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4o Le principe et l'exception se trouvent dans les règlements du Sénat et de la Chambre des députés, pour les sénateurs et députés dont l'élection est contestée. Il suffira de rapporter les textes qui visent ces hypotheses.

a) Règlement du Sénat, art.9 in fine: « Les sénateurs dont les pouvoirs n'ont pas encore été validés peuvent prendre part aux délibérations et aux votes du Sénat ». Art. 10: « Le droit de prendre part aux votes du Sénat est suspendu pour tout membre dont l'admission a été ajournée. Tout sénateur dont l'élection est contestée ne peut, ni dans le bureau, ni en séance du Sénat, prendre part aux votes sur la validation de cette élection ».

b) Règlement de la Chambre des députés, art. 6: « Les députés dont les pouvoirs n'ont pas encore été validés peuvent prendre part aux délibérations et aux votes. Toutefois, le droit de voter est suspendu pour tout député dont l'admission a été ajournée par décision de la Chambre. Les députés non validés ne votent sur leur admission ni dans les bureaux ni en assemblée générale. Ils ne peuvent déposer aucune proposition de loi ».

2o application. Agents publics remplaçant des agents irrégulièrement suspendus ou révoqués. Les actes juridiques qu'un agent public suppléant ou remplaçant un agent irrégulièrement suspendu ou révoqué, accomplit après le moment où l'acte de suspension ou de révocation est devenu exécutoire (notification), sont ils valables, au cas où l'acte de suspension ou de révocation serait ultérieurement annulé ? Par exemple, les actes accomplis par la délégation spéciale, après la dissolution d'un Conseil municipal dissous irrégulièrement, sont-ils valables si le décret de dissolution est ensuite annulé ? Les actes accomplis par le nouveau maire postérieurement au décret de révocation d'un maire irrégulièrement révoqué sont-ils valables si le décret de révocation est ensuite annulé ?

Il semblerait logique de répondre par la négative. L'acte de dissolution, de suspension ou de révocation, une fois annulé, est à considérer comme non avenu. Dès lors, l'agent suspendu, révoqué, n'a pas cessé d'être régulièrement investi de la fonction et de la compétence. Les actes accomplis par lui après l'acte de suspension. de révocation, émanent d'un agent public régulièrement investi. Ils sont valables. D'autre part, il ne peut y avoir d'agent régulière

accomplis par lui après cette époque seront valables, même si ultérieurement le Conseil d'Etat déclare nulle l'élection.

ment investi, qu'autant que le titulaire principal a été désinvesti. Dès lors, l'annulation de l'acte de suspension, de révocation, de dissolution a pour résultat d'annuler rétroactivement l'investiture de l'agent remplaçant et, par suite, de rendre irrégulier l'exercice de la fonction par le remplaçant.

Cette argumentation logique est pleine d'inconvénients pratiques très graves. Elle fait abstraction des intérêts des tiers de bonne foi et de la nécessité du fonctionnement des services publics. L'agent suspendu ou révoqué même irrégulièrement doit être remplacé par un autre agent pour exercer provisoirement la fonction. Sinon le fonctionnement du service public sera compromis. Si la décision est irrégulière, on ne le saura que quelques mois ou quelques années plus tard. Dira-t-on que, pendant toute cette période, les actes accomplis par le remplaçant pour assurer le fonctionnement des services publics n'auront qu'une valeur juridique conditionnelle ? C'est impossible. A mon avis, il faut appliquer au remplaçant ce que décide fort justement l'art. 84 de la loi du 5 avril 1884 pour le suppléant au cas de suspension, de révocation du maire: « En cas d'absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empèchement, le maire est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par un adjoint... » Le texte assimile le cas où le maire est suspendu ou révoqué au cas où il est absent ou empêché s'il est régulièrement révoqué, il est désinvesti; s'il est irrégulièrement suspendu ou révoqué, il est empêché; dans l'un et l'autre cas, il est remplacé : la fonction passe provisoirement à l'adjoint, et, au cas de révocation il doit y avoir une élection pour nommer un nouveau maire. Ce dernier fera valablement les actes de la fonction de maire, même si la révocation irrégulière est ultérieurement annulée. Son investiture, jusqu'au jour de l'annulation, est plausible.

Il suit de là, inversement, que, à partir de la notification (1) d'une

(1) C'est à partir de la notification et non pas de l'acte de suspension ou de révocation que les actes sont juridiquement nuls. C'est ce qu'a jugé, en 4838, la Cour d'Orléans à propos d'un garde forestier destitué. Les procès-verbaux dressés par cet agent après la destitution mais avant la notification de la destitution ont été déclarés valables. La Cour d'Orléans invoque deux arguments: l'un qui ne vaut rien est tiré de la théorie du mandat civil: le fonctionnaire n'est qu'un mandataire : il faut lui appliquer les art. 2006 et 2008 du Code civil. Le second argument invoqué par la Cour d'Orléans est excellent et c'est le seul à mettre en relief: « Le système contraire aurait pour résultat de paralyser l'action de la justice, de désorganiser l'administration, enfin de compromettre

suspension ou révocation même irrégulière, le maire est provisoirement mis en état d'empêchement; les actes accomplis par lui sont juridiquement nuls comme émanant d'un agent légalement empêché. Cette solution n'est pas très logique. Elle n'est pas sans inconvénients pratiques, puisqu'elle fait produire des effets à une révocation nulle et que son auteur peut savoir parfaitement nulle; pourtant, elle me paraît indispensable pour assurer le fonctionnement régulier et ininterrompu des services publics. Aux yeux du public, l'investiture du maire suspendu ou révoqué n'est plus plausible.

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A mon avis, la solution donnée par la loi de 1884 (art. 84) pour le maire suspendu ou révoqué doit être étendue à tous les cas analogues conseil municipal irrégulièrement dissous et remplacé par une délégation spéciale (art. 44, 1. 1884), conseil général dissous et remplacé par une commission départementale (1. du 10 août 1871, art. 35), etc.

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3e application. Acles accomplis par des agents publics en vertu d'une « délégation» irrégulière (1). — Pour le cas où le titulaire d'une fonction est provisoirement empêché d'exercer sa compétence légale, les lois et règlements organisent la suppléance et la délégation.

Il y a suppléance lorsque, au cas d'empêchement du titulaire, la compétence est, de plein droit, exercée par un autre agent public. Exemple: au cas d'empêchement du maire, la fonction municipale. est exercée par l'adjoint dans l'ordre des nominations (1. 5 avril 1884, art. 84).

Il y a délégation lorsque, pour le cas d'empêchement du titulaire. ou pour aider le titulaire, la loi prescrit qu'un certain agent public désignera un agent public pour exercer provisoirement tout ou partie de la fonction de l'agent empêché ou surchargé. Exemple : au cas d'empêchement du maire, si les adjoints sont aussi empêchés, le conseil municipal désigne un conseiller pour remplir provisoirement la plénitude des fonctions du maire (art. 84, 1. 1884); le maire peut « déléguer » par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints (1. 1884, art. 82).

l'état et la fortune des citoyens, si l'on déclarait nuls tous les actes auxquels aurait concouru un fonctionnaire révoqué alors qu'il ignorait sa révocation » (Orléans, 6 août 1838, Dalloz, Répertoire, Vo Forfaiture, p. 49 note 1).

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(1) LaFerrière, Jur. adm. et rec. cont., 2e édition, II, p. 500 et s. ; CHANTE-GRELLET et PICHAT, Fonctionnaires publics, dans Rep. Béquet, XVI, p. 569, no 163.

Il y a, entre la suppléance et la « délégation », une différence : le suppléant est investi de la fonction, dès avant le cas d'empêchement. Seulement sa compétence est conditionnelle : il ne peut l'exercer que si la condition de fait se trouve réalisée, à savoir l'empêchement. Dans la « délégation », au contraire, l'investiture résulte de l'acte de délégation, qui, en réalité, n'est pas autre chose qu'une nomination.

Ceci posé, supposons qu'un agent public ait exercé la compétence de suppléance ou ait été investi de la fonction par « délégation »>, en dehors des conditions légales. Quelle est la valeur des actes juridiques accomplis par lui? Par exemple, l'adjoint a agi comme suppléant, alors que le maire n'était pas empêché; un conseiller municipal a agi à la place du maire, en vertu d'une « délégation du conseil municipal, alors que les adjoints n'étaient pas empêchés. Les intéressés pourront-ils faire annuler les actes juridiques accomplis par le suppléant ou par le délégué, en invoquant l'irrégularité de la suppléance ou de la délégation » ?

C'est là une question très difficile. A mon avis, pour la résoudre correctement, il faut 1° distinguer soigneusement le cas de suppléance et le cas de délégation », et 2o considérer la nature des actes accomplis.

1o Le suppléant qui agit en dehors des cas d'empêchement est un fonctionnaire régulièrement investi qui exerce sa compétence légale en dehors des cas prévus par la loi. Il y a non pas fonctionnaire de fait, mais fonctionnaire incompétent commettant un excès de pouvoir. Il faut appliquer la théorie de l'excès de pouvoir.

Dans le cas de délégation irrégulière, la situation est celle « » d'une nomination irrégulière; il n'y a pas de raison pour ne pas appliquer la théorie de la fonction de fait; les actes accomplis en vertu d'une « délégation irrégulière seront juridiquement valables à l'égard des tiers lorsque la délégation, quoique irrégulière, constituera une investiture plausible.

La distinction n'est pas subtile. Elle cadre avec les faits. Au cas de suppléance irrégulière, il y a un agent régulier qui veut et qui peut faire fonctionner le service public: les tiers doivent s'adresser à lui. Au cas de « délégation », d'une part, le fonctionnaire régulier ne veut plus faire fonctionner le service public: il a fait une « délégation » qu'il croit régulière; les tiers qui s'adresseraient à lui seraient renvoyés au « délégué ». D'autre part, il est des conditions de la régularité de la « délégation » dont la vérification ne peut pas raisonnablement être exigée des tiers.

2o Il faut considérer la nature des actes accomplis. La théorie des

fonctionnaires de fait a été imaginée en faveur des tiers de bonne foi. Si donc il s'agit d'un acte dirigé contre un tiers (peine, mesure disciplinaire, etc.) ou imposant au public des obligations (règlement), ou s'il s'agit d'un contrat ou d'un acte se rattachant à une opération contractuelle, la règle logique doit s'appliquer l'acte est nul. L'administration ne peut pas se prévaloir d'une théorie spéciale qui n'a pas été faite pour elle (1); les contractants sont tenus de vérifier minutieusement la capacité du cocontractant.

L'analyse qui précède n'est pas faite en général. Des auteurs considérables donnent, pour les deux hypothèses, une solution strictement logique.

Logiquement, dit-on, « la stricte observation des prescriptions légales est une condition nécessaire du transfert de compétence ». Si donc, <«< un agent inférieur a exercé par délégation un pouvoir dont il ne pouvait pas être légalement investi, la décision qu'il aura rendue de bonne foi devra être annulée pour incompétence » (2). En effet, la compétence « ne peut s'imposer aux citoyens que si elle est exercée par son véritable dépositaire »; elle n'existe pas en dehors de lui tel est le principe. Par exception, la loi permet à un suppléant ou à un délégué d'exercer à la place d'autrui un pouvoir qu'il ne possède pas personnellement; mais encore faut-il que toutes les conditions légales de cette dévolution de compétence soient exactement remplies » (3).

«Il paraît difficile, ajoute-t-on, d'étendre aux décisions prises p: r un délégué irrégulier la solution qu'on a quelquefois admise pour les décisions rendues de bonne foi par un fonctionnaire ou un magistrat irrégulièrement nommé. L'adage communis error facit jus ne saurait être invoqué qu'avec beaucoup de réserve en matière de délégations vicieuses. . En ce qui touche les actes administratifs faits par un délégué irrégulièrement désigné, la nullité de la délégation faite en dehors des prescriptions légales... est de droit, et elle entraîn celle des actes faits par le délégué, puisqu'il était incompétent.... Dire qu'une irrégularité dans la délégation, surtout lorsqu'elle. résulte de l'inaptitude légale de celui qui la reçoit, n'a pas pour

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(4) D'ailleurs, elle pourra très souvent invoquer de brefs délais de prescription: deux mois.

(2) LAFERRIÈRE, op. cit, II, p. 505 : « Il nous semble difficile, ajoute LAFERRIÈRE, de ne pas répondre affirmativement, si rigoureuse que cette solution puisse paraitre dans certains cas ».

(3) LAFERRIÈRE, op. cit., II, p. 505 et 506.

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