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d'Etat et sur l'invitation adressée par les Chambres dans la loi même qui formule les principes généraux.

On disait les règlements d'administration publique sont faits en vertu d'une délégation du pouvoir législatif; ils sont donc semblables à la loi. Par conséquent, contre eux pas plus que contre la loi, le recours pour excès de pouvoir n'est recevable (1).

La raison juridique est sans valeur le pouvoir de faire la loi, comme tout pouvoir fonctionnel, n'est pas susceptible de délégation. Par contre, on s'explique très bien cette exception à la règle, si l'on se rappelle l'attitude prudente et même timorée des tribunaux français vis-à-vis des assemblées législatives. Le Conseil d'Etat redoutait de se heurter au Parlement.

Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1872, le Conseil d'Etat écartait, par une fin de non-recevoir pure.et simple tirée de la prétendue nature législative de l'acte, les recours directs en annulation.

Avec le temps, et à mesure que sa situation et son prestige s'affermissaient, l'attitude du Conseil d'Etat se modifia.

Le Conseil d'Etat a procédé très habilement.

Suivant un procédé qui lui est familier, le Conseil d'Etat a commencé par apporter à sa théorie primitive des tempéraments qui en ont adouci singulièrement la rigueur.

1° Tout d'abord, le Conseil d'Etat s'est reconnu le pouvoir de vérifier, à l'occasion d'une affaire déterminée, si, vraiment, le prétendu règlement d'administration publique était régulier en la forme; en particulier, s'il avait été rendu en assemblée générale du Conseil d'Etat (2).

2o Allant plus loin, il s'est aussi reconnu le pouvoir de vérifier, à l'occasion d'une affaire déterminée, si le règlement était régulier au fond, c'est-à-dire si le chef de l'Exécutif s'était bien cantonné

(4) C. d'E., 20 décembre 1872, Fresneau, Rec., p. 3: « Le décret du 25 février 1868 a été rendu en vertu des pouvoirs délégués à l'administration par l'article 26 de la loi du 15 avril 1829. Un acte de cette nature n'est pas susceptible d'être déféré au Conseil d'Etat par application des dispositions de la loi des 7-14 octobre 1790 et de l'article 9 de la loi du 24 mai 1872 ».

(2) Conseil d'Etat, 6 janvier 1888, Salle, Rec., p. 2: « Il est établi que ledit décret (décret du 21 décembre 1886, modifiant le règlement d'administration publique du 20 mars 1873) n'a pas été rendu en Conseil d'Etat; par suite, nonobstant toute mention contraire, il n'a pu valablement modifier le règlement du 20 mars 1873. »

dans la mission qu'il avait à remplir, à savoir assurer l'exécution de la loi; s'il n'avait pas excédé ses pouvoirs en violant les principes posés par la loi même qui le chargeait de faire un règlement d'administration publique. Les autres juridictions ont fait de même : Cour des Comptes (1), Cour de cassation (2).

Par là, on donnait aux administrés la garantie qui, pratiquement, leur était nécessaire. Qu'est-ce, en effet, qu'un règlement que l'on déclare inattaquable directement, mais dont toutes les mesures prises pour en assurer l'exécution peuvent être annulées à raison de l'illégalité dudit règlement ?

(4) La Cour des comptes (18 et 25 janvier 1897. Rec., p. 869; 16 novembre 1897, Rec p. 890) n'a pas hésité à rechercher si le règlement d'administration publique du 27 mars 1893, en soumettant les comptes des trésoriers de fabriques à la juridiction administrative, avait statué conformément à la loi du 26 janvier 1892 (art. 78). Saisi d'un recours en cassation, le Conseil d'Etat (26 janvier 1900. Malivert, Rec., p. 55) s'est approprié cette manière de voir: « L'article 78 de la loi du 26 janvier 1892 porte « qu'à partir du 1er janvier 1893, les comptes des fabriques et consistoires seront soumis à toutes les règles de la comptabilité des autres établissements publics » et « qu'un règlement d'administration publique déterminera les conditions d'application de cette mesure ». Le règlement d'administration publique du 27 mars 1893, en soumettant, par ses articles 26 et 27, les comptes des trésoriers de fabriques à la juridiction instituée pour le jugement des comptes des établissements publics, a statué dans la limite de la délégation donnée par la loi ci dessus rappelée. Ainsi, c'est à bon droit, et par une exacte application de la loi et du règlement précités, que la Cour des comptes a affirmé sa compétence... >> Cette jurisprudence est déjà ancienne: Conseil d'Etat, sur conflit, 13 mai 1872, Brac de la Perrière, Recueil, p. 299 et s. (avec les conclusions du commissaire du gouvernement) : « Le décret du 10 août 1853 n`a ni modifié, ni pu modifier les principes consacrés à cet égard par la législation antérieure dont il avait simplement à coordonner les dispositions sous forme de règlement d'administration publique en vertu de la loi du 10 juillet 1851... Cpr. aussi Conflits, 11 janvier 1873, Coignet, Recueil, supplé ment, p. 12.

(2) Cassation, Req. 26 juillet 1905, Valz, R. D. P. 1906, p. 74 et s. (et les conclusions de M. FEUILLOLEY) : « Le décret du 13 août 1889... ne saurait faire obstacle à l'application de l'alinéa 3 de l'art. 8 du Code civil....... En effet... le décret du 13 août 1889 n'a pas, dans la partie dont il s'agit, de valeur légale. En effet, rendu en exécution de l'article 5 de la loi du 26 juin 1889, dans le but unique de déterminer les formalités à remplir et les justifications à faire relativement à la naturalisation...», il a manifestement excédé les pouvoirs qué la loi du 26 juin 1889 avait délégués au pouvoir exécutif... et ainsi empiété sur le domaine réservé au pouvoir legislatif »..

3o En 1892, le Conseil d'Etat a fait un nouveau pas en avant. Dans deux arrêts rendus sur des recours directs en annulation contre des règlements d'administration publique, non seulement il n'a pas opposé sèchement une fin de non-recevoir tirée de la nature législative de l'acte, mais il a pris soin d'indiquer aux requérants qu'ils pouvaient attaquer les mesures d'exécution du règlement (1).

4o Enfin, en 1907, le Conseil d'Etat a nettement admis la recevabilité du recours pour excès de pouvoir en annulation contre les

(1) Conseil d'Etat, 1er avril 1892, commune de Montreuil-sous-Bois, Recueil, p. 328. Un recours pour excès de pouvoir avait été dirigé contre le décret portant règlement d'administration publique du 5 septembre 1890, rendu en exécution de la loi du 19 juillet 1889 (art. 12). Le Conseil d'Etat, en écartant le recours, n'emploie plus la formule sèche de l'arrêt Fresneau de 1872 (V. p. 219 note 1): « Ledit article (art. 12 de la loi de 1889) dispose qu'un règlement d'administration publique dressera, pour chacune des communes du département de la Seine..., le tableau des indemnités de résidence (à allouer au personnel enseignant des écoles primaires publiques); le décret du 5 septembre 1890, qui a fixé le taux des indemnités de résidence, a été rendu par le gouvernement en Conseil d'Etat en vertu de la délégation résultant de l'article 12 de la loi du 19 juillet 1889, et la commune de Montreuil-sous-Bois n'est pas recevable à demander l'annulation de ce décret par la voie du recours pour excès de pouvoir, sauf à la commune à se pourvoir par les voies de droit, si elle s'y croit fondée, contre les mesures qui seraient prises en exécution dudit règlement. » — Conseil d'Etat, 8 juillet 1892, ville de Chartres, Rec., p. 607. La ville de Chartres avait formé un recours pour excès de pouvoir: 4o contre le règlement d'administration publique du 31 janvier 1890, rendu en exécution de la loi du 19 juillet 1889 (art. 12 et 48); 2o contre un arrêté préfectoral pris en exécution de ce règlement. C'est le cas prévu par l'arrêt précédent. Le Conseil d'Etat a décidé : « Le décret du 31 janvier 1890, relatif aux indemnités de résidence dues au personnel enseignant des écoles primaires publiques, a été rendu par le gouvernement en Conseil d'Etat en vertu de la délégation résultant des articles 12 et 48 de la loi du 19 juillet 1889, et la ville de Chartres n'est pas recevable à en demander l'annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir, sauf à la commune à se pourvoir contre les mesures d'exécution prises en vertu dudit décret ». En ce qui touche l'arrêté préfectoral : « les dispositions des articles 4 et 12 de la loi du 19 juillet 1889, qui ont établi l'indemnité de résidence à la charge des communes, sont générales et ne distinguent pas... ; cette indemnité constitue, dans tous les cas, pour les communes, une dépense obligatoire et, par suite, la ville de Chartres n'est pas fondée à refuser de la payer... ; ainsi ladite ville n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté d'inscription d'office pris par le préfet d'Eure et-Loir... ».

règlements d'administration publique (1). Et depuis 1907, cette jurisprudence a été maintes fois confirmée (2).

Chose importante, le Conseil d'Etat, en admettant le recours direct en annulation, affirme que « les actes du chef de l'Etat portant règlement d'administration publique sont accomplis en vertu d'une délégation législative ». Si l'on rapproche cette argumentation de celle adoptée jusqu'ici pour les recours dirigés contre les décrets législatifs coloniaux (3), il est permis de dire qu'à l'heure actuelle le Conseil d'Etat déclarerait recevable un recours direct en annulation contre les décrets-lois coloniaux. Il dirait sans doute : « Si l'acte du chef de l'Etat, organisant tel régime dans telle colonie, a été accompli en vertu d'une délégation législative, il n'échappe pas néanmoins, et à raison de ce qu'il émane d'une autorité administrative, au recours prévu par l'article 9 de la loi du 24 mai 1872. »

Enfin, il convient de remarquer que, par son argumentation même (4), le Conseil d'Etat affirme que si la loi échappe au recours

(1) C. d'E., 6 décembre 1907, Compagnies de l'Est et autres, Rec, p. 913 (avec les conclusions du commissaire du gouvernement M. TARDIEU), et R. D. P. 1908, p. 38 et s. (et ma note). Voici les termes de l'arrêt « Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre des travaux publics et tirée de ce que le décret du 1er mars 1901 étant un règlement d'administration publique ne serait pas susceptible d'être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir: Aux termes de l'art. 9 de la loi du 24 mai 1872, le recours en annulation pour excès de pouvoir est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives. Si les actes du chef de l'Etat portant règlement d'administration publique sont accomplis en vertu d'une délégation législative et comportent, en conséquence, l'exercice, dans toute leur plénitude, des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au gouvernement dans ce cas particulier, ils n'échappent pas néanmoins, et à raison de ce qu'ils émanent d'une autorité administrative, au recours prévu par l'art. 9 précité. Dès lors, il appartient au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, d'examiner si les dispositions édictées par le règlement d'administration publique rentrent dans la limite de ses pouvoirs ».

(2) C. d'E. 7 avril 1911, Massonié, Rec., p. 433; 7 juillet 1911, Omer Decugis, Rec., p. 797 (V. p. 801 la partie des conclusions du commissaire du gouvernement M. BLUM relatives à cette question); 24 novembre 1911, Seurin et Lenoir, (2 arrêts), Rec., p. 1075.

(3) C. d'E., 16 novembre 1894, supra, p. 215 note 1: « Le décret attaqué... a été pris... dans l'exercice de la délégation législative donnée au gouvernement... Le décret n'est, dès lors, pas de nature à être déféré au C. d'E... ».

(4) D'ailleurs, cette argumentation est tout à fait critiquable. La théorie

direct en annulation, c'est non pas à raison de sa nature juridique, mais à raison de la qualité de l'auteur de l'acte. En effet, dit le Conseil d'Etat, le règlement d'administration publique a la même nature juridique que la loi : la seule différence est dans la qualité de l'autorité de qui il émane. Ces constatations sont de la plus grande importance au point de vue théorique et pratique.

Section II

Régime juridique des actes parlementaires au point de vue
du contrôle juridictionnel.

Le droit positif français n'admet pas la possibilité de former des recours juridictionnels contre les actes des autorités parlementaires, sous quelque forme que ce soit. Cela tient non pas à la nature juridique de ces actes, mais à la qualité de l'auteur des actes.

I.

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Le recours direct en annulation pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat n'est pas possible :

1° contre les actes juridiques non législatifs, émanant des deux Chambres déclaration d'utilité publique d'un travail; décisions portant classement ou déclassement d'une place de guerre; grandes naturalisations; déclaration d'état de siège politique; autorisations données à des congrégations religieuses; élection du Président de la République; décisions d'aliénation de certains immeubles domaniaux, etc., etc.

2o Il n'est pas non plus recevable contre les actes (législatifs ou non législatifs) émanant d'une seule Chambre règlement intérieur, élection du président, du bureau, etc.

3. Il n'est pas non plus recevable contre les actes (législatifs ou non législatifs) accomplis par les présidents du Sénat ou de la Chambre des députés sanctions disciplinaires, règlements ou mesures de police (1), etc.

de la délégation du pouvoir législatif me parait être une erreur capitale. V. ma note R. D. P. 1908, p. 38 et s. V. aussi, infra.

(1) Conseil d'Etat, 17 novembre 1882, Merley, Rec., p. 952. « Les décisions par lesquelles les présidents du Sénat et de la Chambre des députés règlent l'admission du public ou de la presse aux séances de ces assemblées ne sont pas de nature à être déférées au Conseil d'Etat. »>< Cass. 30 janvier 1882, Baudry d'Asson, S. 1883-1-111: « Une demande

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