Page images
PDF
EPUB

L'arrêt de la Cour de cassation du 17 février 1909 et l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 juin 1912 sont donc en opposition absolue. Il y a là un conflit négatif dont il appartiendra au Tribunal des conflits de donner la solution, s'il en est saisi par l'intéressée (1).

Section II

Des subventions, dotations, affectations à titre gratuit accordées aux établissements privés, reconnus ou non d'utilité publique.

L'idée que ces établissements privés poursuivent un but d'intérêt général peut exercer une certaine influence sur leur situation et sur leur régime juridique.

1° L'administration encourage souvent les œuvres et établisse

[ocr errors]

nous estimons a priori que les conditions de son fonctionnement ne sauraient, en aucun cas, prévaloir ... Dans des cas comme celui-ci, et dans la majorité des cas litigieux, il faut se placer au point de vue... de l'origine, au point de vue du caractère de la fondation. On naît établissement public, on ne le devient pas. En thèse générale, et sauf création d'une classe d'établissements par la loi, les établissements publics ne se forment que par dissociation, par démembrement de la puissance publique. Ce sont des organes qui se sont détachés du corps central grâce à l'autonomie croissante conférée aux agents qui les gèrent. Ce sont des rouages, autrefois liés indissolublement au pouvoir central Jaïque ou ecclésiastique et auxquels la société moderne laisse plus de jeu. Mais ils proviennent toujours d'une décentralisation, d'un mouvement du centre vers la circonférence. Et le mouvement contraire est impossible. Sauf volonté expresse de la loi, on ne devient pas établissement public par mouvement vers le centre, par accession ou incorporation au corps social. Dans des cas d'établissements assez voisins, par leur volume et leur role, de l'établissement litigieux, cette condition essentielle se retrouve. Le Conseil d'Etat a expressément classé comme établissements nationaux un asile Defresne (23 octobre 1907) et un asile Konigswarter (1er juillet 1908). Mais dans l'un et l'autre cas, l'Etat légataire avait commencé par recueillir l'émolument, et c'est lui, Etat, qui fondait, avec des deniers devenus publics par leur passage dans les caisses du Trésor, l'établissement charitable. Ici ce caractère public de la fondation, indispensable à notre avis, fait totalement défaut, et c'est ce qui nous détermine. >>

(1) On remarquera, en passant, que le procès a commencé en 1907 et que, une fois rendue en 1913, la décision du tribunal des conflits, seule la question de savoir quel est le tribunal compétent pour connaître du procès sera réglée. Il aura donc fallu six ans de procédure, rien que pour arriver à connaître le juge. Cette simple constatation vaut de longs commentaires sur les lacunes de l'organisation du service de justice.

ments privés par des subventions, des dotations, des affectations d'immeubles à titre gratuit.

2o Le législateur facilite le fonctionnement des établissements d'utilité publique en conférant aux individus préposés à leur gestion certains pouvoirs juridiques, une capacité spéciale.

3o Le législateur favorise leur développement en autorisant les particuliers à affecter spécialement des choses, des richesses à la poursuite du but d'intérêt public que se propose ou s'est proposé l'individu ou l'association d'individus, fondateurs de l'établissement. 4° Le législateur soumet les individus préposés à la gestion des établissements d'utilité publique à un contrôle.

Il suffira de présenter ici une théorie d'ensemble sur les subventions, dotations, affectations à titre gratuit à des œuvres ou établissements privés. Les autres théories ont leur place naturelle dans l'étude détaillée de chacun des établissements d'utilité publique. On les trouvera dans les ouvrages spéciaux consacrés à ces établisse

ments.

$1

La subvention aux œuvres et établissements privés.

On entend par subvention une somme d'argent versée soit une fois pour toutes, soit périodiquement. Elle a pour but de faciliter le fonctionnement de l'œuvre ou établissement privé qui poursuit un but d'intérêt général. Cette subvention ne transforme pas l'œuvre ou établissement subventionné en service public: il reste privé.

1. Le procédé de la subvention peut être très avantageux pour l'administration à coup sûr, la subvention coûte moins cher que la transformation en service public proprement dit. Tout d'abord, une partie de la dépense restera à la charge de l'oeuvre ou établissement l'administration n'en assumera qu'une partie.

D'autre part, l'administration peut faire varier le montant de la subvention avec l'efficacité de l'œuvre ou établissement.

Enfin, l'administration reste libre de supprimer la subvention si, après coup, elle s'aperçoit que l'oeuvre ou établissement privé ne rend pas au public les services que l'on attendait de lui. La subvention est donc, en principe, précaire et révocable.

Il faut insister sur cette idée que, pour encourager toute œuvre d'intérêt général, le procédé de la subvention est, en principe, licite.

Ceci est important pour les administrations locales. Souvent, en effet, les ressources de ces administrations locales sont trop modestes pour organiser en service public proprement dit la satisfaction d'un besoin d'intérêt général. La subvention à une œuvre privée permettra d'arriver à un résultat voisin (1).

2. Le caractère précaire de la subvention est normale: il n'est pas essentiel. L'administration peut s'engager à verser des subventions périodiques pendant un certain temps.

En principe, si l'administration n'a rien dit, il faut comprendre que la subvention n'est accordée que pour une fois. Pour qu'il en soit autrement, il faut que l'administration ait promis formellement une subvention pour plusieurs années. C'est un engagement licite. Seulement, pour le prendre valablement, il arrivera souvent que les agents administratifs compétents ne seront pas les mêmes que ceux qui peuvent allouer une subvention une fois payée (2).

Bien entendu, si la subvention peut être promise valablement pour un certain temps, une subvention perpétuelle n'est pas licite. D'une part, les agents publics ne peuvent pas faire peser sur les générations futures des charges à perpétuité (3). D'autre part, les subventions pour services d'intérêt général supposent, pour leur maintien,

(1) Conseil d'Etat, 24 décembre 1909, Commune de la Bassée, Rec., p. 1024 : « Si le décret du 10 novembre 1903 a réglé les conditions en dehors desquelles les services publics contre les incendies ne peuvent être légalement organisés par les communes, il résulte de l'instruction que le conseil municipal de La Bassée n'a pas entendu organiser un service public, mais qu'il a simplement voté un crédit affecté à l'achat et à l'entretien d'un matériel d'incendie et une subvention destinée à une société, purement privée, de sauveteurs. Ainsi, il n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient des dispositions législatives ci-dessus rappelées... (loi du 5 avril 1884, art. 61, et 97 § 6) ». Cpr. infra, p. 272 et s. les restrictions au principe.

(2) La subvention une fois payée est accordée par l'autorité budgétaire. Par exemple, une subvention accordée par un conseil municipal est inscrite au budget et approuvée, en tant que crédit budgétaire, par le préfet ou par le Président de la République suivant les cas. Au contraire, la jurisprudence et la pratique assimilent à un emprunt l'engagement de payer une subvention pendant plusieurs années. Ainsi, il faudra appliquer aux engagements de ce genre pris par un conseil municipal les règles de l'article 142 de la loi du 5 avril 1884. - Il faut observer qu'une fois l'engagement pris, il y a obligation juridique, pour les agents qui dressent le budget, d'inscrire le crédit suffisant pour remplir l'engagement régulièrement assumé.

(3) JĖZE, Traité de Science des finances, I, le Budget, p. 530 el s.

que les œuvres subventionnées continueront à être considérées comme d'intérêt général. Ceci est incompatible avec l'idée de perpétuité (1).

3. La subvention n'est pas possible, si la loi l'a interdite. Voici, d'abord, deux cas d'interdiction très importants. D'une part, il est interdit aux agents administratifs communaux de subventionner les écoles privées. D'autre part, il est interdit d'allouer des subventions aux établissements privés cultuels.

a) L'interdiction d'accorder des subventions pour le culte est inscrite expressément dans la loi du 9 décembre 1905, art. 2: « Toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes sont supprimées des budgels de l'Etat, des départements et des communes ». Cette règle est générale la loi y apporte des exceptions qui doivent, d'après la jurisprudence, être interprétées restrictivement (2).

:

b) L'interdiction d'accorder une subvention à certains établissements d'intérêt général peut être implicite. C'est ce qui a lieu pour les subventions aux écoles privées. La jurisprudence a décidé que la loi du 30 octobre 1886 (art. 2) n'ayant reconnu que deux sortes d'écoles, - les écoles publiques entretenues par l'administration, et les écoles pricées entretenues par les particuliers ou associations, la subvention se trouvait par là mème interdite, puisque cela aboutirait à créer une troisième sorte d'écoles les écoles privées subventionnées par l'administration (3).

(1) Une question analogue se pose pour les affectations perpétuelles. Nous verrons qu'elles sont illicites; infra, p. 276.

(2) Conseil d'Etat, 24 décembre 1909, commune de Sarzeau, Rec., p. 1029 : « D'après l'art. 2 de la loi du 9 décembre 1905, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes sont supprimées... Si le législateur a cru devoir déroger à cette règle générale en permettant d'inscrire auxdits budgets (de l'Etat, des départements et des communes) les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges et écoles, il n'a entendu viser, par cette dernière disposition (écoles), que les établissements où le personnel interne n'a pas la faculté de prendre part au dehors aux exercices religieux. Par suite, les écoles primaires élémentaires ne sont pas au nombre des établissements scolaires auxquels s'applique la dérogation. Ainsi, le conseil municipal de S. n'a pu, sans violer les dispositions de l'art. 2 de la loi du 9 décembre 1905, voter, par sa délibération..., un crédit de 480 francs afin d'organiser un service d'aumônerie dans l'école primaire élémentaire de cette commune... ».

(3) Avis du Conseil d'Etat du 19 juillet 1888, du 13 novembre 1888. Arrêts du Conseil d'Etat du 20 février 1891, Ville de Vitré, Rec., p. 137

c) Un troisième cas beaucoup plus difficile est celui de la subvention à des œuvres ou établissements privés, de nature commerciale ou industrielle, en tout cas poursuivant un but lucratif. Exemples: subvention accordée par un conseil municipal à une société coopérative de boulangerie; subvention annuelle à une sage-femme, à un médecin, etc. La subvention est-elle licite? Toute la question, d'après la jurisprudence du Conseil d'Etat, revient à rechercher si la subvention est vraiment faite pour la satisfaction d'un besoin d'intérêt général. Suivant que les circonstances de fait font apparaître ou non l'intérêt général, la subvention est licite ou illicite.

En effet, c'est un principe fondamental du droit public français moderne que les deniers publics ne peuvent être employés par les agents publics que pour la satisfaction d'intérêts généraux (1). Toute

(avec les conclusions du commissaire du Gouvernement VALabrègue) : <«< Des dispositions de la loi du 30 octobre 1886, rapprochées des lois des 16 juin 1881 et 28 mars 1882, il résulte que le législateur a entendu n'admettre que deux sortes d'établissements d'enseignement primaire : les écoles publiques, fondées et entretenues par l'Etat, les départements ou les communes, et les écoles privées, fondées et entretenues par des particuliers ou des associations. Au cours de la discussion de ladite loi, les amendements présentés, tant au Sénat qu'à la Chambre des députés, à l'effet de permettre aux communes de fonder, d'entretenir ou même de subventionner les écoles privées, ont été rejetés. Ainsi, le législateur s'est refusé à reconnaître l'existence d'écoles formées avec le concours des communes et celui des particuliers ou des associations. Il suit de là qu'en subventionnant à divers titres les écoles congréganistes de Vitré, le conseil municipal a contrevenu aux dispositions de la loi du 30 octobre 1886... ». --Conseil d'Etat, 22 mai 1903, Caisse des Ecoles, Rec., p. 390 (avec les conclusions du commissaire du Gouvernement ROMIEU): « Les Caisses des écoles ont été instituées comme établissements publics.... Si, antérieurement à la loi du 30 octobre 1886, elles pouvaient employer leurs ressources en faveur de toutes les écoles primaires de la commune indistinctement, il ne doit plus en être ainsi depuis la promulgation de cette loi. En effet, celle-ci, en rendant obligatoire pour les communes la création d'écoles publiques et en abrogeant les deux premiers titres de la loi du 15 mars 1850 et celle du 10 avril 1867, a par cela mème exclu, du service public de l'enseignement primaire, les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations...». Cpr. supra, p. 264 et s. (1) JÈze, Cours élém. de Sc. des fin., Se édition 1912, p. 428 et s. Const. de 1791: Déclaration, art. 13 : «Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable »; Const., titre V, art. 2 in fine : « Le corps législatif ne pourra, en aucun cas, charger la nation du paiement des dettes d'un individu ». C. de 1848, art. 15: « Tout impôt est établi pour l'utilité

commune ».

Jéze

18

« PreviousContinue »