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CHAPITRE III

LES ACTES JURIDIQUES

Les actes juridiques sont les manifestations de volonté d'individus -gouvernants, agents publics, simples particuliers en exercice d'un pouvoir légal et en vue de produire un effet de droit. Cet effet de droit est de créer une situation juridique, d'investir un individu d'une situation juridique déjà créée, ou de constater une situation juridique préexistante.

SECTION I

Différentes sortes d'actes juridiques.

générale,

I. Comme il y a deux sortes de situations juridiques individuelle, on voit que les actes juridiques se classent, d'après leur contenu, en plusieurs catégories :

1° Actes créateurs de situation juridique générale ;

2° Actes créateurs de situation juridique individuelle;

30 Actes investissant un individu d'une situation juridique générale, d'un status;

4o Actes constatant une situation juridique générale ou une situation juridique individuelle ou un fait.

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Cela nous donne la classification des actes juridiques en : 1o actes législatifs ou réglementaires; 20 actes créateurs de situation juridique individuelle actes unilatéraux ou contractuels; 3° actes-condition, qui sont la condition d'application à un individu d'un status légal; 4o actes juridictionnels.

Il faut passer en revue chacun de ces actes, et, pour chacun d'eux, mettre en relief l'élément essentiel.

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II. — Mais auparavant il faut dégager deux points communs & tous les actes juridiques: 1° tout acte juridique est toujours une

manifestation de volonté, 2° tout acte juridique est l'exercice d'un pouvoir légal.

1° L'acte juridique est toujours une manifestation de volonté. Considérons les différents actes juridiques: loi, règlement, contrat, acte unilatéral créateur d'obligation individuelle, nomination, révocation d'agent, élection, jugement, etc., etc., toujours nous trouvons une manifestation de volonté.

Ce n'est pas à dire que les actions matérielles, les agissements n'aient pas d'importance juridique. Comme je le montrerai plus loin, un fait matériel, un agissement peut être la condition pour qu'un individu soit investi d'un pouvoir juridique ou puisse exercer un pouvoir juridique. Ce n'est pas un acte juridique; il n'y a pas acte juridique ; il y a inexistence d'acte juridique (1).

Il ne faut pas confondre la manifestation de volonté avec la manifes talion d'intelligence. La manifestation de volonté suppose essentiellement que l'auteur veut qu'un effet juridique soit produit, qu'une situation juridique soit créée, constatée ou appliquée à un individu. La manifestation de volonté est toujours une manifestation d'intelligence; mais la récipropre n'est pas vraie. Ainsi le professeur d'unjversité qui fait un cours manifeste son intelligence; il n'y a pas manifestation de volonté: il n'y a pas volonté de produire un effet juridique la leçon n'est pas un acte juridique. De même, l'ingé nieur qui fait un projet de travail public manifeste de l'intelligence; le plan rédigé par lui n'est pas un acte juridique; il n'y a pas la manifestation de volonté de produire un effet juridique. Le général qui rédige un plan de campagne manifeste de l'intelligence; il ne manifeste pas sa volonté de produire un effet juridique ; le plan de campagne n'est pas un acte juridique.

D'ailleurs, ces manifestations d'intelligence peuvent être la base d'actes juridiques ultérieurs. Tel est le cas, par exemple, pour le plan de travail public.

20 L'acte juridique suppose un pouvoir légal dont la manifestation de volonté n'est que l'exercice. Lorsqu'un individu X vend à un autre individu Y l'immeuble A, les manifestations de volonté de X

(1) Si, donc, il n'y a qu'apparence de manifestation de volonté, il n'y a pas'd'acte, l'acte est inexistant. Il ne faut pas confondre ceci avec la manifestation irrégulière de volonté, laquelle est un acte juridique existant, mais vicié. Cpr. ce qui est dit infra, p. 22 texte et note sur les instructions et ordres de service. Cpr. aussi infra, p. 50 et s. le chapitre V relatif à la Sanction des irrégularités des Actes juridiques.

et de Y supposent que X et Y ont le pouvoir légal de vendre et d'acheter. Si X et Y n'avaient pas ce pouvoir légal, leur manifestation de volonté serait, en principe, dépourvue de valeur juridique. Il n'y aurait pas d'acte juridique : l'acte juridique serait inexistant, et non pas seulement irrégulier. Ceci est très important à souligner. Ainsi, l'individu qui n'est pas encore au service public ou qui n'est plus au service public n'a pas le pouvoir légal que l'on appelle la compétence: dès lors, les manifestations de volonté qu'il peut émettre ne sont pas l'exercice d'un pouvoir légal: en principe, elles sont inexistantes en tant qu'actes juridiques. La nomination faite par un maire révoqué est inexistante. Le contrat passé par un préfet destitué serait inexistant. Le règlement fait par un préfet ou par un maire après leur sortie du service public (démission acceptée, révocation, etc.) serait inexistant en tant qu'acte juridique (1).

En somme, en principe, il y a inexistence d'acte juridique lorsqu'il y a absence d'un des éléments essentiels, soit l'absence de manifestation de volonté, soit l'absence de pouvoir légal. Si la manifestation de volonté, si le pouvoir légal existent, mais s'ils sont irrégulièrement exprimés ou exercés, alors il y a acte juridique irrégulier. En droit public français, on marque parfois cette différence dans la terminologie: l'usurpation de pouvoir est la manifestation de volonté sans pouvoir légal; l'excès de pouvoir est la manifestation de volonté en exercice irrégulier d'un pouvoir légal (2).

Section II

Caratères essentiels de l'acte législatif ou réglementaire (3

Les actes juridiques peuvent être classés en quatre catégories; 1° les actes législatifs ou réglementaires; 2o les actes créateurs de situa

(1) Il faut réserver la question de savoir s'il n'y a pas, en droit public français, une théorie des fonctionnaires de facto. Voir infra, la théorie des fonctions de fait. Voyez aussi infra, p. 50 et s., le chapitre V relatif à la Sanction des irrégularités des actes juridiques.

(2) La distinction entre l'inexistence et l'irrégularité des actes juridiques, bien que unanimement admise, n'a pas été jusqu'ici étudiée avec toute l'attention qu'elle mérite. Cpr. sur ce point ma note dans la Revue du droit public, 1912, p. 718; ALCINDOR, Essai d'une théorie des nullités en droit administratif. Paris, 1912; Cpr. infra, p. 50 et s., Sanction des irrégularités des actes juridiques."

(3) DUGUIT, Traité de Droit Constitutionnel, 1911, I, p. 132; Moreau,

tion juridique individuelle (acte unilatéral ou contrat); 3° les actes conditions, condition d'application à un individu d'une situation. juridique générale ou d'exercice d'un pouvoir légal ; 4' les actes juridictionnels.

Ils se distinguent les uns des autres par leur contenu, c'est-à-dire par l'effet juridique voulu par l'auteur de l'acte.

L'acte législatif ou réglementaire se reconnaît à ce qu'il organise, il crée une situation juridique générale, impersonnelle, objective; il crée, organise un pouvoir juridique impersonnel, objectif; il contient essentiellement une règle de droit, une norme juridique.

Toute manifestation de volonté qui, en exercice d'un pouvoir légal, crée ou organise une situation juridique générale, impersonnelle, objective est une loi, un acté législatif. Peu importe la qualité de l'auteur de l'acte peu importent les formes de l'acte, la procédure suivie pour accomplir l'acte.

1. C'est pourquoi il n'y a pas de différence de nature juridique entre 1o la loi proprement dite, c'est-à-dire la règle de droit générale et impersonnelle, formulée par les deux Chambres et promulguée par le Président de la République; 2' le décret-loi, c'est-à-dire la règle de droit générale, impersonnelle, formulée, dans les périodes de dictature, par les individus qui se sont proclamés dictateurs ; 3o le décret-loi colonial, c'est-à-dire la règle de droit générale formu. lée par le Président de la République dans certaines colonies; 4' le règlement d'administration publique, c'est-à-dire la règle de droit générale et impersonnelle, formulée par le Président de la République, après avis du Conseil d'Etat, sur l'invitation des Chambres; 5o le reglement simple, c'est-à dire la règle de droit générale et impersonnelle formulée par le Président de la République ou par tout autre agent public investi du pouvoir réglementaire; 6° l'arrêté ministé riel, l'instruction ministérielle, la circulaire ministérielle, en tant qu'il s'agit d'une règle de droit générale et impersonnelle formulée par un ministre dans les cas où le ministre a le pouvoir réglementaire (1).

Le Règlement administratif, 1902; ESMEIN, Droit const., 5e édition, 1909, p. 15 et s.; HAURIOU, Droit public, 1940, p. 613 et s. Droit administratif, 7e édition, 1911, p. 35 et s.

(1) Dans quels cas l'arrêté, l'instruction, la circulaire formulent-ils une règle de droit et ne se bornent-ils pas à présenter un commentaire officiel d'une règle préexistante? Il y a là une question de fait à examiner pour chaque cas. Cpr. sur ce point mes notes dans la Revue du droit public, 1906, p. 246 et s.: Nature et régime juridique des instructions

2. Dans tous ces cas, quelles que soient la qualité de l'auteur de l'acte, les formes suivies, le nom donné à l'acte juridique, nous trouvons comme effet juridique voulu la création d'une situation juridique générale, impersonnelle, objective. Cela est nécessaire pour qu'il y ait acte législatif au sens matériel, mais cela est suffisant.

L'identité de nature juridique entre la loi et le règlement a pour conséquence l'identité de régime juridique en principe, le régime juridique est le même pour la loi et pour le règlement. Exceptionnellement, la qualité de l'auteur de l'acte peut exercer une influence sur le régime juridique; mais c'est exceptionnel. Ainsi, en France, il est de règle que les manifestations de volonté des Chambres échappent absolument au contrôle des tribunaux. C'est une règle qui s'explique par des considérations de politique et d'histoire, plus ou moins particulières à la France. Il en résulte une différence dans le régime juridique de la loi et du règlement. La loi proprement dite échappe en France à tout contrôle juridictionnel, non pas à raison de sa nature juridique, mais à raison de la qualité de l'auteur de la loi : le Parlement. Comme cette raison politique n'existe pas pour le règlement, en France les règlements, quels qu'ils soient, sont soumis au contrôle juridictionnel (1).

Section III

Caractères essentiels de l'acte créateur de situation juridique individuelle.

L'acte créateur de situation juridique individuelle est la manifestation de volonté qui a pour effet de donner naissance à un pouvoir juridique individuel. La vente, la donation, le prêt, la condamnation à l'amende, le rôle nominatif d'impôt direct, etc., sont des actes juridiques appartenant à cette catégorie.

1. Les actes créateurs de situation juridique individuelle se reconnaissent à leur contenu juridique, à l'effet juridique produit par la

et ordres de service; 1911, p. 684 et s. Nature juridique des circulaires ministérielles.

(1) C'est ce qu'a fini par reconnaître la jurisprudence du Conseil d'Etat, 6 décembre 1907, Compagnie des chemins de fer de l'Est et autres. Cpr. sur ce point ma note, Du recours pour excès de pouvoir contre les règlements d'administration publique, dans la Revue du Droit public, 1908, p. 38 et suiv.

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