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à l'équité, d'ordonner, sauf indemnité s'il y a lieu, toutes les mesures extra-contractuelles que l'utilité publique lui paraîtrait comporter ».

2o Lois du 21 juillet 1909 et du 28 décembre 1911, relatives aux pensions de retraite de certains agents des compagnies de chemins de fer d'intérêt général (1). Ces lois décident que certains agents ont droit à une pension dont le tarif est fixé par la loi. En conséquence, les lois de 1909 et de 1911 prescrivent aux grandes compagnies concessionnaires de chemins de fer de modifier leurs règlements de retraite de façon à assurer à tous leurs agents les droits et avantages prévus par la loi. Les lois décident aussi que les fonds pour le service des pensions proviendront: 1o de retenues sur les salaires et traitements des agents, et 2o de versements des compagnies. De ce chef, une charge nouvelle, non prévue dans l'acte de concession, est imposée aux concessionnaires. Ceux-ci pouvaient-ils la repousser en invoquant l'acte de concession? Le Parlement, malgré les protestations des concessionnaires et des défenseurs des concessionnaires de chemins de fer (2), n'a pas cru l'objection décisive. Ce qui est curieux, c'est que le Gouvernement n'ait pas, dans cette circonstance, développé l'argumentation décisive présentée en 1908 pour les raccordements des voies de fer avec les voies d'eau.

Au contraire, le précédent de la loi de 1908 a été invoqué en 1910, lorsque le Gouvernement a présenté le projet de loi relatif au règlement pacifique des différents collectifs intéressant les employés et ouvriers des chemins de fer. C'est le troisième exemple que je veux citer.

3o Afin de prévenir les grèves dans les chemins de fer, le projet de loi du 22 décembre 1910 organise un statut du personnel des chemins de fer et une procédure de conciliation et d'arbitrage. Les compagnies concessionnaires pourraient-elles s'y opposer en invoquant le contrat de concession? Non, répond le Gouvernement dans l'exposé des motifs : « Les compagnies concessionnaires... ne sau

(1) Sur ce point, voyez l'étude du professeur ROLLAND, Les retraites des cheminots et le droit du législateur d imposer de nouvelles obligations à un concessionnaire de travaux publics dans la Revue du droit public, 1909, p. 520 et s. Cpr supra, p. 125.

(1) Voyez la lettre des cinq grandes compagnies concessionnaires, du 5 mars 1909, au président de la commission sénatoriale chargée de l'examen du projet de loi (annexée au rapport de M. le sénateur Strauss, 25 mai 1908, no 119). Cpr. supra, p. 125, note 2.

Jèze.

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raient légitimement s'opposer à ce que la puissance publique édicte, au sujet du statut du personnel et du règlement amiable des conflits intéressant ce personnel, des dispositions nouvelles, non prévues lors de la signature des contrats et conventions. Toute concession est, à la fois, une entreprise privée et un mode de gestion d'un service public. C'est un principe aujourd'hui admis par la doctrine et la jurisprudence que la puissance publique, en concédant pour une longue durée un monopole d'intérêt général, n'a pas aliéné son droit d'intervenir pour imposer aux concessionnaires les améliorations qu'exige le bon fonctionnement du service public ou le maintien de l'ordre public... La seule question qui se pose est celle de savoir comment... doit être réglée l'indemnité due en réparation de ce préjudice ».

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Application du régime du service public au service d'éclairage concédé par une municipalité.

Les agents municipaux ont reçu de la loi municipale le pouvoir d'organiser dans la commune un service public d'éclairage service de l'éclairage public et de la distribution de lumière aux habitants. Peuvent-ils s'engager à maintenir, pendant une période déterminée, une certaine organisation du service public d'éclairage?

Pratiquement, l'organisation et le fonctionnement du service public d'éclairage sont fixés, au cas où les autorités municipales adoptent le procédé de la concession du service public, dans l'acte de concession. La question revient donc à rechercher si l'acte de concession, en tant qu'il détermine les conditions du fonctionnement du service public, ne peut pas être modifié avant l'expiration de la période de

concession.

Le problème s'est posé devant les tribunaux dans les circonstances de fait suivantes.

Dans certaines communes, le service public de l'éclairage (public et privé) avait été concédé par la municipalité à une compagnie du gaz. Le concessionnaire s'engageait à faire des dépenses considérables (travaux de canalisations, construction d'usines, etc.). Aussi l'acte de concession, afin de donner au concessionnaire la garantie que les résultats financiers de l'exploitation seraient favorables,

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portait que le concessionnaire aurait, pendant tant d'années, - par exemple, trente années, « le privilège exclusif de placer, dans les rues et terrains dépendant de la voirie urbaine, des tuyaux destinés à l'éclairage» et qu'il serait, « pendant le même délai, chargé exclusivement de l'entreprise de l'éclairage public de la ville ». En d'autres termes, le concessionnaire recevait le privilège exclusif de fournir l'éclairage public et de distribuer la lumière aux particuliers.

L'acte de concession ainsi rédigé devait-il être considéré comme empèchant les autorités communales de modifier l'organisation du service public d'éclairage public et de distribution de lumière aux particuliers?

La difficulté s'est présentée dans les dernières années du xixe siècle, au moment où l'éclairage électrique est devenu chose pratique. Dans certaines communes où existait une concession à une Compagnie du gaz du service public d'éclairage, les autorités municipales ont voulu faire profiter les habitants de la découverte de ce nouveau mode d'éclairage et leur assurer les avantages de la lumière électrique. En conséquence, les autorités municipales ont traité avec une société électrique, et accordé à cette société, pour une certaine période de temps, le privilège exclusif d'établir, dans les voies publiques municipales, des fils, câbles et autres appareils destinés à la distribution de la lumière électrique.

Les autorités municipales ont, en même temps, fixé les conditions dans lesquelles s'effectueraient, par l'électricité, l'éclairage public de la commune et la distribution de lumière aux habitants (tarifs, canalisations, compteurs, etc., etc.).

Si l'on va au fond des choses, les autorités municipales, en agissant ainsi, ont organisé, à côté du premier service public d'éclairage concédé à la Compagnie du gaz, un deuxième service public d'éclairage concédé à la société électrique.

Cela était-il possible? Le premier acte de concession ne s'y opposait-il pas ?

Une solution satisfaisante de la question n'est possible, on va le voir, qu'autant qu'on fait intervenir l'idée du procédé du service public. Si l'on méconnaît ce point de vue, si l'on veut résoudre le problème en appliquant le procédé du droit price, voici la solution à laquelle on aboutit La convention fait la loi des parties. La Compagnie du gaz a obtenu contractuellement un privilège exclusif de distribution de lumière dans certaines conditions prévues à l'acte de concession. Pendant toute la durée de la concession, la Compagnie

du gaz peut exiger que rien ne soit changé aux conditions d'exploitation ainsi prévues. On n'avait prévu que l'éclairage au gaz C'est l'éclairage au gaz seul qui existera pendant toute la durée de la concession. La Compagnie peut exiger que l'on s'en tienne à ce mode d'éclairage. Si les habitants de la localité veulent de la lumière électrique, que chacun la fabrique à domicile pour son usage particulier. Avant l'expiration de la concession, - peut-être très longue, un service de distribution de lumière électrique ne pourra pas fonctionner sans le consentement de la Compagnie du gaz

Manifestement cette solution manque de souplesse et d'élégance. Elle met l'intérêt général des habitants sur le même pied que l'intérét privé du concessionnaire. Elle sacrifie le premier au second. C'est inadmissible (1).

Tout autre est la solution à laquelle conduit le procédé du service public. Cette solution plus souple donne à la fois satisfaction aux exigences de l'intérêt général et respecte les intérêts privés légitimes du concessionnaire.

En partant de l'idée de service public, on est amené à distinguer plusieurs choses: 1° l'organisation, dans la commune, du service

(1) Cette solution critiquable est pourtant celle qui a d'abord été adoptée par le Conseil d'Etat. Pas plus en matière de distribution de lumière qu'en matière de transports en commun, le Conseil d'Etat n'a vu tout de suite qu'il y avait service public et que le procédé du droit privé était inapplicable. Dans l'arrêt du 26 décembre 1891, Compagnie du gaz de Saint-Etienne, Rec., p. 789 (avec les conclusions du commissaire du gouvernement Valabrègue), le Conseil d Etat se place exclusivement sur le terrain contractuel, c'est-à-dire qu'il résout le problème d'après les règles applicables au procédé du droit privé : « Si les communes ne peuvent constituer au profit d'un tiers le monopole de l éclairage privé, il leur appartient, pour assurer sur leur territoire le service de l'éclairage tant public que particulier, de s'interdire d'autoriser ou de favoriser sur le domaine municipal tout établissement pouvant faire concurrence à leur concessionnaire. Des dispositions combinées des traités intervenus en 1851 et 1857 entre la ville de Saint-Etienne et la Compagnie du gaz, il résulte que ladite compagnie a été seule et exclusivement chargée du service de l'éclairage dans la ville de Saint-Etienne, pendant toute la durée du bail, sans distinction aucune entre l'éclairage public et l'éclairage particulier. Si ces traités réglementent uniquement l'éclairage par le gaz, seul procédé alors en usage, l'art. 14 du traité de 1837, confère à la ville la faculté d'imposer à la Compagnie, sous certaines conditions déterminées, l'adoption de tout nouveau mode d'éclairage qui viendrait, par suite des découvertes de la science, à être généralement substitué, à Paris et à Lyon, au mode usité. En imposant ainsi à sa

public d'éclairage (1); 2o la désignation d'un individu ou d'une société déterminée comme concessionnaire chargé d'exploiter le service public d'éclairage. Le fait que ces deux choses sont contenues dans le même document et qu'on donne à ce document le nom de contrat de concession ne change pas leur nature juridique (2).

Cette distinction nous amène aux propositions suivantes :

1o Les autorités municipales ont le pouvoir de modifier, à tout instant, le fonctionnement du service public d'éclairage. Après la découverte de l'éclairage par l'électricité, les autorités municipales pouvaient assurer aux habitants les avantages de ce nouveau genre de lumière, en modifiant l'organisation du service public d'éclairage, de façon que la lumière électrique fût distribuée, et non pas seulement la lumière du gaz. Cette modification du service public se fait par l'exercice du pouvoir réglementaire. L'acte qui organise un

compagnie concessionnaire l'obligation de la faire profiter de l'application des découvertes futures, la ville a, par cela même, précisé le sens et la portée des engagements qu'elle contractait envers ladite compagnie et du droit exclusif qu'elle entendait lui concéder. A cet égard, la commune intention des parties est d'ailleurs affirmée expressément par les termes mêmes des délibérations du conseil municipal qui ont précédé et préparé les deux traités. Il suit de là qu'en passant avec lá société Edison un contrat autorisant la dite société à placer dans les voies urbaines des fils pour la distribution de la lumière électrique aux particuliers et stipulant même au profit de la commune une redevance proportionnelle au nombre de lampes établies, la ville de Saint-Etienne a méconnu ses obligations vis à-vis de la Compagnie du gaz. Ainsi Jadite Compagnie est fondée à demander l'annulation de l'arrêté par lequel le conseil de préfecture a rejeté sa demande en dommages-intérêts ». Le Conseil d'Etat invitait la ville de Saint-Etienne à retirer la deuxième concession à peine de dommages-intérêts. Puis, après expertise, par un arrêt du 25 novembre 1898, Rec., p. 724 — (entre l'arrêt de principe et la fixation de l'indemnité, il s'est écoulé 7 ans !!) - le Conseil d'Etat a condamné la ville de Saint-Etienne à payer à la Compagnie du gaz une indemnité de plus de 600.000 francs, représentant le préjudice éprouvé par la Compagnie du gaz tant par la deuxième concession que par le fait de n'avoir pas retiré la deuxième concession donnée à la Compagnie Edison. De plus, le Conseil d'Etat reconnaissait à la Compagnie du gaz le droit de réclamer de nouvelles inderanités tant que la ville de Saint-Etienne n'aurait pas fait disparaître la cause du dommage, c'est-à-dire la deuxième concession.

(1) L'adoption du procédé de la concession comme mode d'exploitation de ce service public fait aussi partie de l'organisation du service public.

(2) V. supra, p. 121.

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