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ce serait juridiquement incorrect. En conséquence, la loi de 1807 a déclaré formellement (art. 3) qu'elle ne s'appliquait pas « aux inscriptions qui auraient été annulées par jugements passés en force de chose jugée». Et si la loi de 1843 ne le dit pas expressément, les rapporteurs de la loi n'ont pas manqué de le déclarer catégoriquement. Mais, à l'inverse, la loi de 1807, la loi de 1843, modifiant un status légal, pouvaient et devaient être interprétées, à défaut de disposition contraire, comme s'appliquant à toutes les actions en nullité non encore intentées et même à tous les procès pendants (1).

:

C'est par des distinctions du même ordre qu'il faudrait résoudre la question qu'on a parfois posée en théorie et comme exemple — de savoir si une loi pourrait « valider des contrats de mariage sous seing privé » (2). On dit quelquefois cela est impossible. A mon avis, il faut préciser. La loi ne pourrait pas dire les contrats de mariage sous seing privé ont été réguliers, et tout, absolument tout doit se passer comme s'ils avaient été réguliers. Mais la loi peut décider pour l'avenir, les contrats de mariage sous scing privé, même ceux passés avant la loi nouvelle, amèneront les mêmes situations légales qu un contrat de mariage par acte notarié (3).

ment ou réglées par transaction. Jusque-là, il n'y a que des espérances ou des incertitudes. Ainsi, nul doute que la loi nouvelle soit sans effet sur les espèces jugees dans un sens contraire ou conforme à l'interprétation qu'elle donne; mais elle doit exercer son empire sur toutes les questions encore vierges et sur toutes les contestations à naître. Il n'y a là aucune rétroactivité, aucune violation de droits acquis ».

(1) La jurisprudence a décidé que la loi de 1843 s'appliquait aux procès en cours (Toulouse, 28 février 1844, S. 1844-2-442) et même aux procès pendants en cassation (Cass., 20 déc. 1843, S. 44-1-43).

(2) BARTHÉLEMY, op. cit., R. D. P. 1908, p. 483.

(3) Le professeur BARTHÉLEMY (op. cit., R. D. P. 1908, p. 483) propose les formules suivantes : « a) Il est bon que les lois n'aient pas d'effet rétroactif; b) cependant le législateur a le pouvoir de faire des lois avec effet rétroactif ». J'accepte la première formule qui règle la question poli tique. La deuxième formule ne me paraît pas admissible; elle n'est pas assez précise. D'autre part, le professeur ESMEIN, pour résoudre la question générale examinée au texte, affirme que les lois sont « des règles fixes préexistantes au fait qu'elles régissent ». Cette formule séduisante est inadmissible. Elle conduirait à dire que les mariages contractés sous l'empire d'une législation déterminée sont définitivement régis par cette légis lation, et que des lois nouvelles ne peuvent pas modifier le régime légal des mariages accomplis antérieurement; par exemple, il faudrait dire que les mariages accomplis avant 1884 ne pouvaient pas, après la loi de 1884 rétablissant le divorce, être dissous par un divorce.

IV

Des actes juridiques individuels peuvent créer des situations juridiques individuelles pour remettre les choses en l'état. Par là on fera cesser, pour l'avenir, les effets de l'acte juridique régulier, et on créera, pour corriger les effets produits par l'acte accompli, des situations juridiques nouvelles.

Prenons un exemple. Un acte de vente a été régulièrement accompli. X vendeur est devenu créancier du prix 100.000. Les parties peuvent, par un nouveau contrat, décider que la vente antérieure ne produira plus d'effet dans l'avenir, qu'elle est nulle et non avenue ». Cela signifie en particulier que X cesse d'être créancier du prix de vente, que Y cesse d'être créancier de la remise de la chose vendue. Mais, quels que soient les termes employés par les parties, il ne faut pas dire que les choses vont se passer comme si la première vente n'avait pas eu lieu. A la suite du premier acte régulier de vente, le vendeur est devenu créancier du prix; les créanciers du vendeur ont pu faire une saisie-arrèt; cette saisiearrêt n'est pas anéantie par le deuxième acte déclarant la vente <«< non avenue ». En réalité, le deuxième acte rapportant la vente s'analyse, quel que soit le nom donné à ce deuxième acte, en une deuxième vente,à la suite de laquelle l'ancien acheteur devient créancier d'un prix égal au premier et, par suite, se trouve libéré par compensation; l'ancien vendeur devient créancier de la livraison de la chose et se trouve investi du status de propriétaire de la chose. Il ne faut pas dire que le deuxième acte met à néant, rapporte le premier, et que le premier acte est « non avenu ». Il suffit, pour le voir clairement, de faire intervenir, dans l'intervalle des deux actes, une saisie-arrêt sur le prix (1).

Continuous la démonstration avec le même exemple. A là suite de la première vente, l'acheteur a été investi du status de propriétaire de la chose vendue. Supposons qu'une hypothèque légale, judiciaire ait frappé l'immeuble vendu, même à l'insu des parties. Le deuxième acte rapportant » la vente, déclarant la vente «nulle et non avenue», n'en fait pas tomber les effets juridiques. Cette vente a pro

(4) Au point de vue fiscal, il est manifeste qu'il y a deux mutations de propriété et que les droits de mutation seront perçus sur les deux actes. WAHL, Traité de Droit fiscal, I, p. 594.

duit ses effets. Dès lors, pour faire cesser dans l'avenir les effets juridiques de l'hypothèque, il faudra accomplir une nouvelle série d'actes juridiques individuels, appropriés pour atteindre le résultat cherché. Et il est évident qu'il se peut que l'on n'arrive pas à produire des situations juridiques rétablissant absolument les choses en l'état.

V

La situation juridique individuelle est intangible; par suite l'acte juridique qui la crée, acte unilateral ou acte contractuel, ne peut pas être retiré, rapporté, modifié. Mais il faut faire bien attention. Certains actes juridiques qui, en apparence, sont des actes contractuels, sont, en réalité, des actes complexes; ils comprennent, à côté d'un contrat proprement dit, une loi, un règlement. Le document qui, dans la terminologie courante, porte un nom unique, contient, en réalité, plusieurs actes juridiques, de natures différentes (1). Le principal exemple est celui du cahier des charges de concession d'un travail public, d'un service public cahier des charges des compagnies concessionnaires de chemins de fer, de tramways, d'omnibus, d'eau, etc. En réalité, il y a là non pas un acte juridique simple, un contrat, mais un document contenant : 1o une loi, un règlement : c'est la partie organisant le service public du chemin de fer, du tramway, des transports en commun, etc.; 2o des stipulations déterminant, d'une manière particulière, les sommes à payer à X concessionnaire, les obligations particulières de X concessionnaire. Ces actes sont soit des actes créateurs de situations juridiques individuelles, soit des actes conditions (2). Cette observation est capitale. On voit, tout de suite, que, s'il est impossible de retirer, de rapporter, de modifier les situations juridiques individuelles créées par le cahier des charges et, par suite, de toucher à l'acte juridique contractuel qui les crée, il est parfaitement correct, au point de vue juridique, de modifier les situations juridiques générales et impersonnelles créées par la loi ou le règlement contenu dans le cahier des charges. Ce n'est pas toucher au contrat, ce n'est pas modifier une situation juridique individuelle.

Le Conseil d'Etat et le Parlement ont fini par reconnaître l'exacti

(1) Voyez supra, p. 43 et s.

(2) V. supra, p. 44 et 45. Dans son livre sur les Transformations du Droit public, 1913, le professeur DUGUIT appelle ces actes des lois-conventions (p. 133 à 144).

tude de cette analyse juridique (1). Ils en ont tiré cette conséquence que l'administration peut modifier, par la voie unilatérale, pour l'arenir, au moyen d'une loi, d'un règlement, l'organisation du service public concédé.

A. Voici d'abord les applications faites par la jurisprudence.

1re application. Un règlement d'administration publique du 1er mars 1901 a modifié les conditions d'exploitation du service des chemins de fer concédé aux compagnies, conditions fixées par un cahier des charges. Ce règlement, qui rendait l'exploitation du service plus onéreuse pour les compagnies, n'était-il point la modification d'un contrat conclu le cahier des charges de la concession? Le Conseil d'Etat a répondu négativement le règlement a simplement modifié, pour l'avenir, une situation juridique générale et impersonnelle, l'organisation du service public des chemins de fer. Cela est parfaitement correct (2).

2e application. - Le préfet de police a pris des arrêtés modifiant les conditions d'exploitation du service du chemin de fer métropolitain de Paris, concédé à une compagnie, conditions fixées par le cahier des charges de la concession. Ces arrêtés préfectoraux ne modifiaient-ils pas un contrat : le cahier des charges de la concession? Le Conseil d'Etat a, encore ici, donné une réponse négative:

(1) Cpr. sur ce point C. d'E. 3 février 1905, Storch, Rec.. p. 117, et ma note R. D. P. 1905, p. 350 et s. ; C. d'E. 21 décembre 1906. Croix de Seguey-Tivoli, Rec., p. 961, avec les conclusions du commissaire du gouvernement M. ROMIEU, et R. D. P. 1907, p. 411 et s. la note du professeur DUGUIT; C. d'E. 31 mai 1907, Deplanque, Rec., p. 514, et ma note R. D. P. 1907, p. 678 et s.; C. d'E. 15 février 1907, Poirier, Rec., p. 820 avec les conclusions du commissaire du Gouvernement TEISSIER, et ma note R. D. P. 1909, p. 48 et s. C. d'E. 19 janvier 1912, Marc, Rec., p. 75, et ma note R. D. P. 1912, p. 43 et suivantes. Voyez aussi les indications de la note 4, p. 125, infra.

(2) C. d'E. 6 décembre 1907, Compagnie de l'Est et autres, Rec., p. 913 et les conclusions de M. TARDIEU; ma note dans la R. D. P. 1908, p. 38 et s. L'arrêt porte: « Sur le moyen tiré de ce que les dispositions de l'ordonnance du 15 novembre 1846, ayant servi de base au contrat intervenu entre l'Etat et les Compagnies, ne pouvaient pas être modifiées par l'Etat sans entente préalable avec ces dernières : Les pouvoirs de réglementation exercés par l'Etat en matière de chemins de fer, bien que rappelés expressément par l'art. 33 du cahier des changes, dérivent... des lois du 11 juin 1842 et 15 juillet 1845 et non pas du contrat de concession, lequel ne saurait faire obstacle à leur exercice. Ainsi, en édictant le décret du 1er mars 1901, le gouvernement a usé d'un droit qui lui appartenait ».

les arrêtés préfectoraux se sont bornés à modifier, pour l'avenir, une situation juridique générale, impersonnelle, l'organisation d'un service public (1).

3 application. Le préfet des Bouches-du-Rhône, par un arrêté préfectoral de 1903, a fixé un nouvel horaire du service des tramways et augmenté le nombre des voyages à effectuer; l'organisation du service avait été fixée et l'exploitation en avait été concédée à la compagnie des tramways par un cahier des charges de 1901. L'arrêté préfectoral ne modifiait-il pas un contrat? Le Conseil d'Etat ne l'a pas pensé : l'arrêté préfectoral a simplement réorganisé, pour L'avenir, le fonctionnement d'un service public; il n'a donc modifié pour l'avenir qu'une situation juridique générale, ce qui est juridiquement correct (2).

(4) C. d'E., 4 février 1910, Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (10 arrêts), Rec., p. 98 et s.

Dans le 5o arrêt (Rec., p. 101), la Compagnie faisait valoir que le préfet de police n'a pas « un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'édicter, sans avoir égard aux conséquences financières de ses prescriptions ou aux exigences de l'exploitation, toutes les modifications, innovations ou prohibitions, si peu justifiées fussent-elles, que son appréciation personnelle des nécessités de la sûreté de la circulation viendrait à lui suggérer ». Le Conseil d'Etat a répondu « Les dispositions de l'arrêté attaqué ont pour objet soit la suppression ou l'interdiction des obstacles pouvant s'opposer à l'évacuation rapide par les voyageurs des voies, quais et stations du chemin de fer métropolitain et constituer ainsi une cause de danger en cas de panique ou de sinistre... ; elles ont toutes été prises dans l'intérêt de la sécurité publique, et toutes sont pratiquement réalisables... En prenant l'arrêté attaqué, le préfet de police a donc agi dans la limite de [ses] pouvoirs) ».

Dans la 6e espèce (Rec., p. 102), la Compagnie avait demandé l'annulation de l'arrêté préfectoral modifiant les horaires, pour le motif que « le nombre des trains que prévoit cet horaire... est supérieur à celui prévu par le cahier des charges » et que l'arrêté « porte ainsi atteinte à ses droits en lui enlevant la faculté de réduire éventuellement le nombre des trains au maximum fixé par son marché ». Le C. d'E. répond : « En approuvant l'horaire des trains..., le préfet de police n'a fait qu'user de [son] pouvoir... Ainsi la disposition critiquée de l'arrêté attaqué n'est pas entachée d'excès de pouvoir ».

Dans la 7e espèce, le C. d'E. est encore plus catégorique : « Il appartient au préfet de police..., d'approuver les horaires des trains... et d'apporter aux horaires soumis par la Compagnie à son approbation et à toute époque les modifications ou additions qu'il juge nécessaires pour la sûreté de la circulation ou les besoins du public ».

(2) C. d'E. 11 mars 1910, Compagnie générale française des tramways, Rec., p. 216 et les conclusions de M. BLUM; et ma note dans R. D. P. 1910,

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