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LES

A5162
A12

ser. 4

v. 11-13

CAVERNES DES ENVIRONS DE TOUL

ET LES MAMMIFÈRES

Qui ont disparu de la vallée de la Moselle

PAR D.-A. GODRON

La vallée de la Moselle, depuis son entrée dans notre formation jurassique jusqu'à son confluent avec la Meurthe, est étroite, profonde, sinueuse, sauvage et presque partout dominée par de grandes forêts. Elle n'est déboisée et ne s'élargit qu'aux environs de Toul. Cette ville est entourée de couches puissantes de diluvium vosgien et repose ellemême sur cette formation.

C'est dans les assises de l'étage oolithique inférieur, si profondément fissuré, que sont creusées la plupart des cavernes situées dans les environs de l'ancienne capitale des Leuquois. Elles sont connues de temps immémorial, dans cette région, sous les noms de Trous de Sainte-Reine, Trou des Fées, près

SERIE IV, t. XI, 1878.

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de Liverdun; Trou du Géant, près de Villey-le-Sec; Trou des Fées, à Bayonville; Trou du Botenoi, à Arnaville; Trou du Gros-Bois, à Rogéville; Trou de la Grosse-Roche, à trois kilomètres au-dessous d'Aingeray. M. Husson père, pharmacien à Toul, a donné, en 1863, suivant l'usage linguistique local, le nom de Trou des Celtes à une caverne nouvelle découverte par son fils. Deux de ces cavités souterraines méritent seules jusqu'ici d'être décrites, à raison des découvertes importantes qu'y ont faites les explorateurs.

Il en est une autre, toutefois, dont le sol encore vierge de toute recherche scientifique semble promettre des trouvailles intéressantes, c'est le Trou de Saint-Aman, qui présente les caractères d'une caverne à ossements. D'après les renseignements que vient de me communiquer M. Olry, instituteur très-instruit d'Allain-aux-Boeufs, cette cavité souterraine est facilement accessible; on y pénètre à peu près de plain-pied par une courte galerie qui conduit dans une grande chambre au fond de laquelle existe un couloir qui donne accès à une seconde chambre. Dans tout le pays, la tradition prétend que cette caverne est très-étendue; elle n'a qu'une entrée connue.

Il est infiniment regrettable qu'elle n'ait pas été fouillée, et mon âge m'interdit un semblable labeur. Elle est située au sud de la ville de Toul, sur le territoire de la commune de Favières, dans une

vallée qui traverse la forêt de Saint-Aman ('), à peu près de l'est à l'ouest, et près d'un hameau du même nom. « On fait remonter, dit M. H. Lepage, « l'origine de ce hameau à une époque très-reculée. « Saint Amon, évêque de Toul, qui vivait au ïve « siècle, se retira dans la forêt pour s'y livrer à la « prière et à son goût pour la solitude; il y cons<truisit un oratoire en l'honneur de la sainte Vierge, « qu'il consacra lui-même et auquel il ajouta, dans « la suite, plusieurs cellules pour loger les membres « de son clergé qui venaient partager avec leur « évêque les douceurs de la retraite. Dans le siècle dernier, l'ermitage de saint Amon subsistait < encore (*). » Ces faits historiques expliquent l'origine du nom de cette caverne.

Je dois dire aussi un mot du Trou de Diane (en patois : Poté de Dione); ce n'est pas une caverne, mais un puits naturel, profond de six à huit mètres, large de dix à douze. Il est situé sur le territoire de Moutrot, au sud de Toul. Lorsque la Bouvarde grossit, une partie de ses eaux s'y précipite (3).

On s'étonnera peut-être de la singulière dénomination donnée en Lorraine à ces excavations du sol.

(') Cette forêt est désignée à tort sous le nom de SaintAmand dans la Carte de l'État-major.

(*) H. Lepage, le Département de la Meurthe. Nancy, 1843,

in-8°, t. I, p. 499.

(Olry, Notes géologiques sur le département de Meurthe-etMoselle, dans le Bulletin de la Société des sciences de Nancy, t. II (1876), p. 35.

Mais ce n'est pas seulement dans notre pays qu'elle est en usage. Dans une autre partie de l'ancienne Gaule-Belgique, elle est aussi généralement employée. Ainsi les cavernes des vallées de la Meuse et de la Lesse ('), dans le trajet de ces cours d'eau à travers la province de Namur, cavités si fructueusement explorées par M. Édouard Dupont (), portent les noms de Trou des Nuttons, Trou de la Naulette, Trou du Frontal, Trou Magrite, Trou Rosette, Trou Renviau, Trou de Chaleux, Trou des Blaireaux (en patois: Trô des Tassous), Trou de l'Hyène, Trou de Praule, Trou des Allemands, Trou de l'Ours, etc. Cette coïncidence ne doit pas être accidentelle. Cette partie de la Belgique, située au sud des pays anciennement occupés par les Francs saliens et les Francs ripuaires, placée, d'autre part, à l'ouest des anciennes colonies saxonnes du Luxembourg, présente des dénominations de localités toutes dérivées de la langue romane. Ce caractère linguistique relie, par les Ardennes et l'ancien Luxembourg français (Luxemburgum romanum), la province de Namur au pays de Toul et au cours supérieur de la Moselle. Le patois français en usage dans la province de Namur est analogue au patois lorrain (3). On ne doit pas

(') La Lesse verse ses eaux dans la Meuse, en aval de Dinant. (*) Ed. Dupont, dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique; série 2o, t. XX, p. 824 à 880; t. XXII, p. 31 à 68 ; t. XXIII, p. 244 à 264.

(3) L. Jouve, Coup d'œil sur les patois vosgiens. Épinal, 1864, in-12, p. 7.

dès lors s'étonner si le mot Trou, appliqué aux cavernes, est commun aux deux régions.

Le R. P. Bach considère le nom de Toul comme d'origine celtique et pense que cette dénomination lui a été donnée à raison des cavernes existant dans son voisinage. Le mot Toull signifierait, selon lui, en ancien langage gaulois : cavité, trou, profondeur. C'est parfaitement le sens qu'il a dans le breton moderne ('). Toul serait donc, dans cette hypothèse, la ville des Trous. Bien avant lui, Legonidec, sans s'inquiéter du nom de notre ancienne cité lorraine, avait attribué, dans son Dictionnaire breton-français, publié en 1850, au mot Toull (substantif masculin) le sens de trou, cavité, caverne, et à Toull (adjectif) celui de : troué, percé, creux. Sans nous prononcer sur cette étymologie, nous ferons néanmoins remarquer que le Tullum des Romains se prononçait Toull-um et que la désinence um est un suffixe qu'ils ajoutaient souvent aux noms celtiques de localités. On sait, du reste, que les dénominations des villes et des villages étaient souvent, chez les Celtes, empruntées à certaines particularités du sol local, à des espèces d'arbres abondamment répandues dans le pays, etc.

Par contre, les Trous de Sainte-Reine et celui des Celtes, situés au sud-est de Toul, en sont distants de six kilomètres; les Trous des Fées, du Géant et

(') P. Bach, dans les Mémoires de la Société d'archéologie et d'histoire de la Moselle, t. V, p. 208.

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