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Supprimer un service public, c'est décider qu'il ne sera plus fait emploi des théories spéciales du procédé de service public pour la satisfaction de tel besoin d'intérêt général. La liquidation de l'organisation antérieure soulève des problèmes délicats.

La création, l'organisation, la suppression d'un service public, ont donc des objets différents. La création et l'organisation sont deux choses étroitement unies. L'organisation est manifestement le complément nécessaire, indispensable, de la création.

La nature juridique de l'acte de création, de l'acte d'organisation, de l'acte de suppression est la même. La création, l'organisation, la suppression d'un service public se ramènent à poser des règles générales obligatoires: l'acte qui crée ou qui organise ou qui supprime un service public est donc une loi au sens matériel du mot (V. supra, p. 21 et s.) (1).

Les autorités seules compétentes pour créer, pour organiser ou pour supprimer un service public sont les autorités publiques qui ont le pouvoir de formuler des règles de droit, des lois. Ce principe ne soulève aucune difficulté.

Les autorités qui, en France, ont, à l'heure actuelle, le pouvoir de formuler des règles de droit générales et impersonnelles sont : 1o le Parlement; 2° les autorités administratives (Président de la République, ministres, préfets, maires, conseils généraux, conseils municipaux, etc.).

Comment se fait, entre ces autorités publiques, le partage des compétences touchant la création, l'organisation, la suppression des services publics? Et quelle est, au juste, à ces différents points de vue, l'étendue de leur compétence?

Pour résoudre ces questions, il faut, à mon avis, distinguer soi

(1) DUGUIT, De la situation des particuliers à l'égard des services publics, R. D. P., 1907, p. 419: « L'acte positif, émané des gouvernants ou fait en leur nom, qui crée un service public, qui l'organise, est dans sa nature intrinsèque une loi Il en est ainsi... non seulement de l'acte qui formule le principe, qui reconnait l'obligation pour l'Etat de remplir une certaine mission et qui, dans ce but, crée un service public, mais encore de tous les actes qui organisent les détails du service, en fixent les éléments matériels et personnels... Les actes qui créent un service public et qui en organisent le fonctionnement sont des lois au sens matériel, quel que soit bien entendu le caractère des organes ou des agents qui ont fait ces actes, quelle que soit la forme extérieure de ces

actes >>.

gneusement la création d'un service public, l'organisation d'un service. public, la suppression d'un service public.

I.

Section I

Création d'un service public.

Créer un service public, c'est déclarer que, pour la satisfaction de tel intérêt général, tout un ensemble de théories spéciales seront applicables (V. supra. p. 242 et s.). C'est là une règle qui, par son importance, rentre certainement dans la compétence du Parlement. La tradition française est bien fixée en ce sens. Au surplus, cette solution n'est que la conséquence d'une autre règle en vigueur en France comme dans la plupart des Etats modernes, la règle d'après laquelle toute règle de droit qui apporte une limitation à la liberté physique des individus, à la propriété des individus, à la liberté du commerce et de l'industrie, au libre exercice des cultes, doit être votée par le Parlement. Comme le procédé du service public implique nécessairement des limitations de ce genre, la règle générale qui décide que, pour la satisfaction de tel intérêt général, le procédé du service public sera applicable doit émaner du Parlement et non des autorités administratives. Enfin, c'est une chose très grave, lors même qu'un service public n'est pas monopolisé, que de créer un service qui va concurrencer l'activité des individus, dans des conditions qui rendent souvent la concurrence difficile, sinon impossible, aux particuliers.

Telles sont les raisons pour lesquelles, en droit positif français, l'acte juridique qui crée un service public est une loi au sens matériel et au sens formel, c'est-à-dire une loi rotée par les Constituants ou par les Chambres législatives.

II. Le Parlement a un pouvoir discrétionnaire d'appréciation touchant l'emploi du procédé du service public. Il y a là une question politique. Sous le seul contrôle de l'opinion publique, il détermine si les circonstances économiques, sociales ou politiques conduisent ou non à l'adoption du procédé. Les lois constitutionnelles françaises ne formulent, à cet égard, aucune limitation (1).

(1) Il n'en est pas ainsi dans tous les pays. Aux Etats-Unis, par exemple, la Constitution fédérale ou les Constitutions d'Etat contiennent des principes généraux qui s'opposent à ce que la législature fédérale ou

III. Le Parlement peut créer tel service public déterminé en décidant que la satisfaction de tel besoin d'intérêt général sera donnée obligatoirement par le procédé du service public. Ex.: télégraphes, téléphones, transport des lettres, assistance médicale gratuite aux indigents, etc.

Il peut aussi créer le service public en décidant et ceci arrive fréquemment pour la satisfaction des besoins généraux d'intérêt local que le procédé du service public pourra être employé par certaines autorités administratives. Dans ce cas, la création de tel service public n'est définitive que lorsque les autorités administratives compétentes ont décidé qu'il y avait lieu d'utiliser l'autorisation générale donnée par le Parlement et d'employer le procédé du service public. L'autorité administrative ne crée pas à proprement parler le service public; la création a été décidée par le Parlement sous une condition; la décision des autorités administratives réalise la condition mise par le Parlement.

Prenons un exemple. Le besoin de se protéger contre les incendies peut, d'après la loi municipale, être satisfait par le procédé du service public. Mais l'emploi du procédé du service public n'est pas déclaré obligatoire pour les autorités communales. Le législateur a laissé les conseils municipaux, dans chaque commune, libres de décider s'il y aurait dans la commune un service public de pompiers, ou si, au contraire, ce besoin d'intérêt général serait satisfait par le procédé du droit privé, ou même par l'initiative privée avec ou sans subvention.

Inversement, le conseil municipal, après avoir décidé d'user du procédé du service public, peut changer d'avis et renoncer au procédé du service public. Dans ce cas, la condition mise par le Parlement à la création du service public cesse d'ètre remplie le service public disparaît dans la localité. En d'autres termes, l'intervention spéciale du Parlement n'est pas nécessaire pour décider que, dans telle commune, il y aura un service public de pompiers, et, à l'inles législatures d'Etat donnent satisfaction à certains besoins d'intérêt général par le procédé du service public. Ex. la Constitution de certains Etats de l'Union américaine interdit que les besoins religieux soient satisfaits par le procédé du service public. Il faudrait, avant de voler une loi créant un service public pour ces besoins, commencer par modifier la Constitution. Tel n'est pas le cas en France. Cette limitation existe dans la plupart des Etats fédératifs, à raison du partage des compétences entre le Gouvernement fédéral et les Etats particuliers. Cpr. JEZE, Le Budget, p. 529 et s. et surtout p. 550 et s.

verse, l'intervention des Chambres législatives n'est pas non plus nécessaire pour décider qu'il n'y aura plus, dans telle commune, de service public de pompiers.

IV. La loi du Parlement qui crée un service public peut être très explicite, ou, au contraire, conçue en termes généraux.

L'exemple le plus remarquable d'une loi autorisant, en termes très généraux, la création de services publics est la loi municipale du 5 avril 1884. L'art. 115 de cette loi prévoit expressément que les municipalités pourront organiser « de grands services municipaux (1)». L'article 116 permet aussi aux conseils municipaux de plusieurs communes de s'entendre et de faire des conventions « à l'effet d'entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d'utilité commune. » Ces derniers mots autorisent expressément la création de services publics intercommunaux. Rapprochons maintenant ces textes de l'article 97 de la loi municipale, relatif à l'objet de la police municipale. La combinaison de ces textes conduit à décider qu'une autorisation générale de créer des services publics existe pour « tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements » ; en vertu de ces textes généraux, les autorités municipales ont le pouvoir de décider qu'il y aura un service public municipal du balayage et de l'enlèvement des ordures, un service public de l'éclairage par le gaz ou l'électricité, un service public de distribution des eaux, un service public des transports en commun (omnibus, tramways). Et, de même, les autorités municipales ont, en vertu des termes généraux de la loi municipale, le pouvoir de décider qu'il y aura des services publics « pour l'inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids et à la mesure, et de la salubrité des comestibles exposés en vente» (services publics des abattoirs municipaux (2), des labora

(1) Art. 115 § 2 : « Il en est de même (nécessité d'une approbation préfectorale) des traités portant concession à titre exclusif, ou pour une durée de plus de trente années, des grands services municipaux, ainsi que des tarifs et traités relatifs aux pompes funèbres. »

(2) Une loi du 8 janvier 1905 reconnaît expressément la validité — qui n'était d'ailleurs pas contestée du service public d'abattoirs.

Art. 4er: « Les communes soumises ou non à l'octroi, mais possédant un abattoir public, auront le droit de taxer... ». Bien plus, l'art. 2 de la loi de 1905 donne à ce service public le caractère de monopole. « La mise en activité de tout abattoir légalement établi dans une commune pour son compte ou pour le compte d'un syndicat de communes,... entrai

toires municipaux); pour « prévenir et faire cesser... les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies (service public des pompiers), les inondations, les maladies épidémiques ou contagieuses (service public de désinfection (1), d'étures municipales, service public de vaccination, service public des roitures d'ambulance), les épizooties >> ; pour « obvier ou remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou-féroces» (service public municipal des fourrières), etc., etc.

La jurisprudence du Conseil d'Etat interprète très largement les textes rappelés ci-dessus et y trouve une base solide pour l'organisation de tous les services publics municipaux dont l'objet certain est la satisfaction d'un besoin d'intérêt général.

Toutefois, le Conseil d'Etat estime que cette création générale par le Parlement de services publics locaux est limitée par certains principes fondamentaux posés par le législateur lui-même, à savoir la liberté du commerce et de l'industrie, le régime de la libre concurrence économique. Dès lors, les autorités locales ne peuvent légalement user de l'autorisation générale et organiser un service public que dans la mesure où il n'est pas porté atteinte à ces principes fondamentaux. D'après le Conseil d'Etat, ceci suppose que l'initiative privée ne donne pas du tout satisfaction ou ne peut donner qu'une satisfaction très incomplète au besoin d'intérêt général. Les autorités locales ne peuveut donc pas décider, en dehors de ces hypothèses, qu'il y aura service public.

Trois exemples empruntés à la jurisprudence du Conseil d'Etat au contentieux ou à la pratique administrative vont faire apparaitre clairement la solution adoptée.

1er Exemple. Organisation d'un service public municipal d'assistance médicade gratuite à tous les habitants de la commune, riches ou paucres. C. d'Etat, 29 mars 1901, Casanova, Rec., p. 333 (2). - Le conseil municipal d'une commune de Corse, dans laquelle deux médecins exerçaient leur profession, vote un crédit de 2.000 francs pour le traitement annuel d'un médecin communal, devant donner gratuitement ses soins à tous les habitants de la commune, pauvres et riches indis

nera de plein droit la suppression des tueries et triperies particulièręs situées dans un périmètre déterminé par un arrêté préfectoral. »

(1) Voyez la loi du 16 juillet 1913, autorisant exceptionnellement les villes de moins de 20.000 habitants à avoir un service autonome de désinfection.

(2) Cpr. aussi la note du professeur HAURIOU, dans Sirey, 4901-3-73.

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