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B. Ce le Conseil d'Etat a jugé correct au point de vue juridique, le Parlement, de son côté, l'a estimé juridiquement possible à diverses reprises. Voici quelques-unes des applications faites par le Parlement à une époque récente.

1re application. La loi du 3 décembre 1908, relative au raccordement des voies de fer avec les voies d'eau, permet aux propriétaires ou concessionnaires de magasins généraux, ainsi qu'aux concessionnaires d'un outillage public et aux propriétaires d'un outillage privé dûment autorisé sur les ports maritimes ou de navigation intérieure, de réclamer l'embranchement sur les chemins de fer. Or, d'après le cahier des charges des concessions de chemins de fer, ce pouvoir n'existait qu'au profit des propriétaires de mines ou d'usines. Cette modification ne portait-elle pas atteinte à une situation juridique individuelle, à un contrat : le cahier des charges? Le Parlement ne l'a pas pensé (1). Et c'est avec raison.

p. 270 et s. Le C. d'E, déclare : « L'arrêté du préfet... a été pris dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement d'administration publique du 6 août 1881, pris en exécution des lois du 11 juin 1880 (art. 38) et du 45 juillet 1845 (art.21), lesquels impliquent pour l'administration le droit... de prescrire les modifications et les additions nécessaires pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service... Ainsi, la circonstance que le préfet aurait, comme le soutient la compagnie, imposé à cette dernière un service différent de celui qui avait été prévu par les parties contractantes ne serait pas de nature à entraîner, à elle seule, dans l'espèce, l'annulation de l'arrêté préfectoral ».

Cet arrêt est d'autant plus remarquable qu'en 1903, dans une espèce identique. le Conseil d'Etat avait donné une solution différente (C. d'E., 23 janvier 1903, Société des chemins de fer économiques du Nord, Rec., p. 62 avec les conclusions de M. TEISSIER). Pour la critique de cet arrêt, voyez les conclusions de M. BLUM SOUS C. d'E. 1910, R. D. P. 1910, p. 280.

(1) L'exposé des motifs et les rapports des Chambres sont catégoriques : « En concédant pour 99 ans un monopole d'intérêt général, l'Etat n'a pu aliéner son droit d'intervenir, pendant près d'un siècle, à l'effet d'imposer aux compagnies concessionnaires, lorsqu'elles se refusent à les réaliser de leur plein gré toutes les améliorations que réclame l'intérêt public, et dont la nécessité s'impose impérieusement pour assurer le libre développement de la prospérité du pays... L'Etat n'a pu ni stipuler ni promettre à son concessionnaire qu'il deviendrait juge, à sa place, des nécessités de ce service... En matière de concessions, l'Etat reste absolument libre, sans violer aucun principe de droit, et sans porter aucune atteinte à l'équité, d'ordonner, sauf indemnité s'il y a lieu, toutes les mesures extra-contractuelles que l'utilité publique lui paraîtrait compor

2 application. Les lois du 21 juillet 1909 et du 28 décembre 1911, relatives aux conditions de retraite du personnel des grands réseaux de chemins de fer d'intérêt général, ont décidé que « les grandes compagnies de chemins de fer devraient modifier leurs règlements de retraites, de façon à assurer à tous leurs agents, employés et ouvriers de l'un et l'autre sexes, les droits et avantages minima ci-après et à satisfaire aux prescriptions de la présente loi» (1). Cette loi a entraîné pour les compagnies une charge considérable, non prévue par le cahier des charges de la concession. N'y a-t-il pas là une atteinte à une situation juridique individuelle, à un contrat (2) ? Le Parlement ne l'a pas cru, et il a eu juridiquement raison. Il y a là une modification à l'organisation d'un service public, c'est-à-dire modi

ter» (Exposé des motifs BARTHOU, 6 février 1908, J. O., Ch., Doc., 1908, p. 120. Cpr. rapport du député Berthet, 25 juin 1908, J. O., Ch. Doc., 1908, p. 609; rapport du sénateur AUDIFFRED, 17 novembre 1908, J. O., Ch., Doc., 1908, p. 20).

(1) Sur cette question voyez ROLLAND, Les retraites des cheminots et le droit du législateur d'imposer de nouvelles obligations à un concessionnaire de travaux publics dans R. D. P. 1909, p. 520 et s. Rapprochez une autre étude du professeur ROLLAND: Du droit du législateur de compléter ou d'interpréter les dispositions d'un acte de concession de travaux publics. R. D. P. 1910, p. 116 et s.

(2) C'est la thèse soutenue par les Compagnies de chemins de fer dans une lettre adressée le 5 mars 1909 au président de la commission sénatoriale des finances. Ce fut aussi la thèse soutenue par le sénateur R. POINCARÉ, dans l'avis présenté au nom de la Commission des finances (J. O., Sénat, Débats, séance du 8 juin 1909, annexe n. 135): « Une concession est un contrat et les conditions de ce contrat sont déterminées par le cahier des charges. Or le cahier des charges des grandes compagnies de chemins de fer ne donne pas plus à l'Etat le droit de réglementer lui-même, d'office, de sa propre autorité, l'âge et les conditions des retraites, qu'il ne lui donne le droit de fixer les salaires. Je ne dis pas... que cette modification unilatérale du contrat puisse constituer une illégalité, puisqu'elle est faite par la loi elle-même; mais, à mes yeux, elle est d'autant plus fâcheuse que le législateur peut précisément se la permettre avec impunité : c'est le fait du prince dans ce qu'il a de plus arbitraire... Aller plus loin, c'est... ajouter aux cahiers des charges, par la volonté du prince, des dispositions que le contrat n'a pas prévues; c'est, par conséquent, modifier après coup, et sans accord préalable, les rapports juridiques du pouvoir concédant et du concessionnaire ». Dans le même sens et très énergiquement s'est prononcé le sénateur MILLIARD (Séance du 6 juillet 1909, J. O., Sénat, Débats, p. 614) : » Dès qu'une obligation n'est pas inscrite dans le contrat, vous ne pouvez pas, fussiez-vous l'Etat, l'imposer à votre cocontractant... ».

fication, pour l'avenir, d'une situation juridique générale, impersonnelle. Il rentrait juridiquement (1) dans la compétence du Parlement de modifier cette situation générale (2).

Section III

Dans quelle mesure peut-on toucher à la situation juridique amenée par l'acte-condition? Du retrait de l'acte-condition (3).

Un acte juridique a appliqué à un individu un status légal. Ex. : acte régulier de nomination d'un fonctionnaire public, acte régulier de révocation, etc. Il arrive parfois que l'acte de nomination ou de révocation est rapporté, retiré. Quelle est la signification de cette mesure?

I

Pour l'avenir, cela veut dire que la nomination ne produira plus ses effets; que la révocation cessera d'avoir ses effets.

En réalité, l'acte qui retire, qui rapporte une nomination, quelque nom qu'on lui ait donné, est une révocation. Cela s'analyse en une manifestation de volonté du chef de service, ayant pour objet de faire sortir un individu du service public, de désinvestir un individu du status légal de fonctionnaire public.

L'acte qui rapporte, qui retire une révocation, est une nomination, quel que soit le nom qu'on lui ait donné. Cela s'analyse, en effet, en une manifestation de volonté du chef de service, ayant pour objet de faire entrer un individu au service public, d'appliquer à un individu le status légal de fonctionnaire public, status qui lui avait été enlevé.

Il faut donc appliquer à cet acte de retrait le régime juridique de

(1) Je laisse de côté le point de vue politique de l'opportunité de la mesure. Ce point de vue politique a été traité par le ministre des finances CAILLAUX (Sénat, 25 juin 1909. J. O. Débats, p. 533).

(2) En ce sens, voyez surtout le rapport du sénateur STRAUSS, 23 mai 1909, J. O., Doc. Sénat, p. 144; Rolland, op. cit., R. D. P. 1909, p. 529; DUGUIT, les Transformations du Droit public, 1913, p. 143.

(3) Voyez mes notes : Un acte juridique régulièrement accompli peutil être retiré? dans la R. D. P. 1908, p. 249 et s.; 1910, p. 52 et s.: 1911, p. 64 ets.

la nomination, de la révocation. L'observation est capitale au point de cue théorique, et fort intéressante au point de vue pratique.

Considérons d'abord l'acte qui retire,qui rapporte une nomination, et qui est, en réalité, un acte de révocation. Il se peut que l'acte juridique de révocation doive être entouré de formes spéciales ou doive être accompli par un agent autre que celui investi du pouvoir de nomination. Ceci posé, si l'acte régulier de nomination est rapporté par l'agent qui a le pouvoir de nomination et non par celui qui a le pouvoir de révocation, ou sans suivre les formalités prescrites par les lois ou règlements pour l'acte de révocation, l'acte qui rapporte la nomination sera irrégulier; et cette irrégularité aura pour sanction, dans l'exemple choisi, ia nullité de l'acte. L'acte qui rapporte une nomination étant une révocation. doit, pour sa validité, être accompli par l'agent investi du pouvoir de révocation et dans les formes de la révocation (1).

Considérons la décision qui rapporte, qui retire une révocation. Elle s'analyse en une nomination de l'agent réintégré ; « réintégration » est l'expression souvent employée dans cette hypothèse. Il faut dire que cette nomination ne sera régulière qu'à la condition d'émaner de l'agent compétent pour faire la nomination, et d'être accomplie dans les formes requises pour les nominations (2); bien plus, il faudra que

(1) C. d'E., 13 janvier 1914, Picquet, Rec., p. 13, et ma note, R. D. P. 1911, p. 63. On lit dans cet arrêt : « Aux termes de l'art. 5 de la loi du 5 août 1879, la révocation des membres des commissions administratives des bureaux de bienfaisance ne peut être prononcée que par le ministre de l'intérieur. Par arrêté du..., le préfet... a, par application de l'art. 4 de la loi susvisée, prononcé le maintien pour 4 ans, en qualité de membre de la commission administrative du bureau de bienfaisance..., du sieur P., arrivé au terme de ses fonctions. Dès la notification qui lui a été faite... de cet arrêté, le sieur P. s'est trouvé régulièrement investi de son nouveau mandat. Dans ces conditions, l'arrêté du... par lequel le préfet a rapporté celui du... et nommé le sieur V. membre de la même commission en remplacement du sieur P., constitue, à l'égard de ce dernier, la mesure de révocation qu'il n'appartenait pas au préfet de prononcer ». Le Conseil d'Etat avait déjà donné la même solution dans l'affaire Morelle, 12 novembre 1909. Rec., p. 855, R. D. P. 1910, p. 55 (et ma note): « Par l'arrêté attaqué, le préfet.... a rapporté l'arrêté du..... (nommant membre de la commission administrative du bureau de bienfaisance le sieur M.)... Cette mesure constitue, à l'égard du sieur M., une révocation, qu'aux termes des dispositions législatives... le ministre de l'intérieur pouvait seul prononcer ».

(2) Le Conseil d'Etat, par arrêt du 12 mars 1909, Sauquet. Rec., p. 270, R. D. P. 1910, p. 53, a décidé le contraire dans les circonstances

l'agent régulièrement révoqué, pour pouvoir être réinvesti de la fonction, remplisse les conditions légales ou réglementaires pour occuper cette fonction. Si, dans l'intervalle qui s'est écoulé entre la révocation et la réintégration, ces conditions ont changé et si l'agent ne remplit pas les nouvelles conditions, la réintégration sera irrégulière et pourra être l'objet d'un recours en annulation (1).

suivantes Le maire d'une commune est suspendu par arrêté préfectoral; puis, il est révoqué par décret ; puis, un décret rapporte la révocation; enfin un arrêté du ministre de l'intérieur porte à 3 mois la suspension. Le Conseil d'Etat a reconnu implicitement que le décret rapportant la révocation avait eu pour effet de replacer le maire révoqué à la tête de la municipalité comme s'il n'avait jamais été révoqué et de rendre possible une suspension de 3 mois par le ministre de l'intérieur. Cet arrêt me paraît tout à fait critiquable. Cpr. ma note dans la R. D. P. 1910, p. 33 et s. Le maire, ayant été régulièrement révoqué, ne pouvait plus être investi du status du maire que par une élection émanant du conseil municipal, après l'expiration des délais fixés par la loi et avant lesquels un maire révoqué ne peut pas être réélu (1. 5 avril 1884, art. 86 § 3). Le décret qui a rapporté la révocation et réintégrait le maire était doublement irrégulier : 1o la désignation émanait d'une autorité incompétente; 2o elle portait sur un inéligible, les délais légaux n'étant pas expirés. On remarquera que l'arrêt Sauquet, 1909, est en contradiction avec les arrêts Morelle 1909 et Picquet 1911, signalés plus haut, p. 127 note 1.

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(1) Cpr. ma note dans la R. D. P., 1908, p. 249 et s. Le Conseil d'Etat a rendu, le 28 février 1908, Franco, Rec., p. 187, un arrêt contraire à la thèse soutenue au texte, et tout à fait critiquable à mon avis. Voici les circonstances de l'affaire. Un individu, sous-préfet, est nommé inspecteur de l'assistance publique en 1905: cette nomination est régulière (Décret du 7 mai 1904); ledit sous-préfet refuse en termes tels que le ministre le révoque régulièrement (1er octobre 1905). En 1906, le règlement sur le recrutement des inspecteurs de l'assistance publique est modifié et ne permet plus de nommer inspecteurs des sous-préfets. Enfin en 1907 le ministre retire, rapporte l'acte de révocation avec cet effet que l'individu est réinvesti de la fonction d'inspecteur. Un recours en annulation pour excès de pouvoir fut formé par des sous-inspecteurs qui soutenaient qu'il y avait là une nomination véritable, et que cette nomination, pour être régulière, devait satisfaire aux conditions nouvelles établies par le décret de 1906. Sur les conclusions conformes du commissaire du gouvernement M. Saint-Paul, le C. d’E. a déclaré : « Si le sieur S., nommé inspecteur... par arrêté du ministre de l'intérieur du 10 août 1905, a été révoqué de ces fonctions le 1er octobre suivant, l'arrêté de révocation a été rapporté le 10 avril 1907. Par l'effet de l'arrêté pris à cette dernière date par le ministre de l'intérieur dans la limite de ses pouvoirs, le sieur F. doit être réputé n'avoir pas cessé d'être inspecteur de l'A. P. depuis le 10 août 1905. En conséquence, il pouvait légalement en 1907 être pourvu d'un emploi de son rang dans ce service, sans justifier qu'il

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