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1° C'est ce qui est arrivé, par exemple, à la suite de la révolution du 4 septembre 1870. Dans beaucoup de communes, les autorités municipales ont disparu. Les fonctions d'officier de l'état civil ont été exercées par des individus plus ou moins irrégulièrement investis. La question s'est alors posée de la validité des actes reçus par eux. Les actes étaient-ils inexistants comme accomplis par des usurpateurs? Un cas très curieux a été signalé. «A Marseille, pendant l'insurrection du 31 octobre et du 1er novembre 1870, sept mariages furent célébrés par deux individus se disant membres de la Commune » (1). Les mariages étaient-ils valables? L'Assemblée nationale, en votant la loi du 6 janvier 1872, a entendu faire dépendre la solution uniquement de la question de savoir si les individus étaient ou non des usurpateurs, c'est-à-dire avaient ou non une investiture plausible. « Une seule condition est exigée pour la validité des actes, déclarait le ministre de la justice Dufaure; c'est que la personne qui les aurait reçus cùt, à ce moment, l'exercice public des fonctions municipales, à quelque titre et sous quelque nom que ce fût» (2).

2o Une autre hypothèse a donné lieu à des difficultés : c'est celle des paiements de créances publiques effectués entre les mains des préposés de la Commune de Paris en 1871. Les parties versantes ont soutenu que l'insurrection du 18 mars 1871 avait constitué des fonctionnaires de fait; dès lors, le paiement effectué entre les mains de ces agents était libératoire d'après les principes du droit public. L'investiture est plausible, ajoutait-on. La preuve, c'est que les préposés de la Commune détenaient les registres de l'administration fiscale. De son côté, l'administration régulière soutenait que les paiements avaient été faits entre les mains d'usurpateurs et non de fonctionnaires de fait; dès lors, les quittances délivrées par eux étaient juridiquement inexistantes. Les agents de la Commune, disait

(1) Le cas est signalé par le ministre de la justice DUFAURE dans l'exposé des motifs du projet du 44 décembre 1871, qui est devenu la loi du 6 janvier 1872 (J. officiel du 29 décembre 1871, p. 5332).

(2) Touchant les sept mariages célébrés à Marseille, M. DUFAURE signalait à l'Assemblée nationale que, ultérieurement, « six de ces mariages ont été de nouveau célébrés. Quant au septième, les parties ont refusé de se présenter une seconde fois devant l'officier de l'état civil. Nous ne pensons pas, ajoutait-il, qu'une disposition spéciale doive être édictée en vue de ce cas exceptionnel. Les tribunaux apprécieront si cette hypothèse peut être comprise dans les termes très généraux de la mesure législative que nous proposons ».

l'administration, n'avaient aucune investiture plausible. La Commune n'était pas un gouvernement de fait ; c'étaient des rebelles ayant usurpė des fonctions publiques.

La Cour de cassation, appelée à dire le dernier mot sur cette question, a mis en relief le caractère non plausible de l'investiture. Pour le démontrer, elle s'est attachée aux circonstances suivantes : a) il y avait des autorités régulières : le gouvernement siégeant à Versailles; b) le public a été averti que les préposés de la Commune n'étaient que des usurpateurs, qui ne pouvaient donner valablement aucune quittance qui fût susceptible de produire un effet quelconque et de libérer les débiteurs. Les contribuables qui ont versé ne sauraient donc prétendre qu'ils ne savaient pas que les préposés de la Commune étaient des usurpateurs; étant donné cette connaissance, la détention des registres du fisc n'était pas une circonstance suffisante pour donner aux agents de la Commune une investiture plausible (1). Tout ceci est parfaiteminent exact.

(1) Cass. Req. 27 novembre 1872, Crédit Foncier, S. 1873.4 259 (rapport DUMON : « En ce qui concerne la première branche, tirée de ce que, l'insurrection du 18 mars 1871 ayant constitué un pouvoir de fait, le payenient effectué entre les mains de ce pouvoir est libératoire, d'après les principes du droit public. En droit, le gouvernement légal qui triomphe d'une insurrection est seul investi du droit de reconnaître ou d'annuler, autant qu'il le jugera utile pour le bien public, les actes accomplis par les insurgés. L'Assemblée nationale, seul pouvoir légal, a proclamé, par des actes publics et géminés, que l'attentat du 18 mars était une révolution ouverte contre la souveraineté nationale, et qu'elle conservait intact le dépôt qui lui était confié. Les contribuables ont été avertis par le gouvernement que les préposés de la Commune ne pouvaient donner valablement aucune quittance qui fùt susceptible de produire un effet quelconque et de les libérer envers l'Etat légal. Après la défaite de l'insurrection, le gouvernement a considéré comme nuls les actes émanés des agents de la Commune, et spécialement ceux qui se sont immiscés dans la perception des impôts ont été poursuivis et punis en exécution de l'article 258 du Code pénal. Le pouvoir qui en avait seul le droit s'est donc prononcé, et il ne saurait appartenir au pouvoir judiciaire de se saisir de la question... Le titre de l'Etat pour la perception de l'impôt est dans la loi; la détention des registres de l'administration de l'Enregistrement qu'auraient eue les agents de la Commune ne saurait constituer la possession de la créance. D'un autre côté, le jugement attaqué déclare que la demanderesse (administration du Crédit foncier) savait parfaitement que les préposés de la Commune n'avaient ni qualité, ni autorité pour percevoir l'impôt. Dès lors, la demanderesse ne peut être censée avoir payé de bonne foi. La violence dont elle aurait été l'objet et à laquelle elle aurait cédé peut être l'occasion d'une demande

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La Cour de cassation aurait pu ajouter qu'il n'y avait aucune contradiction à déclarer valables les actes de l'état civil reçus par les préposés de la Commune et à tenir pour inexistants les versements d'impôts entre les mains de ces préposés. Dans le cas des actes de l'état civil, il s'agissait d'actes qui ne peuvent pas être retardés, de services publics qui ne peuvent pas être suspendus, cesser de fonctionner. Dans le cas de recouvrement de l'impôt, il s'agissait d'actes n'ayant, pour le contribuable, aucun caractère d'urgence: le tiers débiteur n'éprouve aucun préjudice à reculer le paiement de sa dette, alors qu'il n'a pas à verser d'intérêts moratoires.

Dans l'hypothèse qui vient d'être examinée, à savoir celle du recouvrement de créances publiques par un usurpateur, il faut reprendre la double observation faite plus haut (p. 463).

1° L'administration ne pourra rien réclamer au redevable si, en fait, pour une raison quelconque, les deniers remis à l'usurpateur ont été versés dans les caisses de l'administration régulière.

2o L'administration peut agír à son choix soit contre le redevable en vertu de la créance non éteinte, soit contre l'usurpateur en vertu de la théorie de la comptabilité de fait. Après 1871, le gouvernement a négligé d'user contre les préposés de la Commune du moyen de la comptabilité de fait, à cause de leur insolvabilité notoire.

2e série d'hypothèses.

Valeur juridique des actes accomplis par les fonctionnaires de fait.

La loi et la jurisprudence se sont inspirées du principe d'après lequel, soit en temps normal, soit en période de crise politique ou sociale guerre civile, révolution, émeute, etc., les actes juridiques accomplis par des individus non régulièrement investis de la fonction sont juridiquement valables pour les tiers, lorsque l'auteur de l'acte avait toutes les apparences d'un agent public régulier, compétent pour accomplir l'acte, et que l'opinion commune le considérait comme régulièrement investi.

en dommages-intérêts contre les auteurs de la violence ou de tout autre recours, mais elle ne saurait avoir pour effet de suppléer à la bonne foi exigée, de la part de celui qui paye, pour valider le paiement. »

Voyez un arrêt identique rendu par la Cour de cassation, 27 novembre 1872, Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, S. 1873, 1, 262.

I

Plaçons-nous d'abord en période normale.

Les applications du principe sont multiples. Je n'en étudierai que quelques-unes.

fre application. Agents électifs dont l'élection est contestée, puis annulée. Une loi des 15-27 mars 1791, concernant l'organisation des corps administratifs (art. 9 in fine de la section 2), décide que « l'exercice provisoire demeurera à ceux dont l'élection se trouverait attaquée». De ce principe général, les lois subséquentes ont tiré des consé quences.

1o La loi du 5 avril 1884 art. 40 § 7 consacre expressément la solution pour les conseillers municipaux. « Les conseillers municipaux proclamés restent en fonction jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur les réclamations contre l'élection » (1). De ce texte, il faut conclure que les actes juridiques accomplis, pendente causa, par des conseillers municipaux dont l'élection est contestée et ensuite annulée sont valables (2). Sans doute, en annulant l'élection, le

(1) La loi du 21 mars 1831 donnait implicitement la même solution (art. 52 in fine), et, bien que la loi de 1855 ne réglât pas expressément la question, la solution avait été admise sans difficulté (MORGAND, La loi municipale, I, no 267).

(2) MORGAND, La loi municipale, op. cit., I, no 267: « La jurisprudence du Conseil d'Etat en a tiré cette conséquence que les actes auxquels a participé le conseiller dont l'élection est contestée, n'en demeurent pas moins valables, alors même que son élection vient à être ultérieurement annulée, alors même que la seule voix de l'élu invalidé aurait fait la majorité, alors même que la majorité des membres du conseil municipal voient leurs pouvoirs invalidés ». — Devant le C. d'E. s'est présentée une hypothèse curieuse où devait s'appliquer le principe (C. d'E. 30 janvier 1885, El. d'Hérouville, Rec., p. 126 (supra, p. 54, note 2 avec les conclusions du commissaire du gouvernement GOMEL). Un conseil municipal qui ne devait compter que 10 membres en contient 12; ce conseil est évidemment irrégulièrement constitué. Si les élections viennent à être annulées en bloc, les actes déjà accomplis par lui sont néanmoins valables. Le C. d'E. ne l'a pas décidé expressément, mais les raisons invoquées par le commissaire du gouvernement valent pour notre hypothèse. « L'irrégularité de la composition du conseil municipal, a déclaré le commissaire du gouvernement, se trouve couverte par l'absence de protestation en temps voulu. Décider autrement, ce serait rendre impossible l'administration de la commune pendant quatre ans; ce serait enlever toute valeur aux délibérations que prendra, pendant ce délai, le conseil municipal.

tribunal déclare que l'individu n'a pas été régulièrement investi de la fonction; mais l'intérêt légitime des tiers et la nécessité du fonctionnement ininterrompu des services publics exigent la validité juridique à l'égard des tiers des actes ainsi accomplis par des individus dont l'investiture était plausible.

2o La loi de 1884 ne vise expressément que les conseillers municipaux. Comme elle ne fait qu'une application d'un principe général, il faut donner la même solution pour tous les agents publics électifs : membres d'assemblées électives, dont l'élection est contestée et ensuite annulée; en particulier, conseillers généraux, bien que la loi du 10 août 1871 n'en parle pas. Les actes juridiques accomplis par eux arant l'annulation de leur élection, sont juridiquement valables (1). Pour écarter ce principe, il faudrait un texte formel.

3o faut étendre cette solution aux maires, adjoints, dont l'élection est contestée, puis annulée. Les actes juridiques accomplis par eux jusqu'au jour de l'annulation de leur élection sont valables La solution est donnée expressément par la loi de 1884 qui renvoie à l'art. 40 (2).

(1) La loi du 5 avril 1884, art. 40, § 7 donne une deuxième solution · celle-ci très contestable pour le cas où le jugement d'annulation de l'élection est frappé d'appel : « Les conseillers municipaux proclamés restent en fonctions jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur les réclamations. » En d'autres termes, l'appel est suspensif. Nonobstant l'annulation, le conseiller municipal, dont l'élection a été annulée par le conseil de préfecture, reste en fonctions jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué. Dès lors, les actes juridiques accomplis par lui sont valables, quel que soit ultérieurement l'arrêt du Conseil d'Etat. La règle est certaine, mais difficilement justifiable. Aussi le Conseil d'Etat l'interprètet-il très strictement. C. d'E. 9 février 1912, Gonod. Rec., p 178: Les conseillers municipaux cessent d être investis de la fonction dès que l'arrêt du C. d'E est rendu, et sans attendre la notification de l'arrêt au ministre et au maire. — D'autre part, il convient de ne pas étendre la règle du § 7 à d'autres hypothèses que celle prévue par la loi de 1884. La loi du 22 juin 1833 (sur les conseils généraux et sur les conseils d'arrondissement) distinguait : l'appel exercé par le conseiller était suspensif; au contraire, s'il était interjeté par le préfet, il n'était pas suspensif (art. 54). (2) Il faut donc étendre au maire, à l'adjoint, la solution admise par la loi de 188 art. 40 § 7 pour les conseillers municipaux. Ce n'est pas par argument par analogie, c'est à cause du renvoi formel à l'art. 40. Donc, au cas où l'arrêté du conseil de préfecture prononçant l'annulation de l'élection du maire ou de l'adjoint serait frappé d'appel devant le Conseil d'Etat, l'appel serait suspensif : l'individu dont l'élection comme maire ou adjoint a été annulée par arrêté du Conseil de préfecture ne sera pas immédiatement désinvesti de sa fonction de maire, et les actes juridiques

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