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loi, le maire doit être élu par le conseil municipal. Dans ce dernier cas, il n'y a pas usurpation de fonction; l'individu qui accepte est un fonctionnaire de fait il a un titre plausible.

c) Une autre irrégularité peut consister dans le fait qu'un individu occupe une fonction qui a été créée irrégulièrement et qui est ultérieurement supprimée pour ce motif. L'individu qui occupe une fonction créée par un décret simple alors qu'il fallait un règlement d'administration publique, ou une fonction créée par un décret alors qu'il fallait une loi du Parlement (1), n'est pas un usurpateur. C'est un fonctionnaire de fait; son investiture est plausible. - Supposons maintenant que, en période normale, un conseil général décide que, pour faire la police dans le département, il y aura un fonctionnaire autre que le préfet ; celui qui occuperait la fonction créée par le conseil général n'aurait pas une investiture plausible. Ce serait un usurpateur (2).

En somme, dans tous les cas où l'individu qui a occupé la fonction avait une investiture, il faut s'attacher au caractère plausible ou non de l'investiture; il y a fonctionnaire de fait si l'investiture est plausible, usurpateur de fonction si l'investiture n'est pas plausible (3).

(1) Dans le common law anglo-américain, nous trouvons la règle suivante: « Si la loi de la législature qui crée une fonction et qui prescrit qu'un fonctionnaire en exercera les attributions doit avoir force de loi jusqu'à ce qu'elle soit écartée par les tribunaux comme inconstitutionnelle, il serait absurde de dire qu'un fonctionnaire ainsi désigné n avait pas apparence d'un titre régulier (color of authority)» (Supreme Court of Errors du Connecticut, 1874, State vs. Carroll, rapporté dans GooDNOW, Cases on Adm. Law, II, p. 148).

(2) Au cas de fonction créée irrégulièrement par une autorité publique qui a le pouvoir général d'organiser les services publics, il n'y a pas à distinguer, à mon avis, entre l'illégalité flagrante et l'illégalité douteuse. Dans les deux cas, l'investiture est plausible, et, par suite, il n'y a pas usurpation de fonction. Tout ce que l'on doit exiger, car c'est cela seulement que l'on peut raisonnablement demander au grand public de connaître, c'est que la création de la fonction émane d'une autorité publique ayant compétence générale pour créer des emplois publics. Si cette condition est remplie, il n'y a pas usurpation de fonction. En effet, jusqu'au jour où il est annulé, l'acte créateur de la fonction doit être tenu pour régulier. Les individus qui composent le grand public ne sont pas des juristes assez déliés pour résoudre, à leurs risques et périls, la question qui peut être très difficile et sur laquelle les juristes hésitent de savoir s'il y a ou non illégalité dans la création de la fonction. (3) Il est intéressant de rapprocher les solutions admises par le com

Il faut aller plus loin. L'investiture plausible peut parfois consister uniquement dans le fait que l'individu, bien que n'ayant aucun titre formel l'investissant de la fonction, exerce cette fonction paiṣiblement et publiquement, dans les locaux officiels, en se servant des registres, cachets officiels, et qu'il est considéré par tout le

mon law anglo-américain. Le professeur GooDNow (Cases on administrative law, op. cit., II, p. 144 et s.) rapporte un arrêt du Supreme Court of Errors de l'Etat de Connecticut de 1871 (State vs. Carroll) dans lequel le Chief Justice BUTLER s'exprime dans les termes suivants : «Le fonctionnaire de facto est l'individu dont les actes, bien que n'émanant pas d'un fonctionnaire légal, seront considérés par la loi, en vertu de principes d'ordre public et de justice, comme valables, en tant qu'ils touchent les intérêts du public ou de tiers, lorsque les attributions de la fonction ont été exercées : 1o sans une nomination ou une élection connues, mais dans des circonstances de publicité (reputation) ou d'assentiment telles qu'elles conduisent le peuple, sans autre recherche, à se soumettre à son action ou à la provoquer, dans la supposition qu'un individu est bien le fonctionnaire qu'il prétend être ; 20 avec l'apparence d'une nomination ou d'une élection connues et valables, mais alors que le fonctionnaire a manqué de se conformer préalablement à quelque exigence ou condition, telles que prestation de serment, dépôt de cautionnement, etc.; 30 avec l'apparence d'une élection ou d'une nomination connues, nulles à raison du fait que le fonctionnaire n'était pas éligible, ou à raison de l'absence de pouvoir dans le corps qui a procédé à la nomination ou à l'élection ou à raison d'une irrégularité dans l'exercice du pouvoir, telles que inéligibilité, incompétence, ou irrégularités inconnues du public; 40 avec l'apparence d'une élection, ou d'une nomination auxquelles il a été procédé en exécution d'une loi publique inconstitutionnelle, avant que cette loi ait été jugée telle. » Le Chief Justice BUTLER, dans le même arrêt, rapporte que le common law anglais peut se résumer ainsi : « Si vous trouvez un homme exerçant les attributions d'une fonction, dans des conditions de continuité, de réputation ou autrement, telles qu'elles autorisent raisonnablement à croire que cet individu est bien le fonctionnaire qu'il prétend être, vous pouvez lui obéir ou l'employer, sans prendre la peine d'examiner son titre; la loi tiendra ses actes pour valables en ce qui vous concerne, le considérant, dans cette mesure, comme fonctionnaire de facto. Si cet individu a les apparences d'une nomination ou d'une élection, alors qu'en réalité ce n'est pas un fonctionnaire régulier à raison de l'incompétence de l'autorité qui a fait la désignation, ou de l'irrégularité dans l'exercice du pouvoir de désignation, ou à raison de ce fait qu'il y avait un autre fonctionnaire régulier investi de la fonction, ou parce que l'individu était inéligible ou ne remplissait pas les qualités requises par la loi, ou avait accompli le terme assigné à ses fonctions, votre cas est rendu plus favorable par l'apparence; mais ce genre d'apparence n'est pas essentiel pour votre protection, car vous n'avez pas l'obligation de vous livrer à une enquête pour savoir si elle existe ».

monde comme ayant le pouvoir légal d'accomplir certains actes (1). Par exemple, un individu a été chargé, par le titulaire régulier de la fonction, de le remplacer quand il ne serait pas là, de délivrer telles ou telles pièces en les revêtant de la signature du fonctionnaire régulier, et des cachets officiels. En fait, cette situation s'est prolongée pendant un assez long temps sans protestation du public, au su et au vu des autorités supérieures. Dans ces conditions, le public est induit à penser raisonnablement que le remplaçant a un titre régulier d'investiture. Il y a investiture plausible; il y a fonc tionnaire de fait.

La remarque est capitale : elle permet de dire que l'usurpateur de fonction peut se transformer en fonctionnaire de fait il suffit, pour cela, que, par suite des circonstances de fait, son investiture devienne plausible. Tel sera le cas lorsqu'il y aura occupation paisible et prolongée de la fonction, acceptation commune et générale par les concitoyens, ou par les autres autorités publiques qui traiteront l'occupant comme s'il était investi de la fonction. Pour savoir si cette transformation s'est produite, le juge devra donc prendre en considération une foule de circonstances qu'il est impossible d'énumérer limitativement a priori, mais qui toutes devront donner la conviction que l'investiture de l'occupant est devenue plausible, qu'il y a titre irrégulier sans doute, mais un titre dont il faut tenir compte. Il est aussi possible que le fonctionnaire de fait se transforme en fonctionnaire de droit cela a lieu lorsque, pour une raison ou pour une autre, l'irrégularité de l'investiture est couverte par exemple, les délais pour attaquer l'acte irrégulier d'investiture et le faire annuler sont expirés; il faut généralisér et dire que toutes les fois que l'irrégularité de l'investiture est couverte, le fonctionnaire de fait est transformé en fonctionnaire de droit.

L'investiture n'est pas plausible, il y a usurpateur et non fonctionnaire de fait, lorsqu'un individu continue d'occuper la fonction en vertu d'un titre primitivement régulier, mais actuellement périmé, alors que tout le monde sait ou doit raisonnablement savoir que le titre est périmé. Par exemple, un conseil municipal a été élu pour la fin de la période quadriennale prévue par la loi du 5 avril 1884,

(1) En common law anglais, Lord ELLENBOROUGH déclarait en 1805 (Rex v. Bedford Level): « Un fonctionnaire de fait est celui qui passe pour fonctionnaire (one who has a reputation of being an officer), qui prétend être et qui pourtant n'est pas fonctionnaire régulier, au point de vue du droit. >>

art. 41 (1). Lorsque la fin de la période est expirée, l'investiture du conseil municipal est périmée, elle n'est pas plausible. Si le conseil prétendait continuer à exercer la fonction, il y aurait usurpation.

L'usurpation serait encore plus manifeste si, après l'expiration du terme fixé pour l'occupation de la fonction, un nouveau titulaire était désigné et entrait en possession de la fonction. Par exemple, un maire élu par un conseil municipal dont les pouvoirs viennent à prendre fin doit rester en fonctions jusqu'à l'installation de son successeur ou, en cas de renouvellement intégral du conseil, jusqu'à l'installation du nouveau conseil (1. 6 avril 1884, art. 81) (2). Le maire qui, à partir de l'installation de son successeur ou du nouveau conseil, continuerait à exercer ses fonctions en vertu de son titre périmé serait un usurpateur et non un fonctionnaire de fait. Son investiture n'est pas plausible.

Pour que l'investiture soit plausible, il faut que la fonction soit occupée publiquement et paisiblement. Si donc elle est déjà occupée paisiblement par un autre individu qui est ou qui passe pour être le fonctionnaire de droit, le public est averti nécessairement que la régularité de l'investiture invoquée par le nouvel occupant à l'encontre de la situation paisible existante est douteuse. Celui qui, sans titre régulier, assume une fonction déjà occupée paisiblement, est un usurpateur. D'une manière plus générale, est un usurpateur celui qui, sans titre régulier, s'immisce dans une fonction pour laquelle il existe un titulaire régulier qui l'exerce effectivement, ou pour laquelle il y a déjà exercice public et paisible par un fonctionnaire de fait (3).

(1) Art. 41 : « Les conseils municipaux sont nommés pour quatre ans. Ils sont renouvelés intégralement, le premier dimanche de mai, dans toute la France, lors même qu'ils ont été élus dans l'intervalle. »

(2) Art. 81: «Les maires et adjonts sont nommés pour la même durée que le conseil municipal. Ils continuent l'exercice de leurs fonctions. sauf les dispositions des articles 80, 86, 87 de la présente loi, jusqu'à l'installation de leurs successeurs. Toutefois, en cas de renouvellement intégral, les fonctions de maire et d'adjoints sont, à partir de l'installation du nouveau conseil jusqu'à l'élection du maire, exercées par les conseillers municipaux dans l'ordre du tableau. »

(3) Dans le common law anglo-américain on trouve la règle suivante : «Si le fonctionnaire de jure est en possession de la fonction; si le fonctionnaire de jure est aussi le fonctionnaire de facto, alors, pour cette fonction, nulle autre personne ne peut être fonctionnaire de facto. Deux personnes ne peuvent pas être, en même temps, fonctionnaires de facto pour la même fonction » (décision de la Cour suprême de l'Etat de

En résumé, pour qu'il y ait fonctionnaire de fait, il faut une investiture piansible. Cette condition est nécessaire et suffisante.

IV

Ce qu'exige l'intérêt légitime des tiers de bonne foi, ce que nécessite la bonne marche des services publics, c'est la validité, visà vis des tiers, l'opposabilité aux tiers, des actes accomplis par les fonctionnaires de fait. Il n'en reste pas moins que l'individu qui a exercé la fonction n'en était pas investi régulièrement. Cette circonstance ne doit pas être sans influence. L'irrégularité doit avoir sa sanction. Et cette sanction doit varier avec le degré du péril social couru. C'est du côté de la responsabilité pénale ou civile de l'individu régu lièrement investi qu'il faut la chercher.

1o Au point de vue pénal, il ne saurait y avoir de responsabilité que s'il y a eu véritablement intention d'exercer irrégulièrement la fonction.

Au cas d'usurpation, cette intention est ordinairement manifeste : l'usurpateur n'a aucune investiture. L'usurpation est socialement très dangereuse: c'est un germe d'anarchie. En conséquence, la loi pénale doit prévoir et réprimer les faits d'usurpation de la fonction, d'immixtion dans les fonctions publiques, en faire un délit pénal.

Moins dangereux socialement est l'exercice de la fonction par l'individu irrégulièrement investi. D'autre part, l'élément intentionnel existe rarement. Le fonctionnaire de fait ne doit être frappé pénalement que lorsque, en période normale, il a exercé la fonction alors qu'il ne pouvait raisonnablement pas ignorer que son investiture était irrégulière ou périmée. Dans ce cas, malgré que l'exercice de la fonction ait été paisible, public et accepté généralement, la sanction pénale est désirable: socialement, en effet, il faut prévenir, autant que possible, l'exercice des fonctions publiques par d'autres que ceux qui en ont été régulièrement investis.

En période de crise politique ou sociale (guerre civile, révolution, etc.), il serait contraire à l'intérêt public bien entendu de menacer de peines les citoyens courageux et dévoués qui, de bonne foi, en vertu de l'investiture de leurs concitoyens ou des autorités publiques supérieures, consentent à exercer les fonctions essentielles abandon

Kansas, juillet 1874, James Mc. Cahon vs. The Commissioners of Leavenworth, rapportée par GooDNOW, Cases on administrative law, II, p. 157).

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