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On remarquera que, dans tous ces cas, cette force de vérité légale erga omnes n'existe que si le juge a accueilli la demande et constaté que le brevet est nul, que l'individu a cessé ses paiements, que l'individu ne remplit pas telle condition de l'électorat, que l'acte administratif est illegal, etc. Au contraire, la chose jugée n'a qu'une force relative si le juge a repoussé la demande; dans ce cas, en effet, le juge peut l'avoir repoussée pour irrégularité de forme ou pour tardivité du recours, etc.; le juge n'a pas dit que, formé dans d'autres conditions ou pour d'autres motifs, le recours ne triompherait pas. On pourra donc, malgré le premier jugement rejetant la première demande, former une nouvelle action en nullité du brevet d'invention, demander à nouveau la faillite, la radiation des listes électorales ou l'inscription, former un nouveau recours pour excès de pouvoir contre l'acte administratif déjà attaqué (1).

2o proposition. Même pour les parties en cause, la chose jugée au civil par les tribunaux judiciaires ou administratifs n'a pas, en règle, force de vérité légale absolue. A raison des chances d'erreur, les parties peuvent s'accorder (2) pour écarter la constatation faite par le

pour excès de pouvoir n'est pas un procès entre particuliers: c'est un recours contre un acte et non contre une personne; il n'y a pas de défendeur à l'instance; seul, le ministre intéressé défend l'acte attaqué. Dès lors, nous ne sommes pas dans l'hypothèse prévue par l'article 474 du Code de procédure civile, où la chose jugée n'a qu'une autorité relatire. On pouvait croire la question définitivement résolue, lorsqu'un arrêt du 29 novembre 1912, Boussuge (R. D. P. 1913, no 2, et ma note) a écarté les solutions de 1882 et de 1899 et fait une distinction: la tierce opposition n'est pas, en principe, recevable contre un arrêt d'annulation. Toutefois, elle est recevable si elle est formée par un individu invoquant un droit reconnu par une loi ou un règlement, droit auquel préjudicie l'arrêt d'annulation. Cette distinction, déjà faite par LAFERRIÈRE, op. cit., II, p. 565 et 566, doit, à mon avis, être absolument repoussée. Elle méconnait le principe fondamental de l'autorité absolue de la chose jugée. Elle fait abstraction de l'idée que le recours pour excès de pouvoir est dirigé contre un acte et non contre une personne. Elle repose sur une distinction entre le droit et l'intérêt, sans qu'on puisse savoir au juste quand il y a droit et quand il y a intérêt. Enfin, elle est de nature à conduire à des situations inextricables au cas où, sur la tierce opposition, un règlement, déjà annulé par le C. d'E., est reconnu légal. Le règlement sera illégal vis-à-vis de tout le monde, sauf vis-à-vis du tiers-opposant. L'administration devra donc le supprimer vis-à-vis de tous, mais le maintenir ou le refaire pour le tiers-opposant. Voyez infra.

(1) Voir les autorités citées aux notes précédentes.

(2) Il faut l'accord de volontés de la partie qui a gagné son procès et

juge civil. Il y a là une question de conscience laissée à l'appréciation des parties. C'est pourquoi les juges ne peuvent pas opposer d'office l'autorité de la chose jugée au civil (1). Enfin, la loi organise un recours juridictionnel par lequel une des parties pourra demander au juge de rapporter, de retirer, de rétracter la constatation par lui faite et sur l'exactitude de laquelle on a découvert depuis le jugement de très graves raisons de douter: ce recours porte le nom de requête civile lorsqu'il s'agit des tribunaux judiciaires (2), de recours en révision lorsqu'il s'agit du Conseil d'Etat (3).

3e proposition.- La chose jugée au criminel par le juge judiciaire ou administratif a, pour les particuliers, force absolue de vérité légale. Le principe fondamental s'applique; il n'existe aucune raison de l'écarter. D'une part, les chances d'erreur sont faibles, et, d'autre part, le trouble social qu'entraînerait la remise en question de la constatation faite par le juge répressif serait très grand. Dès lors, la chose jugée au criminel s'impose aux parties: un individu acquitté ne pourra pas déclarer que sa conscience exige qu'il renonce au bénéfice de la chose jugée. Et de même, le juge doit opposer d'office la chose jugée au criminel. Non bis in idem.

Néanmoins, il a fallu réserver le cas où l'individu déclaré coupable par le juge répressif serait en état de prouver l'inexactitude de la

de la partie qui a succombé. En effet, la constatation faite par le juge a un but social: rétablir la paix sociale et stabiliser des situations de fait ou de droit. La partie qui a succombé peut avoir intérêt à ce que l'on ne revienne pas encore une fois sur la situation constatée par le juge à son détriment.

(1) A ce point de vue, la règle est la même, et pour les mêmes raisons, qu'en matière de prescription. Code civil, art. 2220 : « On peut renoncer à la prescription acquise ». Art. 2223 : « Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ».

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(2) La requête civile est possible, entre autres motifs, dans les cas suivants s'il y a contrariété de jugements en dernier ressort, entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens, dans les mêmes cours ou tribunaux »; « si, dans un même jugement, il y a des dispositions contraires » ; « si l'on a jugé sur pièces reconnues ou déclarées fausses depuis le jugement »; « si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie » (art. 480, Code de pr. civ.). La requête civile est enfermée par la loi dans des délais très brefs: deux mois en principe. (art. 483 et s. Code de pr. civ.). (3) Décret du 22 juillet 1806, art. 32: « si elle a été rendue sur pièces fausses; si la partie a été condamnée faute de représenter une pièce décisive qui était retenue par son adversaire ». Cpr. loi du 24 mai 1872, art. 23. LAFERRIÈRE, Jur, adm. et rec. cont., 2e éd., I, p. 344 et s.

constatation. Ici le maintien de la chose jugée amènerait un trouble social considérable.

Il existe donc un recours en revision; ce recours, exclu d'abord, introduit ensuite d'une manière très étroite (1), puis plus largement (1. 29 juin 1867; loi du 8 juin 4895; art. 443 et s. Code d'Inst. Crim.), est toujours un recours exceptionnel, une dérogation au principe fondamental de l'autorité absolue de la chose jugée; on l'a organisé avec la préoccupation de ne porter que l'atteinte la moins grave possible au principe fondamental de la force ab olue de vérité légale. C'est la conciliation qui a paru la plus heureuse entre l'intérêt social du maintien de la chose jugée au criminel et l'intérêt social qu'il y a à corriger les erreurs judiciaires certaines (2).

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(1) L'Assemblée Constituante avait supprimé la revision: elle croyait que l'organisation judiciaire et la procédure nouvelles rendaient impossible toute erreur (loi 3 novembre 1789). La Convention n'admit la revision que pour le cas de deux décisions inconciliables (loi 15 mai 1793). Sous le Directoire, le Code du 3 brumaire an IV (art. 594) supprima implicitement la revision. Le Code d'Instruction criminelle de 1808, satisfait de son œuvre » d'organisation de la justice criminelle, proclame l'autorité presque absolue de la chose jugée au criminel. « Il faut ce principe à l'accusé qui ne pourra jamais être poursuivi deux fois, dût-il répondre à un verdict d'acquittement par l'aveu cynique de sa culpabilité. Il le faut au juge, dont le prestige s'affirme dans la mesure où son arrêt devient indiscutable; il le faut à la société qui a besoin de certitude pour avoir la stabilité » (Rapport du conseiller d'Etat PINARD, sur le projet de loi de 1867).

(2) Rapport PINARD, 1867 : « Le législateur de 1808 ne compte pas sur des arrêts infaillibles... Il ne proscrit donc pas à tout jamais la revision; mais il veut, pour l'admettre, des situations exceptionnelles qui ne permettent pas le doute; c'est en présence seulement de ces situations anormales qu'il fera fléchir l'autorité de la chose jugée, sans lui enlever en réalité le respect des peuples. En 1867, le caractère exceptionnel de la revision est encore affirmé par le conseiller d'Etat PINARD : « Quand un accusé paraît devant la justice, toutes les garanties lui sont données pour que la vérité se fasse jour, et le juge qui condamne doit avoir la certitude de la culpabilité. L'arrêt une fois rendu, nous devons à l'arrêt ce que nous devons à l'accusé il faut, pour détruire cette décision définitive, avoir aussi la certitude de son erreur. Nous voulons un démenti donné à la sentence ou par la nature des choses, ou par une autre senlence. En dehors de cet éclatant démenti, l'autorité de la chose jugée doit prévaloir comme la sanction nécessaire de toute organisation judiciaire durable ».

C'est aussi le caractère exceptionnel de la revision qui est affirmé en 1895 par le conseiller d'Etat JACQUIN (rapport au Conseil d'Etat) : « Est-ce à dire qu'il faille admettre la revision illimitée ? Ce serait la chose jugée

Jéze

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Section III

Force de la chose jugée pour les agents publics autres que les tribunaux.

On peut poser ici quatre propositions qui fixent la conduite à suivre par les divers agents publics :

10 par les agents publics d'exécution, officiers ministériels (huissiers), agents de la force publique;

2o par les agents de l'administration.

La règle fondamentale de l'autorité absolue de la chose jugée est parfois mise en échec par le double principe, d'origine politique, de l'indépendance des autorités administratives à l'égard de l'autorité judiciaire et de l'indépendance de l'autorité administrative active vis-à-vis des tribunaux quels qu'ils soient. Néanmoins, il faut toujours se rappeler que la règle générale est celle de l'autorité absolue, ergas omnes, de la chose jugée.

I

Are Proposition. Les agents publics d'exécution (huissiers, agents de la force publique) ont le devoir de tenir la constatation faite par le juge soit au civil soit au criminel comme la vérité légale; ils n'ont, en aucune manière, le pouvoir d'en refuser l'exécution.

A vrai dire, pour ces agents d'exécution, ce n'est pas la constatation faite par le juge qui compte; c'est la décision prise par le juge comme conséquence de la constatation; c'est cette décision qu'on leur demande de ramener à exécution. Ils ont strictement le devoir juri

constamment discutée; ce serait la suppression de toute justice, de toute stabilité dans la société. Plutôt que d'aboutir à une semblable conclusion. il serait encore préférable de laisser sans réparation possible un petit nombre de cas dans lesquels cependant l'erreur de la condamnation peut apparaître certaine. Mais ce n'est pas dans une énumération des cas de revision qu'il y a lieu de rechercher la limitation qui est indispensable. La revision doit toujours être possible, quel que soit le mode de preuve de l'innocence; mais elle ne doit être admise que si cette innocence résulte des preuves avec une évidence qui condamne la première décision..... La revision n'est admissible que si l'erreur est démontrée ; il faut que cette démonstration soit à peu près faite, au moment de statuer sur la recevabilité, que l'innocence du condamné paraisse devoir résulter de la nouvelle procédure; autrement, ce serait déclarer qu'il n'y a plus de jugements définitifs, que tous peuvent être, sous le moindre prétexte, remis en question ».

dique de prêter leur ministère à la réalisation des décisions du juge. C'est ce devoir que rappelle la formule exécutoire qui termine les expé ditions des jugements (1).

Le devoir existe, indépendamment de toute formule exécutoire (2). Les agents publics d'exécution ne peuvent donc pas refuser de donner leur concours alors qu'ils en sont régulièrement requis. La compétence des agents publics d'exécution est liée, absolument liée. C'est ce qui a

(1) Art. 146 Code de proc. civ. Voici la formule prescrite, pour les jugements des tribunaux judiciaires, par le Décret du 2 septembre 1871 (art. 2) : « Les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice, ainsi que les grosses et expéditions des contrats et de tous autres actes susceptibles d'exécution forcée seront intitulés ainsi qu'il suit : « République française, Au nom du peuple français », et terminés par la formule suivante: « En conséquence, le président de la République française mande et ordonne à tous huissiers sur ce requis de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution; aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter mainforte lorsqu'ils en seront légalement requis. En foi de quoi, le présent arrêt (ou jugement, etc.) a été signé par... ». Pour les décisions du Conseil d'Etat au contentieux, la formule exécutoire est la suivante (loi du 24 mai 1872, art. 24 et règlement du 2 août 1879, art. 25): « La République mande et ordonne au ministre de..., en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente déci sion ». Il y a des formules exécutoires pour les arrêts de la Cour des Comptes (Décret du 28 septembre 1807), pour les décisions des conseils du contentieux des colonies (Décret du 5 août 1881).

(2) Leur devoir résulte non pas de la formule exécutoire, mais de la loi qui organise leur fonction et de l'autorité de la décision du juge. La question ne fait pas de doute. C'est ainsi que, bien que les arrêtés des conseils de préfecture ne portent pas de formule exécutoire, par un oubli inexplicable du législateur, les huissiers ont le devoir d'exécuter les arrètés. Avis du Conseil d'Etat du 16 thermidor an XII : « Les administrateurs auxquels les lois ont attribué le pouvoir de prononcer des condamnations ou de décerner des contraintes sont de véritables juges dont les actes doivent produire les mêmes effets et obtenir la même exécution que ceux des tribunaux ordinaires ». La Lettre du Grand Juge du 48 janvier 1809, provoquée par le refus opposé par des huissiers d'exécuter des arrètés de conseils de préfecture par le motif qu'ils n'étaient pas revêtus de la formule exécutoire, porte: « Ce motif ne saura.t dispenser les huissiers de prêter leur ministère quand ils en sout requis ». - Aujourd'hui, la loi du 22 juillet 1889 art. 49 se børne à dire : « les décisions des conseils de préfecture sont exécutoires .. ». Sur les controverses soulevées autrefois par cette question, voyez LAFERRIÈRE, Jur. adm. et rec. cont., 2e édition, I, p. 379.

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