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des fonctionnaires se fait à l'élection ou à la nomination pure et simple, discrétionnaire, ou à la nomination conditionnée (présentations, concours, etc.). Tel ou tel procédé de recrutement correspond, en effet, à telles ou telles conditions politiques, sociales, économiques. Le milieu démocratique exige en quelque sorte un large emploi du procédé de l'élection. La nomination discrétionnaire se rencontre plus souvent dans les milieux autocratiques, aristocratiques ou à demi démocratiques. La nomination conditionnée par le souci de l'intérêt public suppose un état de civilisation très avancée. Il faut aussi rechercher quels sont les résultats pratiques produits par l'adoption de tel ou tel procédé énergie de l'administration, honnêteté, développement de l'esprit civique des populations, de leur capacité politique, etc. Tout cela, c'est le point de vue politique.

Du point de vue de la technique juridique, il convient d'étudier, en eux-mêmes, les procédés de recrutement des agents au service public, d'analyser, par exemple, l'opération juridique de l'élection en ses éléments essentiels, de rechercher à quelles conditions la manifestation de volonté des électeurs produira un effet juridique, et quel sera cet effet juridique (nature de la situation juridique amenée par l'élection). Il faudra faire les mêmes recherches pour l'opération juridique de la nomination. Ici le point de vue politique est mis de côté.

Prenons un autre exemple. Considérons le service public de la police sanitaire. Du point de vue politique, il y a à rechercher le but économique, social, à atteindre, les mesures d'hygiène à prescrire, les ordres ou interdictions à adresser aux agents publics ou aux individus dans l'intérêt de la santé publique. La solution de ces problèmes dépend essentiellement du milieu social, politique, économique, religieux même. Le développement des services publics de police sanitaire suppose un milieu civilisé, cultivé, des habitants comprenant la nécessité de l'hygiène, une religion qui ne s'oppose pas à certaines mesures d'hygiène, des gouvernants décidés à prescrire les ordres nécessaires, à faire exécuter les travaux indispensables pour la sauvegarde de la santé publique, etc. Du point de vue politique, il faut aussi rechercher l'efficacité du service tel qu'il fonctionne, ses conséquences sociales, économiques, politiques, etc. Tout cela, c'est de la politique.

Du point de vue de la technique juridique, il y a à examiner les procédés juridiques de la police sanitaire nature juridique des règlements de police sanitaire, ou des ordres individuels, régime juridi

que de ces actes, recours dont ces actes sont susceptibles à raison de leur nature juridique, etc.

De même encore, considérons le service public de l'assistance aux vieillards indigents. Du point de vue politique, il faut rechercher quelles sont les préoccupations d'ordre politique, économique, social, religieux, philosophique, moral, qui ont fait établir le service. Et c'est aussi du point de vue politique que l'on dressera le bilan du service effets politiques, sociaux, économiques, moraux, financiers, produits par le service organisé. D'autre part, le service une fois organisé, du point de vue de la technique juridique il faut déterminer la nature juridique du droit et du devoir d'assistance, des moyens juridiques d'assurer la sanction de ce droit et de ce devoir. Il serait facile de multiplier les exemples. Toujours, il y a lieu de distinguer les questions d'ordre politique, des problèmes de technique juridique.

II. Ce n'est pas à dire toutefois qu'entre le point de vue politique et la technique juridique, il n'y ait aucun point de contact, et que le domaine politique soit complètement séparé du juridique. Ce serait une erreur grave. Bien des points de technique juridique s'éclairent à la lumière du point de vue politique. Par exemple, en ce qui concerne le recrutement de la fonction publique, l'idée politique est que l'intérêt public est la seule chose à considérer dans l'organisation de la fonction publique moderne. Cette idée influe beaucoup sur l'adoption de tel procédé technique plutôt que de tel autre. Par exemple, pour l'entrée au service public, on peut hésiter entre deux procédés techniques: la nomination unilatérale, le contrat; de même, pour la sortie du service public, on peut hésiter entre le procédé de la révocation unilatérale et le procédé de l'accord de volontés. Ceci posé, dans un pays donné, à une époque donnée, le juriste peut hésiter sur le point de savoir quelle est la nature juridique du procédé adopté par le législateur. Pour résoudre cette question de pure technique juridique puisqu'il s'agit de rechercher le régime juridique applicable, le juriste devra s'inquiéter du point de vue politique. La dominante politique de l'époque est-elle que l'on a voulu donner plus de souplesse à la fonction publique, que l'on a voulu se réserver les moyens de l'adapter facilement et immédiatement aux besoins sociaux, aux nécessités de l'intérêt public? Le juriste en conclura que le procédé technique employé par le législateur est celui de la nomination unilatérale et de la révocation unilatérale. En effet, à cette condition seulement, les transformations nécessaires à appor

ter à la fonction ne se heurteront pas à des obstacles juridiques insurmontables, à savoir la volonté des fonctionnaires menacés par les réformes, la situation juridique individuelle, intangible des agents au service public. La nature juridique du procédé technique aura, en le voit, été découverte grâce à l'étude des données politiques. Le juriste n'aura plus qu'à appliquer le régime juridique propre au procédé technique identifié grâce à l'étude politique. ...Considérons encore le service d'assistance aux vieillards indigents. Pour résoudre le problème de technique de la nature juridique du droit ou du devoir d'assistance, l'examen attentif de la solution. politique et du milieu politique et social est indispensable. Le légisJateur a-t-il voulu conférer à l'indigent un droit de créance véritable? N'a-t-il, au contraire, voulu lui reconnaître qu'un status légal? Le juriste peut hésiter entre l'une ou l'autre solution; il y a là deux procédés techniques parfaitement possibles : le juriste ne peut savoir Tequel a été adopté par le législateur qu'en étudiant le côté politique de la question.

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Ce n'est pas tout. Négliger l'un ou l'autre point de vue, le juridique ou le politique c'est, à mon avis, laisser de côté un des éléments essentiels du problème en examen ; c'est ne s'occuper que d'une face de la question; celui qui décrit les institutions, les serviees publics du seul point de vue politique, ou du seul point de vue juridique, les défigure. Encore une fois, tout exposé est incomplet qui ne met pas en relief: 1° le but à atteindre et le milieu (social, politique, économique) (point de vue politique); 2o les moyens juridiques employés pour atteindre le but (point de vue technique); 3o les résultats pratiques de l'institution étudiée; ces résultats montrent dans quelle mesure les moyens juridiques employés étaient adéquats au but poursuivi et au milieu.

Section II

Le Droit règle les compétences.

Le Droit public et administratif s'occupe du régime juridique des manifestations de volonté qui se produisent à l'occasion de la gestion des services publics. Toujours l'analyse juridique ramène l'observateur à constater une manifestation de volonté, et à déter

miner les effets juridiques que va amener cette manifestation de volonté. A vrai dire, ceci n'est pas spécial au droit public et administratif. Le Droit droit privé, droit public - s'occupe exclusivement et toujours des manifestations de volonté.

I. — Déterminer la compétence d'un agent ou la capacité d'un individu, c'est dire ce que pourra juridiquement vouloir l'agent ou l'individu, dans quelles conditions (de temps, de lieu, de formes, etc.) il devra vouloir pour que la manifestation de sa volonté ait une valeur juridique, c'est-à-dire ordinairement pour que la force publique, les agents de la force publique viennent, au cas d'inexécution, réaliser les effets juridiques voulus.

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En somme, le Droit est essentiellement une réglementation de compétences. Un individu - agent public ou simple particulier a une compétence déterminée par le Droit. Ce que l'individu veut dans le cercle de sa compétence, le Droit s'efforce d'en assurer la réalisation, au besoin par l'usage de la force.

La compétence, c'est le pouvoir de vouloir un effet juridique. L'exercice du pouvoir de vouloir, c'est la manifestation de volonté. La manifestation de volonté, c'est l'acte juridique.

Et, dès lors, la chose essentielle dans le Droit, c'est l'acte juridique, à savoir la manifestation de volonté, en exercice d'un pouvoir légal, en vue de produire un effet de droit. Il en est ainsi dans toutes les branches du Droit droit public ou droit privé. C'est pourquoi l'étude de l'acte juridique est le préliminaire indispensable de toute étude. Il faut, avant d'exposer les institutions juridiques d'un pays, fixer la terminologie, classer les actes juridiques au point de vue de la technique juridique. A cette condition seulement, il sera possible de procéder à des analyses précises et d'arriver à des résultats satisfaisants.

II. Derrière l'acte juridique, il y a toujours le pouvoir juridique dont l'acte n'est que l'exercice. Prenons des exemples.

Dire qu'un individu a la nationalité française, cela signifie en droit. que cet individu a le pouvoir de vouloir certaines choses, d'accomplir certains actes juridiques, de manifester sa volonté en vue d'obtenir certains effets juridiques; et, d'autre part, cela veut dire que d'autres individus ont le pouvoir de vouloir que le national français accomplisse certaines prestations, qu'ils ont le pouvoir de faire certains actes juridiques. C'est ce que l'on comprend sous le nom de droits et obligations résultant de la nationalité française. Le status

de national français est donc un ensemble de pouvoirs et de devoirs; mais comme un devoir vise le pouvoir d'un autre individu d'exiger une prestation, l'analyse juridique nous ramène toujours au pouvoir de vouloir certains effets juridiques, au pouvoir d'accomplir certains actes juridiques.

Dire qu'un individu est propriétaire d'un immeuble déterminé, cela signifie en droit que cet individu a, par rapport à cet immeuble ou à raison de cet immeuble, le pouvoir de vouloir certaines choses, de manifester sa volonté en vue d'obtenir, par cette chose ou à raison de cette chose, certains effets juridiques, en d'autres termes, le pouvoir d'accomplir certains actes juridiques; mais, d'autre part, cela signifie que d'autres individus ont, à raison de cette chose, le pouvoir d'exiger du propriétaire l'accomplissement de certaines prestations, qu'ils ont le pouvoir d'accomplir certains actes juridiques. La propriété sur une chose déterminée est donc un ensemble de pouvoirs et de devoirs par rapport à cette chose, ou à raison de cette chose; ou, plus simplement, un ensemble de pouvoirs pour ou contre l'individu propriétaire; et l'exercice de ces pouvoirs se traduit par des actes juridiques ventes, locations, legs, donations, acte créateur de la dette d'impôt foncier, expropriation pour cause d'utilité publique, etc., etc.

Dire qu'un individu est juge, cela signifie en droit que cet individu a, dans certaines conditions, le pouvoir de vouloir certaines choses, de manifester sa volonté en vue de produire un effet juridique, d'accomplir certains actes juridiques; mais, d'autre part, cela signifie aussi que d'autres individus ont le pouvoir d'exiger du juge l'accomplissement de certaines prestations, de manifester leur volonté en vue de produire un effet juridique ainsi le juge saisi d'un recours ne peut pas refuser de juger. La fonction de juge est donc un ensemble de pouvoirs et de devoirs, ou plus simplement un ensemble de pouvoirs dont est investi le juge ou que certains individus ont contre le juge; et l'exercice de ces pouvoirs se manifeste par des actes juridiques: jugements, recours en justice.

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