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fait dire parfois que les parties, par le jugement, acquéraient un droit véritable. Il faut se garder de croire que les parties deviennent créancières d'une obligation proprement dite vis-à-vis des agents publics d'exécution, que les agents publics deviennent débiteurs d'une créance proprement dite. La situation exacte est celle-ci. La loi fait aux agents publics d'exécution un devoir fonctionnel de réaliser, au besoin par la force, sur la demande des parties intéressées, les situations juridiques régulièrement constatées et les décisions prises par les tribunaux compétents. A cet égard, leur compétence légale est liée les agents publics n'ont aucune liberté d'appréciation. La demande des parties est la condition pour que leur activité s'exerce; cette condition remplie, elle doit s'exercer. Le devoir des agents publics s'analyse donc non pas en une situation juridique individuelle (dette vis-à-vis des parties), mais en une situation juridique générale, légale (devoir fonctionnel). Le régime juridique de ce devoir fonctionnel des agents publics d'exécution est donc celui des situations juridiques générales. Non seulement ce devoir légal peut être modifié à tout instant par la loi, mais encore la sanction du devoir légal n'est pas du même ordre que celle des obligations proprement dites, des situations juridiques individuelles. Ce sont, contre les agents publics d'exécution, des sanctions d'ordre disciplinaire ou pénal, des actions en responsabilité personnelle.

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II

2e Proposition. Le devoir juridique des agents publics et adminis tratifs est de tenir la constatation faite par le juge comme la vérité légale (1).

(1) Qu'est-ce qui s'impose aux agents administratifs comme la vérité légale? C'est uniquement la constatation principale faite par le juge et non les constatations par lui faites à titre de motif. Naturellement, les agents publics feront sagement de se conformer aux constatations acces soires faites par le juge à titre de motif, mais ils n'y sont pas juridiquement tenus à peine d'excès de pouvoir. Un cas curieux a été soumis au C. d'E. le 5 mai 1911, Lacan, Rec., p. 532 (et les conclusions du commissaire du gouvernement M. BLUM). Le Conseil d'Etat, saisi uniquement d'une demande d'annulation des opérations électorales dans une commune, constate 1 irrégularité de l'élection et l'annule, pour le motif que le sectionnement électoral de la commune a été irrégulièrement fait par le conseil général (C. d'E. 21 juillet 1909). Ce qui est constaté avec force de vérité légale, c'est l'irrégularité de l'élection; l'irrégularité du sectionnement est aussi constatée, mais accessoirement, à titre de motif; et, par suite, non pas avec force de vérité légale. Que devaient faire les

Ce devoir juridique est la conséquence du principe fondamental que la chose jugée est, pour tout le monde, la vérité légale. Toutefois, en France, il est parfois mis en échec par la double règle, d'origine politique, de la séparation des autorités administrative et judiciaire et de l'indépendance de l'administration active vis-à-vis des tribunaux quels qu'ils soient (1). Il faut reconnaître que certaines des solutions adoptées ne sont satisfaisantes, ni au point de vue de la logique juridique, ni au point de vue de l'utilité sociale.

Voici les principales solutions admises par la jurisprudence. I. Lorsqu'un tribunal, administratif ou judiciaire, a constaté, à la charge d'un patrimoine administratif, l'existence d'une situation juridique individuelle, d'une delle, et qu'il a condamné le patrimoine administratif à l'acquitter, tous les agents publics ont le devoir juridique de faire tous les actes juridiques nécessaires au paiement.

1° S'il s'agit d'une dette de somme d'argent, tous les agents publics compétents ont le devoir juridique d'accomplir tous les actes requis par les règlements de comptabilité publique pour faire sortir régulièrement les deniers des caisses publiques. En con

agents administratifs? Voyons d'abord ce qu'ils ont fait. En exécution de l'arrêt du 21 juillet 1909, on a dù procéder à de nouvelles élections et le préfet a dù convoquer les électeurs. Mais à quelles sortes d'élections devait il les convoquer? S'il tenait compte de la constatation accessoire d'irrégularité du sectionnement, le préfet devait convoquer à des élections au scrutin de liste. S'il n'en tenait pas compte, il devait convoquer à des élections au scrutin de section. Dans le premier cas, il commettait un excès de pouvoir pour n'avoir pas tenu compte du sectionnement electoral irrégulier, mais non annule: il violait l'art. 12, 1. 5 avril 1884. Dans le deuxième cas, il convoquait les électeurs à des élections nulles.

La question semble insoluble. En réalité, il était assez facile de la résoudre. Le préfet aurait du demander au conseil général de refaire le sectionnement électoral ou de le rapporter, et convoquer ensuite les électeurs. - Le commissaire du gouvernement a proposé au Conseil d'Etat, pour éviter toute difficulté de ce genre à l'avenir, d'ajouter d'office à l'arrêt constatant l'irrégularité de l'élection, « un second article de dispositif qui prononcerait, par voie de conséquence (ou plus exactement par voie d'antécédence), l'annulation du sectionnement lui-même ». « Vous ne mettrez plus, disait-il, les administrations dans cette situation véritablement inadmissible, où il leur est interdit de satisfaire à la fois au respect dù à la loi et au respect dù à nos décisions ».

(1) Cpr. LAFERRIÈRE, Jur. adm. et rec. cont., 2o édition, I, p. 347 et s., p. 508 et s.; II, p. 571 et s.; HAURIOU, note dans Sirey, 1911. 3. 121.

séquence, l'autorité budgétaire (Parlement, conseil général, conseil municipal, etc.) a le devoir juridique d'inscrire au budget le crédit nécessaire pour l'acquittement de la dette; l'agent administratif compétent pour faire la constatation, la liquidation de la dette et l'ordonnancement de la dépense a le devoir juridique d'accomplir ces actes indispensables pour que les comptables publics versent les deniers au créancier.

Seulement, en France, il faut combincr cette solution avec le principe, d'origine politique, de l'indépendance de l'administration active vis-à-vis des tribunaux : le résultat, c'est que le devoir des agents publics n'a pas de sanction juridictionnelle directe. En France, aucun tribunal - quel qu'il soit, administratif ou judiciaire, — ne peut enjoindre à l'autorité budgétaire quelle qu'elle soit (Parlement, assemblée locale, etc.) - d'inscrire un crédit au budget, ni l'y inscrire d'office (1); aucun tribunal, quel qu'il soit, administratif ou judiciaire, ne peut enjoindre à l'agent public ordonnateur de procéder à l'émission de l'ordonnance ou du mandat de paiement, ni délivrer lui-même à ce créancier une ordonnance, un mandat payable par les comptables publics. Le créancier ne peut pas faire saisir par les agents d'exécution (huissiers) les biens du patrimoine administratif déclaré débiteur, parce que cette saisie serait de nature à bouleverser la marche des services publics

Si donc les agents publics refusent de voter le crédit nécessaire, ou d'ordonnancer, aucune sanction juridictionnelle directe n'existe pour contraindre l'agent public à accomplir les actes juridiques

(1) C. d'E1. 4 mai 1906, Société l'Hirsonnaise, Re^., p. 369; 26 juin 1908, Daraur, Rec, p. 688: S. 1909-3-129 la note. L'arrêt Daraux, 1908, est particulièrement remarquable, en ce qu'il marque à la fois l'impossibilité pour le C. d'E. d'inscrire d'office ou d'enjoindre à l'agent administratif d'inscrire d'office, et la volonté du C. d'E. que cette inscription d'office soit faite : « Il n'est pas contesté que le sieur D. est créancier de la commune de G. depuis 1874; il est porteur d'un titre exécutoire ; malgré ses demandes réitérées, il n'a pu obtenir le paiement des sommes à lui dues; le préfet ne lui a donné aucune raison de son refus d'inscrire d'office au budget de la commune le montant de cette dette liquide et exigible Dans ces circonstances, s'il n'appartient pas au Conseil d'Etat d'annuler le refas d'inscription d'office et de prononcer lui-même cette inscription, comme le demande le requérant, il y a lieu de renvoyer ce dernier devant le ministre de l'Intérieur pour y être statue, par la esie administrative, sur la suite que comporte sa demande ». Cpr. JEZE, Cours élém. de Sc. des fin., Se éd., 1912, p. 408.

nécessaires à la réalisation de la situation juridique individuelle constatée par le juge avec force de vérité légale. Sur ce point, il n'y a pas le moindre doute (1).

Lorsqu'il s'agit de patrimoines administratifs autres que celui de l'Etat (départemental, communal, colonial, etc.), on trouve une sanction administrative dans la tutelle administrative, dans le pouvoir des agents centralisés d'inscription d'office, de délivrance des mandats de paiement, d'autorisation de saisir les biens du patrimoine administratif communal, etc. Mais encore ici, le devoir juridique des agents publics centralisés d'exercer leur pouvoir de tutelle, n'a pas de sanction juridictionnelle aucun tribunal - quelqu'il soit, judiciaire ou administratif, — n'a compétence pour adresser des injonctions à ces agents publics. Il ne faut pas dire que les agents publics sont libres d'exécuter ou non les jugements; ils en ont le devoir juridique; mais ce devoir juridique n'a pas de sanction juridictionnelle directe (2).

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Toutefois, il existe une sanction indirecte les retards apportés par les agents publics dans le paiement font courir les intérêts au profit du créancier; bien plus, il faut dire que si les retards sont injustifiés et s'ils proviennent de la mauvaise volonté des agents publics, ces agissements matériels pourront être relevés par le créancier, lequel s'adressera aux tribunaux compétents pour obtenir des dommagesintérêt spéciaux, payables soit sur le patrimoine administratif (3), soit même sur le patrimoine personnel de l'agent public récalcitrant (4).

En France, il est sans exemple et il restera sans doute sans exemple, que les agents publics n'aient pas fini par acquitter les dettes

(1) LAFERRIÈRE, op. cit., I, p. 348 et s. JEZE, Cours élém. de Sc. des finances, 5e éd, 1912, p. 240 et 241.

(2) C. d'E. 26 juin 1908, Daraux, Rec., p. 688. V. la note 1 supra, p. 166.

(3) Dans l'affaire jugée par le C. d'E. le 26 juin 1908 Darau.r, Rec., p. 689 (V. supra p. 166, note 1), le créancier aurait pu réclamer des dommages et intérêts spéciaux à la commune, soit même au maire.

(4) La résistance aux arrêts de justice est une faute personnelle. Voyez les conclusions de M. CHARDENET, sous C. d'E. 28 juillet 1911, Rougegre, Rec., p. 913 : « Si les maires .. agissaient ainsi, on pourrait dire qu'ils n'ont songé qu'à faire échec à votre décision, qu'ils ont commis une faute personnelle se détachant de l'exercice de leurs fonctions et qu'une action en dommages-intérêts pourrait être intentée contre eux ». Voyez infra, la 3e proposition, p. 173 el s.

qui grèvent les patrimoines administratifs, constatées par un tribunal; on peut donc affirmer que pratiquement la situation des créanciers n'est pas aussi mauvaise qu'elle le semble au premier abord.

2o La règle existe aussi pour les obligations autres que les dettes de somme d'argent. Toutefois, les tribunaux ne l'observent pas toujours aussi strictement. Parfois, ils ne se bornent pas à constater l'obligation de l'administration; ils adressent aux agents administratifs des ordres formels d'exécution, des prohibitions. Par exemple, en matière de service des téléphones, on trouve des décisions de justice qui, après avoir constaté l'existence d'une dette à la charge du patrimoine administratif de l'Etat, adressent des injonctions, des défenses aux agents publics préposés au service (1).

De plus, comme je l'ai déjà dit pour les dettes de somme d'argent (2), depuis quelques années, le Conseil d'Etat, sans enjoindre formellement aux agents administratifs d'accomplir certains actes d'exécution, les y invite (3). C'est à peu près la même chose. Cela est d'autant plus vrai que le refus exprès ou implicite d'accomplir l'acte est considéré comme un excès de pouvoir et que la décision expresse ou implicite de refus pourra être déférée au Conseil d'Etat et annulée par lui pour excès de pouvoir.

II. — Si un tribunal — judiciaire ou administratif a constaté qu'un individu est investi d'une situation juridique générale, d'un status, tous les agents publics ont le devoir juridique d'accomplir

(1) Trib. civil de la Seine, 8 avril 1914, Pavy : « Le tribunal.. ordonne la suppression de l'annonce critiquée...; fait à l'avenir défense à l'administration de faire aucune insertion de la nature de celle critiquée ».

(2) Supra, p. 166 texte et note 1.

(3) Sur cette jurisprudence, voyez C. d'E. 23 déc. 1906, Durand, Rec., p. 863 (et les conclusions de M. ROMIEU): « Il y a lieu de prononcer l'annulation dudit arrêté et de renvoyer le requérant devant le préfet... pour qu'il soit statué à nouveau sur sa demande après instruction régulière ». C. d'Et. 26 juin 1908, Daraux, Rec., p. 689 (v. la note 1 supra, p. 166). C. d'Et. 28 juillet 1911. Rougegré, Rec., p. 909: « Sur les conclusions tendant à ce que les requérants soient mis en possession des églises: Il appartiendra au ministre de l'Intérieur et des cultes de procéder aux mesures d'exécution qui doivent être la conséquence l'annulation du décret... Les sieurs R. et L. sont renvoyés devant le ministre pour voir ordonner les mesures que comporte l'exécution de la présente décision. Voyez les conclusions du commissaire du gouvernement M. CHARDENET (spécialement, Rec., p. 913). Voyez ma nole dans R. D. P. 1912, p. 33 et s. Et voyez infra, 5o partie.

de

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