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le veulent bien; ils n'y sont pas tenus en droit. Undéputé, un sénateur pourrait refuser de verser sa cotisation, en refusant d'entrer dans l'association de secours mutuels. Les règlements faits par les Chambres en cette matière ne sont pas de la nature de celui qui a pour objet la discipline, la procédure parlementaire, etc., que l'on appelle le << règlement intérieur », auquel fait allusion l'art. 5 § 2 in fine de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, et qui a pour les membres de l'assemblée le même caractère obligatoire qu'une loi. Les caisses de pensions des sénateurs et des députés ne sont pas des établissements publics. Dès lors, d'une part, la nature juridique des actes relatifs à la gestion de ces caisses ne répugne pas au contrôle juridictionnel. D'autre part, les questeurs qui les gèrent ne les administrent pas en tant qu'autorités parlementaires, mais en tant qu'individus. La conclusion est que le fonctionnement de ces caisses est soumis au contrôle des tribunaux judiciaires (1).

Section III

Régime juridique des «< actes de gouvernement » au point de vue du contrôle juridictionnel.

En France, il est des actes dits actes de gouvernement, de moins en moins nombreux, qu'une tradition séculaire soustrait à tout contrôle juridictionnel, sans qu'on puisse trouver dans leur nature juridique la justification de cette solution.

Les raisons de ce régime exorbitant sont d'ordre politique.

I

Une première catégorie d'actes de gouvernement est formée par les actes par lesquels le Président de la République convoque ou ajourne les Chambres, prononce la clôture des sessions des Chambres, dissout la Chambre des députés, convoque les collèges électoraux pour

(4) Les résolutions Sénat, art. 15; Chambre, art. 15) décident que les difficultés seront réglées par le bureau du Sénat ou de la Chambre, au rapport des questeurs et de la Commission de comptabilité. Mais ceci n'exclut pas et ne peut pas exclure le contrôle juridictionnel. A ma connaissance, les tribunaux n'ont pas encore été appelés à se prononcer sur cette question. Laferrière (op. cit., II, p. 25 et 26) examine la question pour les décisions en matière de pensions aux employés des Chambres; il déclare ces décisions soustraites au contrôle juridictionnel.

l'élection des sénateurs ou des députés; la décision d'un ministre refusant de présenter un projet de loi aux Chambres (1); la réponse d'un ministre au président de la Chambre des députés à la suite du renvoi d'une pétition adressée à la Chambre (2), etc.

Ces actes sont soustraits à tout contrôle juridictionnel. Cela ne tient pas à leur nature juridique. Cela tient à ce qu'ils concernent essentiellement les rapports du Gouvernement et des Chambres législatives. Or depuis la Révolution de 1789, les tribunaux français s'abstiennent soigneusement d'intervenir dans ces rapports. Au temps où l'Exécutif était le plus fort, il ne l'aurait pas toléré. Aujourd'hui que les Assemblées sont prépondérantes, elles n'ont que faire de recours aux tribunaux ; elles sont assez puissantes pour se défendre. Il n'y a donc pas de contrôle juridictionnel, pour des raisons politiques. En particulier, le Conseil d'Etat se refuse à examiner un recours pour excès de pouvoir formé contre les décisions de cette catégorie (3).

(1) C. d'E., 17 février 1888, Prévost, Rec., p. 149 (avec les conclusions de M LEVAVASSeur de Précourt) : « Par la décision attaquée, le ministre de l'Intérieur s'est borné à faire connaître aux requérants qui sollicitaient l'érection en commune distincte des sections de Bellevue et du Bas-Meudon le refus du Gouvernement de donner suite à leur demande, en présentant à cet effet un projet de loi, le Conseil d'Etat entendu. Les actes du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement ne sont pas de nature à faire l'objet d'un débat par la voie contentieuse. Dès lors, la requête... doit être rejetée comme non recevable ». Sur tous ces points voyez TEISSIER, Resp. de la Puiss. publique, op. cit., p. 131 et s., nos 114 et s.

(2) C. d'E., 13 juin 1902. Parquet, Rec., p. 454: « La réponse faite... par le ministre de la Marine au président de la Chambre des députés, à la suite du renvoi ordonné par la 4 commission des pétitions, n'est pas un acte susceptible d'être déféré au Conseil d'Etat par la voie contentieuse... >>

(3) C. d'E., 9 août 1912: Un conseiller général avait attaqué devant le Conseil d'Etat un décret du 2 avril 1912 fixant au 19 mai l'élection d'un sénateur dans le territoire de Belfort. Le C. d'Et. décide: « Les assemblées Jégislatives, à qui il appartient de vérifier les pouvoirs de leurs membres, sont seules compétentes, à moins d'un texte contraire, pour apprécier la légalité des actes qui constituent les préliminaires des opérations électorales ». On remarquera que le C. d'E. invoque le fait que les Chambres sont juges des élections de leurs membres. Ce n'est pas la raison véritable de la non recevabilité du recours. En effet, le fait que les conseils de préfecture sont juges des élections municipales n'empêche plus le C. d'E. de statuer sur les décisions des conseils généraux en matière de sectionnement électoral, bien que le sectionnement électoral soit « le

II

La déclaration d'état de siège politique, les décisions prises par les agents publics de tout ordre pour assurer l'exécution d'une convention diplomatique sont aussi soustraites à tout recours juridictionnel.

La solution est certaine. Pourtant des juristes se sont ingéniés à montrer que, à proprement parler, il n'y avait pas là une théorie particulière. L'absence de recours juridictionnel, en ces cas, tiendrait au jeu normal des règles sur la forme des actes, sur leur objet ou sur la qualité du réclamant.

Ce sont là des subtilités (1). Les actes dits de gouvernement n'ont pas une nature juridique spéciale (2). Il n'y a donc pas de raison

préliminaire des opérations électorales ». La véritable raison est une raison politique il s'agit d'un acte intéressant les rapports du Gouver nement et des Chambres. Ceci est si vrai que le C. d'E., 26 janvier 1912, dame Marguerite Durand, Rec., p. 108, n'a pas opposé la même fin de non recevoir au recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision par laquelle le préfet de la Seine avait refusé à la requérante de lui délivrer un récépissé de la déclaration de candidature par elle faite en vue des élections législatives. Le C. d'E. n'a pas dit : « Les Assemblées législatives à qui il appartient de vérifier les pouvoirs de leurs membres sont seules compétentes ». Il a statué au fond et rejeté la requête : « Les dispositions législatives qui régissent la composition de la Chambre des députés sont, dans leur ensemble, sans application au regard des personnes du sexe féminin... La dame M. D. n'est pas fondée à prétendre que le préfet de la Seine.. a statué sur une question d'éligibilité dont la solution aurait appartenu à la Chambre des députés elle-même ».

(1) On a fait le même raisonnement pour les actes de gouvernement de la première catégorie. On a dit, en ce qui concerne les décrets d'ajournement ou de dissolution des Chambres, que le recours en annulation devant le Conseil d'Etat est irrecevable d'abord parce que les requérants n'ont pas intérêt, ensuite parce que le Conseil d'Etat n'est pas compétent (BRÉMOND, R. D. P. 1896. I, p. 23 et s. et surtout p. 37 et s.). Mais ce sont là de pures affirmations. Des conseillers municipaux peuvent recourir en annulation contre un décret de dissolution du conseil municipal (Conseil d'Etat, 31 janvier 1902, Grazietti, Rec., p 55; 22 mars 1912, Le Moign, Rec.. p. 412), ce qui prouve que les membres d'une assemblée ont interet. D'autre part, les actes du chef de l'Exécutif sont des actes émanant d'une autorité administrative, au sens de la loi de 1872, lorsqu'il s'agit de dissoudre un conseil municipal. Pourquoi ne le sont-ils pas, lorsqu'il s'agit de la dissolution de la Chambre des députés ? La véritable raison est une raison politique.

(2) Pourtant, M. TEISSIER, après LAFERRIÈRE, écrit encore en 1906 : « Le

logique pour faire échec au système général du contrôle juridictionnel.

Mais cette solution, dictée par la logique (1), se heurte à des faits incontestables. Les faits sont absolument décisifs dans le sens de l'existence en France d'une théorie des actes de gouvernement. Les arrêts des tribunaux font apparaître ce fait brutal: il est des actes qui échappent à tout contrôle juridictionnel recours en annulation, recours en indemnité (2). Quelque regrettable que cette lacune

pouvoir exécutif est investi d'une mission double: il gouverne et il administre. Gouverner... c'est exclusivement, suivant nous, veiller au fonctionnement des pouvoirs publics dans les conditions prévues par la Constitution et assurer, comme il est dit à l'art. 8 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, les rapports de l'Etat français avec les puissances étrangères. Administrer, c'est assurer l'application journalière des lois, veiller aux rapports des citoyens avec la puissance publique et des diverses administrations entre elles. Le pouvoir exécutif accomplit sa mission gouvernementale sous le contrôle exclusif du Parlement composé des représentants de la nation. Les actes gouvernementaux échappent, par conséquent, à toute censure judiciaire » (Resp. de la puiss. publique, op. cit., p. 42, no 43). Ce sont de pures affirmations, dénuées de preuve. Il est curieux que M. TEISSIER qui, avec une grande force, écarte successivement tous les critériums proposés (mobile politique, p. 127; forme extrinsèque des actes, p. 128; forme intrinsèque de l'acte, p. 128; force majeure, p. 129), se déclare satisfait par la distinction de la double fonction du pouvoir exécutif et voie là un criterium tiré de la nature intrinsèque de l'acte (p. 129).

(1) Des jurisconsultes d'une grande autorité démontrent facilement qu'il n'y a pas une autorité gouvernementale distincte de l'autorité adminis trative. (BERTHÉLEMY, Droit. adm.,70 éd. 1913, p. 101 et s., et surtout p. 103 et s.). Mais il ne faut pas en conclure que les actes de gouvernement, qui ne devraient pas exister, n'existent pas en réalité et que l'on peut former des recours. Toutes les raisons qu'on invoque pour faire disparaître la théorie sont excellentes ; il n'en reste pas moins que le fait existe et qu'il ne sert à rien de le nier. Exposer le droit positif, c'est constater des faits, bons ou mauvais. Constatons-les pour en montrer les mauvais effets, les combattre et les faire disparaître. Mais constatons-les d'abord.

(2) La jurisprudence appuie la théorie des actes de gouvernement sur la loi du 24 mai 1872, art. 26: « Les ministres ont le droit de revendiquer devant le Tribunal des conflits les affaires portées devant la section du contentieux (du C. d'Et.) et qui n'appartiendraient pas au contentieux administratif ». Or cet article ne fait que reproduire l'art. 47 de la loi du 3 mai 1849, article que VIVIEN commentait ainsi dans son rapport : « llest des droits dont la violation ne donne pas lieu à un recours par la voie con tentieuse. Dans un gouvernement représentatif, ... il est des circonstan ces où, en vue d'une grande nécessité publique, les ministres prennent

puisse paraître, quelque contraire qu'elle soit à l'esprit général de notre droit positif, il existe encore aujourd'hui des actes qui échappent à tout contrôle juridictionnel, pour lesquels certains agents publics se prétendent placés au-dessus des lois, qu'ils réussissent à faire échapper à tout recours devant les autorités juridictionnelles, quelque illégaux et dommageables que ces actes puissent être pour les administrés.

Au premier abord, cette situation, en contradiction absolue avec les idées modernes, paraît un scandale intolérable, et l'on s'étonne qu'elle ait subsisté jusqu'à notre époque. Et à la vérité, elle est injustifiable c'est la raison d'Etat, dans tout son arbitraire.

Si la théorie a pu se maintenir, cela tient aux restrictions qui y ont été apportées, d'une manière continue, par la jurisprudence.

I. Sous la pression des idées modernes de droit et de justice, à partir de 1872, la jurisprudence, malgré les protestations des ministres, n'a pas cessé de soumettre au contrôle juridictionnel les actes les plus graves par lesquels l'arbitraire s'exerçait autrefois au nom de la raison d'Etat. Elle a estimé qu'il ne suffirait plus aux agents administratifs, pour échapper au contrôle, d'affirmer que leurs actes avaient été inspir ́s par des mobiles politiques, par la raison d'Etat. Cette affirmation, considérée pendant longtemps comme décisive, ne suffit plus aujourd'hui (1). Il faut désormais que l'acte dont s'agit

des mesures qui blessent les droits privés. Ils en répondent devant le pouvoir politique. Les rendre justiciables du tribunal administratif, ce serait paralyser une action qui s'exerce en vue de l'intérêt commun. Les mesures de sûreté générale, l'application des actes diplomatiques ne rentrent pas non plus dans le contentieux administratif... On ne saurait sans danger les livrer à l'appréciation d'une juridiction quel

conque ».

(1) Cpr., sur cette nouvelle jurisprudence, les arrêts célèbres du Conseil d'Etat, 19 février 1875, prince Napoléon, S. 75-2-95, et 20 mai 1887, duc d'Aumale et prince Joachim Murat, Recueil, p. 409, etc. Le 2 décembre 1902, devant le Tribunal des conflits, préfet du Rhône contre Société immobilière de Saint Just, Rec., p. 746, le commissaire du gouvernement ROMIEU a proclamé nettement « l'abandon définitif de l'ancienne théorie de l'acte de haute police ou de gouvernement ». En 1911, devant le Tribunal des conflits, le commissaire du gouvernement CHARDENET a affirmé à nouveau très nettement l'abandon de l'ancienne théorie du mobile politique. Conflits, 23 mai 1911, Rouzier, Rec., p. 392. et ma note dans R. D. P. 1911, p. 663 et s. « Ce ne sont pas, disait M. Chardenet, les motifs de la décision d'un fonctionnaire qui impriment à un acte son caractère essentiel. Ce caractère résulte de la nature même de l'acte, de son objet »>

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