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subvention faite à une œuvre privée qui ne poursuit pas un but d'intérêt général viole ce principe.

Voici deux applications faites par le Conseil d'Etat et qui mettent en plein relief la signification précise de la règle.

1er Exemple. Subvention à une coopérative de boulangerie. C. d'E., 1er février 1901, Descroix, Rec., p. 105 (1).

Le conseil municipal de Poitiers, dans son budget additionnel, inscrit un crédit de 10.000 francs destiné à former un fond de réserve pour subventionner les sociétés coopératives de boulangerie qui pourraient se créer. Puis, le conseil attribue deux subventions, l'une de 500 francs, l'autre de 9.500 francs à la société coopérative de boulangerie l'Union des Travailleurs. Un boulanger de Poitiers a demandé l'annulation de ces délibérations, comme prises en violation du principe qu'un conseil municipal ne peut intervenir pour provoquer et favoriser la concurrence à des industries existantes. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt, distingue deux cas : 1° « Dans des circonstances exceptionnelles, l'intervention du conseil municipal peut être rendue nécessaire pour assurer l'alimentation publique ». Dans ces hypothèses (grèves d'ouvriers, coalition de patrons etc., mettant en péril l'approvisionnement de la commune) la subvention serait allouée dans un but d'intérêt général : elle serait licite 2o Si aucune circonstance de cette nature n'existe dans la commune, le conseil municipal sort de ses attributions légales, en allouant une subvention. La délibération doit être déclarée nulle de droit.

2e Exemple. Subvention à une sage-femme, à un médecin (C. d'E., 1er juin 1900, dame Moreau, Rec., p. 383; C. d'E., 9 juillet 1909, Bourenu, Rec., p. 673).

a) Le conseil municipal d'une commune d'Algérie a voté une subvention annuelle de 600 francs pour la sage-femme qui viendrait s'installer dans la commune. Cette subvention est-elle licite ? Le Conseil d'Etat a été appelé à connaître de cette subvention, mais il n'a pas eu à statuer sur son caractère licite. Il semble bien qu'il l'aurait déclarée licite, étant donné les circonstances de la cause. En effet, la commune d'Algérie en cause était une commune éloignée d'un centre urbain. Il était donc d'intérêt général de décider une sage-femme à venir s'installer dans la commune. Au surplus, c'est ce qui ressort bien de la deuxième espèce sur laquelle, le Conseil d'Etat a statué.

(1) Voyez une note du professeur HAURIOU, dans Sirey, 1901-3-41.

b) Le conseil municipal de la commune de Septèmes, située à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence et de Marseille, avait inscrit dans son budget un crédit de 1100 francs, afin d'avoir la certitude qu'un médecin résiderait dans la localité, et aussi afin que ce praticien n'augmentât pas le prix de ses visites, qui était alors de 1 fr. 50. Le Conseil d'Etat a estimé que les circonstances de fait ne renda'ent pas la subvention licite. « Si les conseils municipaux peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, intervenir pour assurer des soins médicaux aux habitants qui en sont privés et si la subvention dont s'agit a pu être justifiée à l'époque où la commune de Septèmes se trouvait isolée des communes avoisinantes, il résulte de l'instruction que cette circonstance n'existe plus aujourd'hui ; en effet, des moyens de communication rapides et peu coûteux relient à la ville de Marseille la commune de Septèmes. Il suit de là qu'en prenant les délibérations attaquées, le conseil municipal a mis à la charge de la commune une dépense qui, légalement, ne doit pas lui incomber. Ainsi, c'est à tort que le préfet... n'a pas déclaré la nullité des délibérations dont s'agit ».

Ces exemples suffisent à montrer le sens dans lequel est orientée la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de subventions à des Puvres ou établissements privés. Cette jurisprudence peut être critiquée sur les solutions d'espèce; dans l'ensemble, elle est satisfai sante, en tant qu'elle sanctionne le principe fondamental qu'il n'y a de subvention licite à des œuvres ou établissements privés qu'autant qu'ils présentent un intérêt général et dans cette mesure seulement (1).

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Les affectations d'immeubles à titre gratuit sont un autre moyen fréquemment employé par l'administration pour encourager les œuvres et établissements privés qui poursuivent un but d'intérêt général (2).

(1) Un problème voisin, mais qui doit être très nettement distingué, sera étudié plus loin celui de la création déguisée d'un service public au moyen d'une subvention.

(2) Le caractère licite de ces affectations est reconnu par la loi du

1. L'affectation n'est valable qu'autant qu'elle émane de l'autorité compétente pour y procéder. Ainsi, les affectations d'immeubles communaux peuvent aujourd'hui être faites par le conseil municipal sans l'approbation de l'autorité supérieure (1).

2. D'autre part, l'affectation peut être prohibée par la loi. Cela a lieu toutes les fois que la subvention proprement dite est interdite (2). C'est ainsi que, depuis la loi du 9 décembre 1905, les conseils municipaux ne peuvent pas accorder à un ministre du culte lat jouissance gratuite du presbytère appartenant à la commune (3).

5 avril 1884 art. 167: « Les conseils municipaux pourront prononcer la désaffectation totale ou partielle d'immeubles consacrés .. à des établissements quelconques. . civils. Ces désaffectations seront prononcées dans la même forme que les affectations ». Et l'article 68 de la même loi dispose «Ne sont exécutoires qu'après avoir été approuvées par l'autorité supérieure les délibérations portant sur les objets suivants : ... 5o le changement d'affectation d'une propriété communale déjà affectée à un service public... ». La loi du 18 juillet 1837, article 19. disait : « Les conseils municipaux règlent par leurs délibérations... 3° l'affectation des propriétés communales aux différents services publics ». De même, la loi du 24 juillet 1867, art. 1er déclarait : « Les conseils municipaux règlent par leurs délibérations .. 8° l'affectation d'une propriété communale à un service communal, lorsque cette propriété n'est encore affectée à aucun service public, sauf les règles prescrites par des lois particulières ». On remarquera que la plupart de tous ces textes visent l'affectation à un service public. On admet qu'il faut entendre par là non seulement un service public proprement dit, mais un établissement privé s'occupant d'un intérêt général. Par contre, il est absolument certain que l'affectation d'un immeuble à un établissement privé qui ne poursuivrait pas un but d'intérêt général serait nulle.

(1) La loi du 24 juillet 1867 accordait ce pouvoir d'affectation au conseil municipal. La loi du 5 avril 1884 n'a soumis à l'approbation de l'autorité supérieure que les changements d'affectation (Voir la note précédente). Dès lors, le conseil municipal conserve son pouvoir d'affectation. (2) V. supra, p. 272.

(3) Conseil d'Etat, 15 janvier 1909, Commune de Gaudonville, Rec., p. 34: « L'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 dispose que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte; en conséquence, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Si l'article fer de la loi du 2 janvier 1907 porte que les communes recouvreront à titre définitif la libre disposition des presbytères leur appartenant et dont la jouissance n'a pas été réclamée par une association constituée dans l'année qui a suivi la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, il soumet à l'approbation préfectorale la location de ces presbytères. La concession au ministre du culte, par délibération du conseil municipal..., de la jouissance gratuite du presbytère appartenant à la commune de G. constituait

3. L'affectation ne peut être que temporaire. Une affectation perpétuelle n'est pas possible. D'abord, elle serait contraire au régime de la propriété, tel qu'il est réglé par le droit moderne (1). En outre, l'idée que l'affectation est une subvention en nature à un établissement en vue d'un service d'intérêt général conduit à la mème solution que celle admise pour le cas de subvention en argent (2). Ainsi donc, l'affectation ne peut être que temporaire.

Ceci posé, si les agents publics qui ont fait l'affectation n'ont rien dit, l'affectation est évidemment révocable; elle peut cesser par la rolonté unilatérale des agents publics compétents, dès que ceux-ci estiment que l'établissement affectataire ne rend plus au public les services que l'on attendait de lui (3). Il faut, d'ailleurs, réserver la question de savoir si l'établissement affectataire ne pourra pas, au cas de désaffectation intempestive, réclamer des dommages-intérêts (4).

une subvention pour l'exercice du culte, prohibée par les dispositions précitées des lois du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907. Par suite, c'est avec raison que le préfet a, par application des articles 63 et 65 de la loi du 5 avril 1884, déclaré nulle de droit cette délibération ». Conseil d'Etat, 15 janvier 1909, Commune de Brugnens, Rec., p. 35; 12 mars 1909, Commune de Charmanvillers, Rec., p. 275, etc.

(1) PLANIOL, note dans Dalloz, 1907-1-249 sous Cassation, 5 décembre 1906 : « Il y aurait un intérêt supérieur à faire reconnaître que les villes ne peuvent pas se lier, à perpétuité, par des contrats de droit civil indissolubles.. » Il n'y a pas, depuis la Révolution, « liberté de créer des droits perpétuels, parce que la prohibition des droits de ce genre se trouve en dehors et au dessus de la législation des contrats; elle résulte de l'organisation du régime de la propriété foncière, telle que l'organisation est issue de la Révolution, et des lois qui ont assuré l'affranchissement des terres, et, par ailleurs, l'affranchissement de leurs propriétaires. Aucun contrat nouveau n'y peut porter atteinte. »><

(2) Voir supra, p. 271.

(3) C'est ce que déclarait le sénateur Lenoël, rapporteur de la commission, à la séance du 14 mars 1884, au cours de la discussion sur le texte qui est devenu l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 sur les conseils municipaux Le conseil municipal pourra prononcer la désaffectation « s'il n'y a pas eu de convention proprement dite, s'il n'y a eu qu'une sorte d'abandon purement bénévole et gratuit de la part de la commune, qu'une mise en jouissance de fait sans délai stipulé, sans charges corrélatives.. » Cpr. aussi le rapport de M. le sénateur Demòle, 26 janvier 1884 En vertu de quel principe la commune serait-elle dans l'obligation de laisser ses immeubles soumis à perpétuité à telle ou telle destination? »

(4) Sénat, séance du 14 mars 1884, discours de M. Lenoël, rapporteur de la commission : « Si, d'une façon inopportune, d'une façon méchante, yous venez me reprendre ce que, raisonnablement, j'avais cru m'être con

Mais les agents administratifs peuvent avoir déclaré que l'affectation était faite pour un temps déterminé, au profit de l'établissement privé. Cette affectation est-elle licite, en supposant qu'elle ait été faite par les agents compétents pour procéder à une aliénation et dans les formes prescrites pour une aliénation?

La question de savoir si l'affectation peut être faite pour une durée limitée, déterminée, doit être rapprochée de celle de l'affectation pour une durée illimitée. Par exemple, un établissement privé s'engage à rendre certains services d'intérêt général. L'administration peutelle valablement promettre à cet établissement que l'affectation durera tant que l'établissement rendra le service d'intérêt public?

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Et si, après coup, une loi vient interdire toute subvention argent ou en nature à des établissements privés pour tel service d'intérêt public, faut-il dire que les affectations antérieurement faites devront être maintenues nonobstant la loi prohibitive, supposant naturellement que l'affectation primitive ait été régulière (1)?

en

cédé pour un temps plus ou moins long, il peut y avoir là une question de dommages et intérêts. Les tribunaux l'apprécieront .. Il est incontestable que les tribunaux n'admettront pas qu'un changement de volonté purement arbitraire, purement capricieux, puisse porter atteinte à des droits qui ont existé, qui, à un moment donné, ont été parfaitement reconnus par tous et ont engagé celui qui les avait obtenus à faire des sacrifices pour jouir de l'objet mis à sa disposition».

(1) La question s'est posée - dans toute sa complexité à diverses reprises en France. Un des cas les plus célèbres et les plus remarquables est l'affaire d' l'affectation d'un immeuble par la Ville de Paris à l'Institut des frères des Ecoles chrétiennes. En 1819 et en 1847, la Ville de Paris leur a affecté un immeuble « pour y former leur établissement principal et leur noviciat et pour en jouir pendant tout le temps que cette congrégation subsistera dans ledit local, sans en payer aucun loyer, la propriété étant réservée à la Ville de Paris, qui ne pourra rentrer en possession de ladite maison que dans le cas ou l'établissement des Frères des Ecoles chrétiennes cesserait d'occuper lesdits lieux pour quelque cause que ce soit ». En 1881 et 1883, le conseil municipal de Paris a voté la désaffeetation de l'immeuble affecté aux Frères. L'Institut des Frères a soutenu que cela n'était pas possible, attendu qu'il était intervenu entre la Ville et l'Institut des Frères un contrat en vue de l'instruction primaire, contrat do ut facias. Les conventions régulièrement formées obligent les parties qui les ont conclues. La Ville de Paris est donc liée.

Cette affaire a été portée pendant plus de vingt ans devant toutes les juridictions de France: Tribunal civil de la Seine, 7 janvier 1885; Conseil d'Etat, 17 juin 1887, Ville de Paris, Rec., p. 473 avec les conclusions du commissaire du gouvernement Levavasseur de Précourt;

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