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tous les actes juridiques nécessaires pour que l'individu soit mis en possession de ce status légal, bénéficie, ou soit privé des avantages que les lois et règlements y attachent.

Par exemple, un tribunal judiciaire a constaté qu'un individu remplit les conditions requises pour être électeur; les agents publics devront inscrire son nom sur les listes électorales (1). - De même, un tribunal judiciaire répressif a constaté la culpabilité d'un individu et l'a condamné à une peine entraînant la perte de l'éligibilité, l'assemblée délibérante (législative ou locale) dont il fait partie doit prononcer son exclusion. De même, le Conseil d'Etat a constaté qu'un individu a été irrégulièrement révoqué et que, par suite, il n'a pas cessé d'être investi du status légal de fonctionnaire public; les agents administratifs compétent sont le devoir juridique de remettre cet individu en fonctions, de le replacer dans les cadres avec l'ancienneté qu'il aurait eue s'il n'avait pas été révoqué, et même avec l'avancement qu'il aurait eu à l'ancienneté s'il n'avait été révoqué (2); bien plus, ils auront le deroir juridique de lui faire payer le traitement qu'il aurait touché s'il n'eût pas été exclu du service public, et cela sur tout le temps pendant lequel il a été désinvesti irrégulièrement de la fonction (3).

Mais encore ici, le devoir juridique des agents publics n'a pas

(1) Ici, le règlement du 2 février 1852 organise une sanction efficace. La sentence ou l'arrêt de justice ordonnent aux agents publics de procé der à l'inscription réelle sur les listes électorales (art. 7, 8); de plus, l'individu devra être admis à voler, bien que non inscrit. Art 19÷ « Nul ne pent être admis à voter s'il n'est inscrit sur la liste. Toutefois, seront admis à ce vote, quoique non inscrits, les citoyens porteurs d'une décision du juge de paix ordonnant leur inscription, ou d'un arrêt de la Cour de cassation annulant un jugement qui aurait prononcé une radiation » . (2) C. d'E. 30 novembre 1900, Viaud dit Pierre Loti, Rec., p 681 (et les conclusions du commissaire du gouvernement SAINT-PAUL): « Le Conseil d'Etat ayant, sur le pourvoi du sieur V. annulé, à la date du 24 février 1899, la décision du 17 mars précédent qui avait mis le requérant à la retraite, cet officier doit être regardé comme n'ayant jamais. cessé de faire partie du cadre des lieutenants de vaisseau en activité. Il suit de là que c'est à fort que le décret attaqué, en le nommant capitaine de frégale au tour de l'ancienneté, dispose qu'il ne prendra rang dans ce grade quà la date du 1er mai 1899 à laquelle s'était ouverte la vacance dont il profitait en fait, et qu'il est en droit de soutenir que son ancien neté doit compter du 22 avril 1898, jour où il eût été régulièrement promu, si la décision annulée, en date du 27 mars 1898, n'avait jamais existé..... ». (3) Jurisprudence constante. L'arrêt de principe est C. d'E, 9 juin 1899, Toutain, Rec.. p. 421 : « La décision prise par le Président de la R., le 2 août 1896, à l'égard du sieur T.., ayant été annulée le 2 décembre

toujours de sanction juridictionnelle directe. Sans doute, le Conseil d'Etat condamnera le Trésor public à payer le traitement arriéré, si le Ministre refuse de reconnaître la dette. Mais le Conseil d'Etat ne pourra pas enjoindre aux agents publics l'accomplissement de certains actes (réintégration), ni procéder lui-même à ces actes (1). Le principe, d'origine politique, de l'indépendance de l'administration active vis-à-vis des tribunaux quels qu'ils soient s'y oppose (2). Ces solutions sont injustifiables (3).

III. Si le Conseil d'Etat a annulé un règlement, tous les agents administratifs doivent s'abstenir de l'appliquer. En particulier les chefs des services, les ministres, ont le devoir juridique d'y veiller (4), non seulement en accomplissant eux-mêmes les actes juridiques nécessaires, mais encore en adressant des instructions et des ordres aux agents centralisés hiérarchiquement subordonnés ou aux agents décentralisés soumis au contrôle administratif. Tous les actes juridiques nécessaires pour remettre, autant que possible (5), les

1898 par le Conseil d'Etat statuant au contentieux, le requérant était fondé à réclamer au ministre le rappel du traitement dont il avait été illégalement privé à partir du 15 septembre 1896 et sa réintégration effective dans des fonctions de son grade. Si le Conseil d'Etat est compétent pour condamner l'Etat, au refus du Ministre, à payer au sieur T. le traitement dont ce fonctionnaire jouissait antérieurement au 15 septembre 1896, à partir de cette date jusqu'au jour où il sera pourvu de nouveau d'un emploi de son grade... ou jusqu'à l'époque où il cessera régulièrement de faire partie de cette administration, il ne lui appartient pas d'ordonner les mesures administratives propres à assurer la réintégration effective de ce fonctionnaire...... » Rapprocher les conclusions de M. TEISSIER, Sous C. d'E. 29 mai 1903, Le Berre, Rec., p. 418. (1) C. d'E. 9 juin 1899, Toutain, Rec., p. 421. V. la note précédente. (2) V. infra. la 5o partie.

(3) Je dis injustifiables: si l'on permet à un juge de paix d'ordonner à un maire d'inserire un individu sur les listes électorales, si l'on décide même que cette sentence vaut inscription (v supra, p. 469, note 1), je ne vois pas pourquoi le C. d'E. ne pourrait pas ordonner à un préfet d'inscrire d'office au budget communal une dépense obligatoire, à un Ministre de réintégrer dans les cadres un fonctionnaire irrégulièrement révoqué, etc. (4) La formule exécatoire qui termine les expéditions des arrêts du Conseil d'Etat le déclare expressément : « La République mande et ordonne au ministre de..., en ce qui le concerne... de pourvoir à l'exé cution de la présente décision » (1. 21 mai 1872, art. 24 et règlement du 2 août 1879, art. 25). LAFERRIÈRE, Jur. adm., 2e édit., II, p. 572.

(5) Un règlement de police a prescrit des battues dans les bois de particuliers et les battues ont eu lieu. Il ne saurait être question de remet4re les choses à l'état.

choses en l'état, s'imposent aux agents administratifs. En conséquence, si, pour l'application du règlement annulé, des décisions ont été prises, il faudra rapporter ces décisions (1). Si l'application du règlement annulé a causé préjudice à des particuliers, des indemnités devront être allouées aux victimes.

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Il est évident aussi que les agents administratifs ne pourront pas refaire le règlement annulé comme contraire à la loi (2). Sur un nouveau recours, le Conseil d'Etat devrait l'annuler, cette fois non pas pour violation de la loi, mais pour violation de la chose jugée (3). IV. — Si un tribunal répressif ou non répressif a déclaré qu'un individu n'a pas accompli le fait qui lui était reproché, les agents administratifs (4) investis du pouvoir disciplinaire devront tenir cette constatation pour la vérité légale et s'abstenir de prendre contre l'individu une mesure disciplinaire, à peine d'excès de pouvoir pour violation de la chose jugée.

Si un tribunal, tout en reconnaissant qu'un individu a accompli le fait qui lui est reproché, déclare que ce fait ne constitue pas une infraction pénale et acquitte l'individu, les agents administratifs investis du pouvoir disciplinaire ont le pouvoir de prendre contre l'individu une mesure disciplinaire, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée tel fait, qui n'est pas une infraction pénale, peut être une faute disciplinaire.

V.

Si le tribunal administratif ou judiciaire a déclaré illégal le refus d'un agent public d accomplir un certain acte, cet agent a le

(1) C'est une conséquence que méconnaît l'arrêt du C. d'E. du 29 nc vembre 1912. Boussuge qui déclare recevable la voie de la tierce-opposition contre un arrêt d'annulation sur un recours pour excès de pouvoir. Voyez supra, p. 138 note 5.

(2) Naturellement, si le règlement avait été annulé comme fait par une autorité incompétente ou pour vice de forme, il n'y aurait pas méconnaissance de la force de la chose jugée si le même règlement était refait par une autre autorité, avec les formes légales.

(3) Voyez les conclusions du commissaire du gouvernement ROMIEU sous C. d'E., 8 juillet 1994, Botta, Rec., p. 558 : « Il faut qu'on sache bien que lorsqu'un acte....... a été annulé par le Conseil d'Etat pour violation de la loi, cet acte ne peut être reproduit... sous peine d'une annulation qui, cette fois, sera exclusivement fondée sur la violation de la chose jugée en droit ».

(4) Je ne m'occupe ici que des agen's administratifs investis du pouvoir disciplinaire et non des tribunaux disciplinaires. V. infra, section IV.

devoir juridique de faire cet acte. Par exemple, si un préfet ou un maire refuse de délivrer un aliguement, si un maire refuse d'admettre un industriel à l'entrepôt à domicile, si le sous-préfet refuse de délivrer un permis de chasse, si le maire refuse de célébrer un mariage, une fois la constatation faite par le juge que ce refus est illégal, le préfet, le sous-préfet, le maire devront délivrer l'alignement, accorder l'entrepôt à domicile (1), délivrer le permis, célébrer le mariage (2).

Mais encore ici, il faut observer que, au cas de refus de l'agent administratif, le tribunal ne pourrait pas accomplir l'acte. Il resterait l'action en indemnité soit contre le patrimoine administratif (3), soit contre l'agent récalcitrant. Ceci nous amène à une troisième proposition.

(1) LaFerrière, Jur. adm et rec. cont., 2e édit.. II, p. 573. (2) Dans l'affaire Rouzier, jugée par le Trib. des Conflits le 25 mars 1911 (Rec., p. 392 et s.; R. D. P. 1911, p. 663 et s. et ma note), le commissaire du gouvernement CHARDENET déclarait : « Au cas où un maire refuserait de dresser un acte de l'état civil, on s'adressera au tribunal civil, qui pourra lui enjoindre de dresser l'acte, s'il estime que le refus n'était justifié par aucun motif légal, ou qui déclarera justifié le refus opposé par le maire (Cass. Ch. des req. 28 nov. 1877, Leproux, D. 78-1-209; Trib. Seine, 20 mai 1896, S. 96-2-221). Si le maire, malgré une décision de l'autorité judiciaire, passée en force de chose jugée, reconnaissant qu'il ne pouvait refuser de célébrer un mariage, si le maire persistait dans son refus, le préfet usant des pouvoirs qui lui sont conférés par l'art. 85 de la loi du 5 avril 1884 nommerait un délégué spécial à l'effet de procéder à la célébration du mariage Dans tous ces cas, le maire pourrait être l'objet d'une action en dommages-intérêts, à raison de son refus de dresser un acte de l'état civil, et cette action serait de la compétence de l'autorité judiciaire ».

(3) Les tribunaux français sont actuellement saisis d'un procès qui met en jeu les principes dégagés au texte. Voici l'affaire. La Compagnie 'du chemin de fer métropolitain de Paris s'est vu refuser par l'adaninistration de l'octroi de Paris et par le préfet de la Seine l'admission à contracter un abonnement la dispensant du paiement des droits d'octroi sur les combustibles employés par elle dans son usine d'électricité pour produire la force motrice pour ses trains. Par arrêt du août 1905, le Conseil d'Etat a annulé les décisions de l'administration de l'octroi et du préfet de la Seine (Rec., p. 745). Naturellement, l'admission à contracter l abonne. ment était l'une des conséquences de l'arrêt. L'administration a pris une décision d'admission à l'abonnement. Mais une autre conséquence de l'arrêt n'est-elle pas le remboursement des droits d'octroi perçus en excédent? C'est la question qui est actuellement soumise aux tribunaux. Jusqu'ici elle a été très mal engagée, la Compagnie du chemin de fer métropolitain ayant saisi des tribunaux incompétents. Elle s'est adressée au Conseil d'Etat pour demander « le remboursement à son profit de la différence entre les sommes qu'elle a effectivement versées à l'octroi de Paris

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3e Proposition. -Les agents administratifs, à qui incombe le devoir d'exécuter la chose jugée, et qui refusent sans motif légitime de le faire, commettent une faute personnelle, qui engage leur responsabilité personnelle.

Cette règle, réclamée par la doctrine (1), est en voie de formation

pour acquitter les droits d'entrée sur les combustibles employés dans ses usines de 1903 à 1905 pour l'usage de son industrie, et celles au paiement desquelles elle aurait été assujettie si l'abonnement qu'elle avait sollicité ne lui avait pas été refusé en violation du droit qu'elle tenait des art. 11 et 12 du règlement supplémentaire de l'octroi de Paris, cette violation de son droit ayant été d'ailleurs, d'après la compagnie, reconnue par la décision du Conseil d'Etat du 4 août 1905, qui a annulé l'arrêté du préfet de la Seine rejetant la demande d'abonnement par elle présentée le 12 juin 1903. » Par arrêt du 17 février 1911 (Rec., p. 199), le Conseil d'Etat s'est déclaré « incompétent pour statuer sur cette demande, qu'il s'agisse dans l'espèce d'une action en restitution de droits d'octroi à tort perçus ou d'une action en dommages-intérêts tendant à la réparation du préjudice causé à la Compagnie par un refus injustifie d'admission au bénéfice de l'abonnement. En effet, c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient, en vertu de l'art. 2 de la loi des 7-11 sept. 1790, de juger toutes les contestations qui peuvent s'élever à l'occasion de la perception des contributions indirectes, y compris celles qui impliquent l'appréciation d'actes administratifs illégaux, à la faveur desquels des perceptions de droits ont pu être réalisées»... D'autre part, la Compagnie, ayant été déclarée débitrice par le préfet de la Seine d'une certaine somme à titre de redevance représentative des droits d'octroi, a demandé au Conseil d'Etat de déclarer la réclamation non fondée, pour le motif que le préfet a refusé de tenir compte, pour la détermination de cette somme, de l'arrêt du Conseil d'Etat du 4 août 1905. Le Conseil d'Etat, par arrêt du 29 décembre 1911 (Rec., p. 1260) s'est déclaré incompétent : « il n'appartient qu'au conseil de préfecture... de prononcer, sauf recours au Conseil d'Etat, sur les difficultés qui s'élèvent entre l'administration et les concessionnaires de travaux publics touchant le sens et l'exécution de leurs marchés ».

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(1) Cpr. ma note dans la R. D. P. 1914, p. 684 et rapprocher ma note R. D. P. 1909, p. 263 et s. - HAURIOU, note dans Sirey 1911-3-121: « Sous l'action combinée de la décentralisation et des mœurs électorales, le point d'honneur administratif a disparu. Les administrations publiques en sont venues à ruser, à biaiser, à se défendre contre la juridiction administrative qui les gêne dans leurs combinaisons administrativo-électorales.. Il ne faut pas croire que cette sorte de mauvaise foi soit le propre des municipalités, on la retrouve aussi dans les préfectures; on ne peut plus compter sur le préfet pour rappeler les municipalités à la tenue administrative... Cette même mauvaise volonté s'est insinuée dans les

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