n'aurait pas lieu. On se contenterait de l'impression de ce document. Le projet portait (article 1), que le budget des dépenses serait présenté au Corps législatif avec ses divisions en sections, chapitres et articles; que le budget de chaque ministère serait voté par sections conformément à la nomenclature annexée au projet; que la répartition par chapitres des crédits accordés pour chaque ministère serait réglée par décret rendu en Conseil d'Etat; et, enfin, que des décrets spéciaux, rendus dans la même forme « pourraient autoriser des virements d'un chapitre à un autre dans le budget de chaque ministère.

L'article 2 disposait qu'il ne pourrait être accordé de crédits supplémentaires ou de crédits extraordinaires qu'en vertu d'une loi; mais qu'il ne serait point dérogé aux dispositions des lois existantes en ce qui concernait les dépenses des exercices clos restant à payer, les dépenses des départements, des communes et des services locaux; enfin, les fonds de concours pour dépenses d'intérêt public.

L'Exposé des motifs ne pouvait guère ajouter aux considérations qui ressortaient des lettres de l'Empereur et du Rapport de M. Fould. Aux deux objections tirées, la première, que le droit de virement aurait les mêmes inconvénients que la faculté d'ouvrir par décret, des crédits supplémentaires ou extraordinaires; l'autre, que si le Gouvernement se dessaisissait du droit qui lui avait toujours appartenu, depuis 1817, d'ouvrir, en l'absence des Chambres, des crédits supplémentaires ou extraornaires, il y serait ramené par la nécessité des services publics et, qu'au surplus, les virements ne pourraient remplacer¡les crédits, le Conseil d'Etat répondait en montrant, comment, dans la pratique, s'exécuterait le nouveau régime financier. D'abord le budget serait préparé avec soin, « avec plus de soin peut-être que dans le passé. » Tous les besoins seraient accusés avec sincérité, et tous les services suffisamment dotés, sans laisser certaines prévisions de dépenses au-dessous de leur chiffre probable... sans en exagérer d'autres. En un mot, on ferait un budget aussi vrai, aussi exact que possible, cela étant « la condition première

de tout système » ayant la prétention « d'être sérieux et sincère. Que s'il était impossible, que le budget ne présentât point des omissions et des inexactitudes, l'Exposé des motifs faisait observer qu'ils pourraient d'abord être corrigés par le décret de répartition qui aurait, à cet égard, un pouvoir aussi étendu que les décrets de virément.

L'année une fois commencée, chaque ministère userait des crédits mis à sa disposition par la loi de finances. Puis, avant la fin de la session législative, chaque administration pourrait sans peine se rendre un compte exact de sa situation, faire connaître l'insuffisance de ses ressources, les besoins nouveaux que les services en cours d'exécution auraient pu révéler. Ainsi, à chacune de ses sessions, le Corps législatif pourrait être saisi, pour l'année courante, d'une sorte de budget rectificatif ou supplémentaire comme cela se pratiquait avec succès pour l'administration municipale, on accompagnerait cette fixation nouvelle des dépenses opérées en cours d'exercices, des rectifications que comporterait nécessairement aussi l'évaluation des revenus publics. Que si alors les crédits du budget primitif devaient être augmentés, les plus-values que pourraient présenter les recettes serviraient de limite et de mesure à ces augmentations; que si, enfin, ces plus-values étaient insuffisantes et, néanmoins, que les dépenses eussent un tel caractère d'utilité, qu'elles ne pussent être ajournées, le Pouvoir législatif ainsi consulté, avant le fait accompli, pourrait veiller à ce que ces dépenses ne fussent pas votées avant la création des ressources nouvelles, ordinaires ou extraordinaires. Ainsi seraient mises en pratique les sages prescriptions de la loi du 18 juillet 1836. L'Exposé faisait remarquer qu'il y aurait certaines dépenses dont le chiffre exact ne pourrait être connu que par leur liquidation. Dans ce cas et pour cette nature de dépenses, le Corps législatif serait directement saisi des demandes nouvelles et complémentaires qu'elles pourraient exiger, aussitôt après sa réunion. Ainsi tombaient les deux observations faites à l'introduction du système que devait introduire le sénatus-consulte.

« Au point de vue politique, concluait le Conseil d'Etat, le projet de sénatus-consulte aura pour résultat principal de don

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