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service ne rentreront pas dans la masse d'un patrimoine administratif général. Ces dettes, ces recettes seront séparées. Non seulement les recettes seront affectées aux dépenses du service, non seulement on s'arrangera pour que des revenus permanents, se reproduisant périodiquement en assez grande quantité, soient à la disposition des agents publics pour acquitter les dépenses du service; mais encore, on organisera, à titre permanent, un nouveau patrimoine administratif, distinct des patrimoines généraux (Etat, dépar tements, communes, colonies). Sur ce patrimoine spécial pèseront les dettes occasionnées par la gestion du service public; à ce patrimoine appartiendront en propre les revenus qui lui seront ainsi assignés. L'excédent des recettes, en principe, ira grossir le patrimoine administratif spécial; d'ordinaire, il ne figurera pas dans les recettes d'un patrimoine général. On dit alors qu'il y a établissement public; ou encore on dit que tel service public a été personnifié (1). La personnification d'un service public déterminé est donc un procédé juridique consistant dans l'affectation de recettes à l'ensemble des dépenses d'un service public, affectation générale et permanente, affectation accompagnée de séparation d'un patrimoine général (2).

:

Ce caractère général et permanent de l'affectation se manifeste nécessairement sous la forme de pouvoirs généraux accordés à certains agents publics soit le pouvoir de lever certains impôts ou certaines taxes sur les individus ; soit le pouvoir de recevoir des libéralités pour le fonctionnement du service, etc. Il est bien entendu que ces ressources ne font pas partie d'un patrimoine général; elles sont affectées spécialement et exclusivement aux dépenses nées à l'occasion du service public personnifié. En principe, l'excédent n'est pas versé à un des patrimoines généraux (Etat, départements, communes, colonies); il est mis en réserve pour les besoins ultérieurs de l'établissement public, du service public personnifié.

Les agents publics préposés à la gestion de ce patrimoine spécial ont naturellement compétence pour appliquer aux dépenses du service, les recettes ainsi assignées. Ils ont aussi les pouvoirs juridiques qui sont le corollaire nécessaire de ces pouvoirs financiers, à savoir la compétence pour ester en justice, pour prendre des mesures conservatoires, etc.; en un mot pour accomplir tous les

(1) JEZE, Le Budget, p. 321 et s.

(2) ROMIEU, Conclusions sous C. d'Etat, 22 mai 1903, Caisse des Eccles, Rec., p. 396 : « Ce qui caractérise l'établissement public, c'est d'être une personne morale créée pour la gestion d'un service public ».

actes juridiques nécessaires à la bonne gestion d'une masse de biens, d'un patrimoine. Voilà la caractéristique essentielle.

Dès lors, on reconnaît l'établissement public à un double caractère 1° il y a un service public; 2o il y a un patrimoine propre affecté aux dépenses de ce service. C'est le fait qu'il y a service public, et non le fait du patrimoine propre, qui explique pourquoi les agents de l'établissement public ont, pour assurer le fonctionnement régulier et continu du service, tout ou partie des pouvoirs organisés par la loi pour la bonne marche des services publics en général. Ex.: droit. d'occupation temporaire de terrains pour travaux publics, etc. (1).

En France, le status d'établissement public, au point de vue des pouvoirs juridiques relatifs à la gestion du patrimoine affecté, n'est pas absolument uniforme. Néanmoins il y a beaucoup de traits communs; le modèle est fourni par le status imaginé pour les patrimoines administratifs généraux des communes. C'est ce régime que la jurisprudence applique aux établissements publics (2).

Ainsi, le procédé de l'établissement public proprement dit n'est que l'une des trois modalités du procédé du service public; les deux autres modalités sont : 1° le procédé du service public pur et simple rattaché à un patrimoine général; 2o le procédé du service public bénė-ficiaire d'une affectation de recettes.

Pour savoir s'il y a établissement public proprement dit, il faut s'attacher à la volonté du législateur. C'est le Parlement seul qui, en France, a la compétence pour créer ainsi un patrimoine spécialement affecté à un service public (3). Le Parlement manifeste de

(1) Certains auteurs considèrent ces pouvoirs comme des droits de l'établissement public (MICHOUD, Personnalité morale, I, p. 211, no 85). C'est une conception qui me parait inacceptable et une complication bien. inutile. La notion de service public implique des compétences au profit des agents préposés au service public, que ce service soit ou non doté d'un patrimoine.

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(2) C. d'Etat 20 novembre 1908, Chambre de commerce de Rennes, Rec. p. 941: « Les Chambres de commerce, quelle que soit l'indépendance que la législation a entendu leur reconnaître pour la gestion des intérêts qu'elles représentent, sont, comme tous les établissements publics, soumises au contrôle supérieur du gouvernement, dont l'exercice n'est pas limité au droit conféré spécialement au ministre du commerce par l'art. 26 de la loi du 9 avril 1898, pour l'approbation des budgets et comptes ».

(3) Voyez infra, chapitre III. C'est l'opinion généralement admise. MICHOUD, Personnalité morale, I, p. 337 et s. : « Si un établissement ne peut invoquer, en faveur de sa personnalité, aucune loi générale ou spé

plusieurs façons sa volonté d'adopter le procédé de l'établissement public:

1o Il peut le déclarer expressément en disant que tel service public est un établissement public » ou est « investi de la personnalité civile » (1). Exemples: Loi du 22 mars 1890, art. 170: Les syndicats de communes sont des établissements publics investis de la personnalité civile ». Loi du 9 avril 1898, art. 1er § 2: « Les Chambres de commerce... sont des établissements publics». Loi du 18 février 1904, art. 1er§ 1 : « L'Office colonial, créé par décret du 14 mars 1899, est investi de la personnalité civile ». Loi du 27 février 1912, art. 67 § 4 : « L'Office national de la navigation est investi de la personnalité civile et de l'autonomie financière ».

Ces formules sont très fréquemment employées aujourd'hui (2). 2o Le Parlement peut manifester sa volonté d'employer le procédé de l'établissement public, non pas en affirmant qu'il y a établissement public ou personnalité civile, mais en organisant, pour un service public, un patrimoine spécial qui sera affecté au service. Ex.: La loi du 15 juillet 1893 organise dans toutes les communes le service public de l'assistance médicale gratuite des indigents; elle décide, art. 10, que « dans chaque commune, un bureau d'assistance assure le service de l'assistance médicale ». Pour bien marquer que c'est le procédé de l'établissement public qui est adopté, la loi s'occupe tout de suite du patrimoine spécial qui sera affecté aux dépenses du service. Art. 11 : « Le président du bureau d'assistance a le droit d'accepter, à titre conservatoire, les dons et legs... Le bureau d'assistance est représenté en justice et dans tous les actes de la vie civile par un de ses membres.

Dans ces deux premières séries d'hypothèses, il n'y a pas de difficulté quelles que soient les formules employées par le Parlement, le doute n'est pas possible sur sa volonté.

ciale, on devra, suivant les cas, le considérer comme un simple établissement privé (qui aura pu, du reste, être reconnu d'utilité publique par un décret), on comue une dépendance directe de l'administration générale, départementale ou communale ».

(4) Il semble que l'expression: « investi de la personnalité civile » ait été employée par le Parlement français, pour la première fois, en 1884; loi du 5 avril 1884, art. 111 § 2: donation ou legs fait « à un hameau ou quartier d'une commune qui n'est pas encore à l'état de section ayant la personnalité civile ».

(2) ROLLAND, La personnification des services publics (création d'offices dans les administrations centrales), dans Revue du Droit public 1912, p. 480 et s.

3o Parfois, la volonté du Parlement d'adopter le procédé de l'établissement public est très difficile à dégager parce qu'aucun texte ne règle explicitement la question (1). Dans ce cas, pour savoir s'il y a établissement public, il faut revenir à la notion essentielle de l'établissement public; en d'autres termes, rechercher si les deux conditions essentielles sont réunies, à savoir: a) la volonté des gouvernants qu'il y ait service public; b) la volonté du législateur qu'il y ait patrimoine spécialement affecté à la gestion de ce service (2).

Si la volonté du législateur est essentielle, elle n'a pas besoin de se manifester explicitement. C'est au juge à rechercher si cette volonté existe. Il n'est pas douteux que, en fait, le pouvoir d'appréciation des tribunaux est considérable, comme cela arrive toutes les fois qu'il appartient au juge de dire quelle a été, dans telle circonstance où elle ne s'est pas manifestée nettement, la volonté des gouvernants, du législateur (3).

(1) Cpr. MICHOUD, Personnalité morale, I, p. 341 et s. ; p. 346 et s. (2) Il ne faut pas confondre « patrimoine » et « autonomie financière » ou « individualité financière », bien que les deux choses aillent très ordinairement ensemble. Par exemple, le service des enfants ussistés a une certaine individualité financière d'après la loi de 1894; il n'a pas de patrimoine affecté en propre. De même, le service des poudres et salpêtres, d'après la loi du 13 juillet 1911, art. 32 et s., a une certaine individualité financière: il n'a pas de patrimoine affecté en propre. Inversement, Fart. 46 de la loi du 26 décembre 1908 avait donné un patrimoine propre à l'Office de législation étrangère sans lui reconnaître l'individualité financière. Les dépenses de l'Office devaient être inscrites au budget de l'Etat ainsi que ses recettes. La loi du 27 février 1912 art. 36 a fait cesser cette situation en conférant à l'Office l'autonomie financière. (3) Certains auteurs n'hésitent pas à dire que, pour déterminer si le législateur a voulu adopter le procédé de l'établissement public proprement dit, il ne faut pas s'attacher exclusivement aux formules employées par lui, car la terminologie officielle est souvent incorrecte. C'est ainsi que le professeur MICHOUD enseigne (Personnalité morale, op. cit, I, p. 346 note 1) que « dans certains textes anciens, on trouve le mot d'établissement d'utilité publique appliqué à de véritables établissements publics: ainsi dans l'art 19 du décret du 3 septembre 1851, lequel réglait, avant la loi de 1898, l'organisation des Chambres de commerce; ainsi encore, dans l'art. 10 du décret du 25 mars 1852, sur les Chambres consultatives d'agriculture, et dans l'art. 4 de la loi du 24 juin 1851 sur les monts de piété. Cela tient, déclare le professeur MICHOUD, à ce que la distinction entre les deux catégories n'était pas encore précisée à l'époque de ces lois ». Il y a des réserves à faire sur cette proposition. En principe, lorsque le législateur a employé une for mule précise, il paraît difficile à l'interprète d'y substituer une autre for

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Jéze

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On a prétendu que certaines branches de l'administration ne doivent point être regardées comme des établissements publics « parce qu'elles y répugnent par leur nature même ». « Ce sont, a-t-on dit, toutes celles qui représentent des services d'intérêt général ne correspondant à aucun groupement distinct du groupement national ou territorial... Si le législateur confère à ces services la personnalité, ce ne peut être qu'une pure fiction; et cette fiction ne doit jamais se présumer. alors même que le service aurait une administration autonome et une individualité financière incontestables. Les armées de terre et de mer, les cours et tribunaux, le Sénat et la Chambre des députés, le Conseil d'Etat, les départements ministériels nous offrent des exemples de services de cette nature... Il en est de même de la Caisse des dépôts et consignations, dont le service est d'un intérêt si général qu'il serait impossible de trouver à sa personnalité un substratum distinct » (1).

Cette thèse des services qui, par leur nature même, répugnent à être des établissements publics me paraît inadmissible. Elle est en contradiction certaine avec la notion même d'établissement public : il s'agit purement et simplement d'un procédé juridique. Ce procédé peut être ou ne pas être employé par le législateur suivant qu'il estime ou non que, par ce procédé, le service public sera bien géré. Le législateur peut se tromper; mais il ne faut pas dire qu'il existe des services publics qui, par leur nature même, répugnent à ce procédé. Cela dépend des époques, du milieu, des conditions économiques sociales politiques.

La jurisprudence administrative est en opposition complète avec la thèse que je repousse. En particulier, le Conseil d'Etat avait décidé, par arrêt du 20 janvier 1905, Paternoster (2), que l'administration

mule qui lui semble convenir mieux à la nature (?) des choses. N'oublions pas qu'il s'agit de déterminer quel procédé juridique le législateur a entendu adopter pour donner satisfaction à un besoin d'intérêt général. Lorsqu'il a dit « établissement d'utilité publique », il faut, en principe et sauf erreur manifeste commise par le Parlement, en conclure que le légis lateur a voulu exclure le procédé du service public, sous une modalité quelconque.

(1) MICHOUD, Personnalité morale, I, p.

360.

(2) R. D. P. 1906, p. 67 et s. et ma note. Le Conseil d'Etat déclare dans l'arrêt du 20 janvier 1905 : « L'administration des chemins de fer de l'Etat est investie d'une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat ». Rapprochez Conseil d'Etat 10 décembre 4897, Vergnioux, Rec. p. 778 : « L'administration des chemins de fer de l'Etat... a une personnalité

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