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En France, ce contrôle n'en est qu'à ses débuts. Mais il a commencé à s'exercer.

2o Malgré les protestations du Ministère des affaires étrangères, la jurisprudence française a décidé qu'un acte n'a pas le caractère diplomatique par cela seul qu'il émane d'un agent diplomatique ou consulaire. Il faut rechercher en quelle qualité l'agent a fait l'acte, s'il a agi comme agent diplomatique ou, au contraire, comme juge, comme arbitre, comme officier de l'état civil, comme huissier, comme notaire. On appliquera à ces actes non pas le régime juridique des actes diplomatiques, mais le régime juridique établi pour les jugements, les arbitrages, les actes de l'état civil, etc. En tant qu'huissiers, que notaires, les agents diplomatiques sont soumis au contrôle juridictionnel des tribunaux judiciaires (1). De même, en tant qu'officiers de l'état civil célébrant des mariages, ils sont soumis au contrôle juridictionnel des tribunaux judiciaires (2).

3o D'autre part, lorsque le Gouvernement a reçu d'un Etat étranger, pour un particulier déterminé, une indemnité individuelle, à titre de réparation d'un préjudice causé par l'Etat étranger, la décision de refus opposé par le Ministre de verser cette allocation n'est plus un acte diplomatique. La fonction diplomatique a pris fin lorsque

Chambre, 1911, annexe no 1170. Cpr. Revue de Sc. et de lég. fin., 1913, p. 91 et s.

(1) Conflits, 6 avril 1889, ville de Châteaubriand, Rec., p. 483 : « Les chanceliers de consulat ou les chanceliers de légation et d'ambassade ........., lorsqu'ils reçoivent le testament d'un Français à l'étranger..., accomplissent un acte qui, par ses formes et par son objet d'ordre purement privé, n'a aucun caractère administratif et rentre exclusivement dans les attributions notariales... Par suite, en admettant qu'ils puissent encourir une responsabilité civile à raison de l'inobservation des formes prescrites pour la validité du testament, cette question de responsabilité ne peut être appréciée que par l'autorité judiciaire. »>

(2) Conflits, 25 mars 1911, Rouzier, Rec, p. 392 (et les conclusions de M. CHARDENET); R. D. P. 1914, p. 663 et s. (et ma note); Sirey, 1911-3-105 (avec la note du professeur HAURIOU) : « Dans le cas prévu par l'art. 48 du Code civil, a déclaré le Tribunal des Conflits, les agents diplomatiques agissent comme officiers de l'état civil... En admettant que l'agent civil eut pu encourir une responsabilité, cette responsabilité ne peut être appréciée que par l'autorité judiciaire ». Pourtant, il s'est trouvé quelques juristes, pour s'élever contre la décision du Tribunal des Conflits : note du prof. MÉRIGNHAC, dans Dalloz, 1912-3-1; voyez aussi la note anonyme dans la Rev. de Droit int. privé et de droit pén. internat., 1911, p. 93

et s.

l'indemnité a été versée par l'Etat étranger au gouvernement français (1). Le recours juridictionnel est possible.

IV. En résumé, si les actes de gouvernement n'ont pas complè tement disparu de notre droit positif, la jurisprudence s'est efforcée et a réussi, en partie, à les rendre moins dangereux.

On a invité la jurisprudence à poursuivre son évolution et à limiter la théorie de l'acte de gouvernement dans la simple négation du recours direct en annulation (2). La victime d'un acte de gouvernement, par exemple, la victime d'une décision prise en exécution d'une convention diplomatique, ne pourrait pas faire annuler l'acte, mais pourrait obtenir des tribunaux administratifs ou judiciaires une indemnité, au moyen d'un recours contentieux.

Rien dans la loi ne s'oppose à cette évolution. Bien mieux, cela donnerait satisfaction aux idées modernes de justice, et l'indemnité serait conforme à la notion de patrimoine administratif. La théorie des actes de gouvernement, en effet, est l'affirmation que les gouvernants et les agents peuvent, dans certains cas, causer, par leurs actes, des dommages pour cause d'utilité publique. Les idées modernes sur le service public veulent que les victimes de ces dommages aient le pouvoir de se faire allouer des indemnités. D'autre part, les patrimoines administratifs sont organisés en vue de fournir les ressources nécessaires pour payer les dépenses d'utilité publique. Les tribunaux sont donc parfaitement fondés, en l'absence de toute loi contraire, à prononcer des réparations pécuniaires (3).

(4) Conseil d'Etat 23 décembre 1904, Poujade, Recueil, p. 873 et les observations de M. TEISSIER, op. cit., p. 148 et 149; voyez supra, p. 237,

note 2.

(2) Aucoc, conclusions sous Conseil d'Etat, 9 mai 1867, S. 67-2-124. (3) Le prof. HAURIOU, Droit adm., 7o éd., p. 82, propose, plus modestement, de n'accorder des indemnités qu'au cas de dépossession défini tive d'une propriété privée à la suite d'un acte de gouvernement. Pourquoi cette restriction, alors que nous sommes dans le domaine des desiderata? Je comprends que l'on dise que le premier pas à faire ou qui sera probablement fait dans l'évolution de jurisprudence que l'on encou rage devra être ou sera l'allocation d'une indemnité pour le cas de dommage le plus grave. Je ne vois aucune raison pour limiter à ce résultat les efforts futurs de la jurisprudence.

LIVRE II

La notion de service public.

CHAPITRE PREMIER

LE SERVICE PUBLIC

Dans tous les pays civilisés, l'administration a pour mission de satisfaire les besoins d'intérêt général. D'ailleurs elle ne satisfait pas tous les besoins d'intérêt général : l'alimentation, par exemple, n'est pas, à l'heure actuelle, de son ressort; les soins médicaux, la fourniture des médicaments, etc., tout cela est aussi abandonné, pour le moment, à l'activité des simples particuliers.

D'autre part, il est des besoins d'intérêt général que l'administration est seule chargée de satisfaire à l'exclusion des particuliers: justice, police, communications télégraphiques, téléphoniques, transport des lettres, etc.

Il en est d'autres enfin qui sont satisfaits concurremment par l'administration et par les particuliers par exemple, en France, enseignement, théâtres, services de désinfection, assistance, caisses d'épargne, transport des colis postaux, etc., etc.

Considérons les besoins d'intérêt général dont l'administration assume, à un moment donné, la satisfaction, soit seule, soit concurremment avec les particuliers.

On constate que deux procédés sont employés à cet effet:

1° le procédé du droit privé, celui dont usent les simples particuliers lorsqu'ils donnent satisfaction aux besoins d'intérêt général ;

Jėze.

16

2o le procédé du service public.

Qu'est-ce que le procédé du service public (1) ?

I

Le procédé du service public.

Dire que, dans telle hypothèse, il y a service public, c'est dire que, pour donner satisfaction régulière et continue à telle catégorie de besoins d'intérêt général, il y a un régime juridique spécial et que ce régime peut être modifié à tout instant par les lois et règlements.

Toutes les fois qu'on est en présence d'un service public proprement dit, on constate l'existence de règles juridiques spéciales, de théories juridiques spéciales, qui, toutes, ont pour objet de faciliter le fonctionnement régulier et continu du service public, de donner le plus rapidement et le plus complètement possible satisfaction aux besoins d'intérêt général (2);

(1) Voyez ma note dans R. D. P., 1913, p. 303 et s.

(2) Telles sont les idées en faveur au Conseil d'Etat. COLSON (conseiller d'Etat), Traité d'Economie politique, II, p. 385: « C'est uniquement parce que ces services (police, poste, transports par chemins de fer, éclairage ou alimentation en eau des villes ne peuvent être assurés par l'initiative privée, parce qu'ils font nécessairement l'objet d'une organisation d'ensemble qu'un désordre local sérieux trouble tout entière, que l'Etat ou les communes s'en réservent le monopole; les raisons qui justifient ce monopole sont précisément celles qui justifient aussi des restrictions au droit commun ». TARDIEU (commissaire du Gouvernement, conclusions dans l'affaire Winkel, Conseil d'Etat, 7 août 1909, Rec., p. 4302): « Quand l'Etat, les départements ou les communes se substituent à la libre initiative des particuliers pour organiser un service public, c'est le plus souvent afin de procurer à tous les habitants de la France, sur les points les plus reculés du territoire, la satisfaction de besoins généraux auxquels l'initiative privée ne pourrait assurer qu'une satisfaction incomplète et intermittente... La continuité est ... de l'essence du service public ». CHARDON (Conseiller d'Etat), le Pouvoir administratif, 1910, p. 203: «La nation érige en services publics certains services qu'elle aurait pu laisser à l'initiative privée, pourquoi ? C'est parce qu'elle les considère comme indispensables à la vie de chaque citoyen ». P. 47 et s. « Si la nation ou les municipalités faisaient de boulangerie un service public, c'est qu'elles jugeraient nécessaire de garantir aux citoyens la fourniture régulière de pain propre et à bon marché ». P. 45 : « La limite entre les services publics et les services qui ne sont pas publics devient très nette. Tout homme qui entre dans un service public, par le

et ces règles; pour ces raisons mêmes, sont susceptibles d'être modifiées à tout instant (1).

1. Parfois, des textes ont expressément résolu la question en décìdant que telles ou telles règles, telles ou telles théories spéciales régiront tel service. Mais il est très rare qu'il en soit ainsi; c'est a grande exception. Le plus souvent, il n'y a pas de texte précis.

2. En l'absence de texte, le juriste doit rechercher si la tâche dont s'occupe l'administration est bien un service public, auquel il faut appliquer les théories spéciales du service public, ou bien s'il n'y

fait seul qu'il entre au service de la nation, se décide et s'engage à faire passer toujours l'intérêt de la nation avant son intérêt personnel ». HELBRONNER (Commissaire du Gouvernement), conclusions dans l'affaire Syndicat national des chemins de fer, 18 juillet 1913 (R. D. P. 1913, p. 306, note 1). « Lorsque l'Etat, le département ou la commune organise un service public, soit qu'ils en assument directement le fonctionnement et l'exploitation. soit qu'ils les concèdent à des tiers, c'est pour procurer à la collectivité, la satisfaction de besoins généraux, auxquels l'initiative privée ne pourrait assurer qu'une satisfaction imparfaite et intermittente... ». Conseil d'Etat, 18 juillet 1943, Syndicat national des chemins de fer: « Le fonctionnement régulier et ininterrompu (du service des chemins de fer) est, à toute époque, indispensable à la sécurité du territoire et à la défense nationale ».

Ces idées sont aussi celles qui prédominent chez les auteurs contemporains: HAURIOU, Droit adm., 7e éd, p. 12 : « On peut définir le service public un service rendu au public d'une façon régulière et continue pour la satisfaction d'un besoin public et pour une organisation publi

que ».

...

(1) ROMIEU, Conclusions sous C. d'Etat 22 mai 1903, Caisse des Ecoles, Rec., p. 395: « Si ces caisses (des écoles) étaient ... un établissement public,... elles étaient une branche d'une administration publique, un des rouages d'un service public; donc, les modifications du régime du service public, dont elles font partie intégrante, entraîneront nécessairement une modification correspondante dans leur organisation propre... Les statuts ne sauraient dans aucun cas prévaloir contre la loi ...». C. d'E. 22 mai 1903, Are espèce, p. 400: « Il n'est pas permis de tenir compte des dispositions de leurs statuts (des Caisses des Ecoles) qui, bien que régulièrement approuvés sous la législation en vigueur avant le 30 octobre 1886, sont inconciliables avec le régime établi à cette date et, comme telles, non avenues... ». C. d'Etat, 27 juin 1913, Cornus : « Les droits et avantages, résultant pour les fonctionnaires d'une réglementation, sont subordonnés au maintien de cette réglementation, et ils ne sauraient en aucun cas faire obstacle au droit de l'administration de procéder à une réorganisation des services. L'organisation des musées nationaux et de l'école du Louvre étant fixée par des décrets, celle-ci a pu être régulièrement modifiée par les décrets... des 25 et 27 mai 1910 ».

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