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investis de plein droit mais sous la condition de l'empêchement (suppléance); tantôt ils doivent être désignés expressément par un certain agent (délégation) (1).

Telle est la règle. Il faut l'appliquer quel que soit l'objet de l'acte; qu'il s'agisse d'un règlement, d'une nomination, d'un jugement, d'une mesure disciplinaire, de la célébration d'un mariage, ou d'un contrat de vente ou de louage de services, etc. Il est évident qu'un ministre, un préfet ne pourrait pas, en dehors des cas de délégation, charger un mandataire de son choix de faire un règlement, de procéder à une nomination, à une révocation; un maire ne pourrait pas, en dehors du cas de délégation, confier à un mandataire de son choix la célébration d'un mariage. La solution n'est pas moins certaine, lorsqu'il s'agit des actes relatifs à la gestion des patrimoines administratifs : vente, bail, louage, échange, etc. C'est, par exemple, le maire (ou le délégué désigné conformément à la loi) qui doit passer l'acte de vente autorisé par le conseil municipal et par le préfet. La vente conclue par un mandataire proprement dit, librement désigné par le maire, serait inexistante. La jurisprudence est très nettement fixée en ce sens (2).

Le mandat proprement dit étant impossible en droit public, il en résulte que la ratification proprement dite est impossible en droit public. En effet, la ratification n'est pas autre chose qu'un mandat après coup. Dès lors, l'acte juridique accompli par l'usurpateur de fonction ne peut pas faire l'objet d'une ratification de la part du fonctionnaire régulièrement investi de la fonction et de la compétence. Cet agent n'aurait pas pu donner à l'individu qui a agi comme usurpateur le mandat d'accomplir l'acte. Il ne peut pas faire, par une ratification, ce qu'il n'aurait pas pu faire par mandat.

II. — Toutefois, il ne faut pas écarter, comme sans valeur juridique, tout acte dénommé acte de ratification. Si, dans les formes et dans les conditions légales pour accomplir l'acte juridique, l'agent régulièrement investi et compétent déclare ratifier ce qui a été fait par l'usurpateur de fonction, on devra voir là non pas une ratification proprement dite, mais l'accomplissement direct d'un acte juridi

(1) Supra, p. 471 et s.

(2) LAFERRIÈRE, Jur. adm. et recours contentieur, 2o éd., II, p. 502; Conseil d'Etat, 21 février 1890, Mimieur, Rec., p. 201: « Il n'appartient pas aux ministres de déléguer, hors des cas prévus par la loi, aucune partie du droit de décision dont ils sont investis ». Cpr. supra, p. 314 et s.

que qui devra être apprécié en lui-même, abstraction faite de l'acte de l'usurpateur auquel on le rattache incorrectement. Et si toutes les conditions légales sont remplies, il n'y a pas de raison pour ne pas faire produire à cette manifestation de volonté des effets juridiques. Seulement ces effets ne seront pas ceux d'une ratification proprement dite. Ce n'est pas l'acte de l'usurpateur qui sera à considérer comme régulièrement accompli par le fonctionnaire légalement. investi et compétent, à partir du jour où l'usurpateur l'a accompli. La manifestation de volonté, improprement qualifiée ratification, produira les effets juridiques de l'acte qu'elle constitue réellement à partir du jour où l'agent régulièrement investi et compétent l'a accompli. En d'autres termes, on est en présence non pas d'un acte ratifié, mais d'un acte nouveau absolument indépendant de l'acte de l'usurpateur.

Prenons un exemple. Voici un soi-disant mariage célébré par un usurpateur. Ultérieurement, le maire régulièrement investi et compétent célèbre à nouveau le mariage en observant toutes les formes légales (1) et ajoute que la célébration a pour objet de ratifier le mariage antérieurement célébré par l'usurpateur. Cette déclaration de ratification est sans valeur. Le mariage n'existe avec tous ses effets juridiques qu'à partir de la célébration par l'officier de l'état civil régulièrement investi et compétent.

III. Le Parlement, par une loi générale et impersonnelle, ne pourrat-il pas ratifier les actes des usurpateurs? En fait, le Parlement français n'hésitera pas à répondre affirmativement, car il a la conviction de son omnipotence.

A mon avis, il n'est pas possible de parler de ratification proprement dite. Ce que peut faire le Parlement, c'est de décider, d'une manière générale et impersonnelle, que certaines situations juridiques résulteront, pour l'avenir, des actes accomplis par les usurpateurs.

Prenons le cas des mariages célébrés par des usurpateurs. Le Parlement pourrait très correctement décider que les individus que des usurpateurs auront déclarés unis par les liens du mariage auront, dans l'avenir, le status d'époux et que les enfants déjà nés ou à naître auront le status d'enfants légitimes.

(1) C'est ce qui s'est produit en 1870 à Marseille. Sept mariages avaient été célébrés par des usurpateurs de fonctions. Ultérieurement, six de ces mariages ont été de nouveau célébrés Il n'y a pas eu ratification. C'est à partir seulement de la nouvelle célébration qu'il y a eu mariage avec tous les effets juridiques. Cpr. supra, p. 464 note 2.

Pour agir correctement, il faudrait réserver les situations juridiques régulièrement nées au profit des tiers. Si, par exemple, après le mariage célébré par un usurpateur et avant la loi dite de ratification, un des prétendus époux venait à mourir, le pseudo conjoint survivant ne pourrait pas, même après la loi dite de ratification, faire valoir, contre les héritiers naturels, les droits de succession résultant de son prétendu mariage.

D'ailleurs, il est probable que le législateur français, convaincu de son omnipotence, en déciderait autrement. Les tribunaux français, qui partagent cette conviction et qui n'ont pas le pouvoir d'écarter les lois inconstitutionnelles (supra, p. 210), appliqueraient la loi malgré son incorrection. C'est dire que la question en examen n'a pas d'importance pratique. Il n'y a pas lieu d'y insister davantage (1).

§ 3

Les solutions de la loi et de la jurisprudence françaises en ce qui touche la responsabilité pénale des usurpateurs et des fonctionnaires de fait.

Il suffira de signaler (2) le fait que le Code pénal français (3) a frappé l'usurpateur de fonction et même, dans certains cas, le fonctionnaire de fait d'une sanction pénale. Le délit et les peines sont inscrits dans les articles 197 et 258 du Code pénal.

I. — Art. 197 : « Tout fonctionnaire public révoqué, destitué, suspendu ou interdit légalement, qui, après en avoir eu la connaissance officielle, aura continué l'exercice de ses fonctions, ou qui, étant électif ou temporaire, les aura exercées après avoir été remplacé, sera

(4) Cpr. supra, p. 86 et s. ; et surtout p. 131 et s.

(2) Pour le commentaire de ces textes voyez surtout les développements du professeur GARÇON, Code pénal annoté, I. p. 474 et s.; p. 609 et s.; GARRAUD, Traite de Droit pénal, IV, nos 1243, 1396 et s.: - CHANTEGRELLET et PICHAT Fonctionnaires publics, Rép. Béquet, XVI, p. 570 et s; nos 164 et s.

(3) Avant 1810, il y avait une loi des 15-16 septembre 1792 ayant le même objet. Cette loi était très sévère à raison de la fréquence, à cette époque troublée, des usurpations de fonction et des visites domiciliaires, perquisitions, effectuées par des usurpateurs.

puni d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et d'une amende de 100 francs à 500 francs. Il sera interdit de l'exercice de toute fonction publique pour cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où il aura subi sa peine... ». Ce texte a été appliqué par la jurisprudence (1) :

1° à un notaire destitué qui avait continué, sous le titre d'agent d'affaires, l'exercice de ses fonctions notariales, dans des conditions de fait particulières : non seulement le notaire destitué avait con servé le même local, mais par des manoeuvres répétées il avait cherché à donner aux tiers la croyance qu'il pouvait continuer, comme par le passé, à faire des actes notariés (2).

2o à des membres d'un conseil de fabrique, révoqués, et qui avaient continué d'exercer leurs fonctions, bien que la révocation eût été portée à leur connaissance (3).

3o Un arrêt ancien fait une application très intéressante de l'article 197 du Code pénal, et il y aurait lieu, à mon avis, de donner aujourd'hui encore la même solution (4). Un conseil municipal avait été dissous; le maire et les adjoints avaient été révoqués; une délégation avait été nommée. Un adjoint révoqué, soutenant que la dissolution était illégale et que, par suite, la révocation et la nomination de la délégation étaient irrégulières, avait continué à exercer les fonctions, nonobstant la révocation. La Cour de cassation (Chambre criminelle) a décidé que l'article 197 du Code pénal lui était applicable (5).

(1) Voyez surtout Cass. 30 oct. 1886, Rogat, S. 86. 4. 493; et 12 mai 1894, Angelini, D. 98. 1. 548.

(2) Cassation, 13 décembre 1894, Montella, S. 96. 1. 249 (Voyez la note). Cpr. aussi Orléans, 13 déc. 1850, D. 51. 2. 175. Pour l'application à un huissier: Cass. crim., 11 avril 1835, Choy, S. 35. 1. 246.

(3) Cass. crim, 30 octobre 1886, Rogat, S 86. 1. 493; D. 87. 1. 507. (4) Pau, 29 décembre 1841, Arsac; Cass., 26 février 1842, Arsac, S. 1842. 1. 962. Cpr. 12 mai 1894, Angelini, D. 98. 1. 548.

(5) Cass., 26 février 1842 : « La dissolution des conseils municipaux peut être prononcée par le Roi. Dans cette sphère d'attributions, les actes de la puissance exécutive ont un caractère d'urgence; ils intéressent essentiellement l'ordre public, commandent l'obéissance et ne peuvent être attaqués que par les voies légales... Les fonctionnaires ainsi révoqués devaient cesser leurs fonctions et n'avaient pas de contrôle à exercer sur les formalités à remplir pour l'installation de la nouvelle municipalité... Après avoir eu connaissance officielle, tant de l'ordonnance que de l'arrêté préfectoral, J. G. a continué l'exercice de ses fonctions d'adjoint provisoire, sous le prétexte que l'ordonnance de dissolution... était radi

II. Art. 258: « Quiconque, sans titre, se sera immiscé dans des fonctions publiques, civiles ou militaires, ou aura fait les actes d'une de ces fonctions, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, sans préjudice de la peine de faux, si l'acte porte le caractère de ce crime ».

Il a été fait application de ce dernier texte :

1o à un individu qui, à l'aide d'une série de manœuvres, s'était fait passer pour un agent de la police ayant le droit de procéder à une arrestation (1);

2o aux préposés de la Commune de 1871 qui s'étaient immiscés dans la perception des impôts (2).

Un tribunal, en 1850, a appliqué l'art. 258 à un agent public, régulièrement investi, qui avait dépassé les limites de sa compétence (3); en fait, il s'agissait d'un adjoint qui avait célébré un mariage à la place du maire, en profitant d'une absence momentanée du maire. Mais cette solution a été très généralement critiquée, et il n'est pas probable qu'aujourd'hui il se trouverait un tribunal pour voir dans l'article 258 la sanction d'une règle de compétence (4).

III. Pratiquement, les sanctions pénales contre les usurpateurs ou les fonctionnaires de fait sont très rarement infligées. C'est qu'en effet il n'y a délit pénal qu'autant qu'il y a l'élément intentionnel. Or, l'opinion générale, touchant cette intention, est que l'usurpateur doit avoir conscience qu'il s'immisce, sans titre, dans une fonction publique; par conséquent, il doit avoir la volonté de commettre, en tant que délit, le fait qui lui est reproché.

Certains mèmes affirment que l'absence du titulaire régulier de la fonction, le besoin de pourvoir à un service public urgent sont de nature à écarter toute intention coupable; l'usurpateur, le fonctionnaire de fait qui aurait de bonnes intentions ne commettrait done

calement nulle; en décidant qu'il s'était par là rendu coupable du délit prévu et puni par l'art. 197 du Code pénal, l'arrêt attaqué a fait une juste application dudit article et n'a violé aucune loi ». Cpr. 12 mai 1894, Angelini, D. 98. 1. 548, une affaire analogue.

(1) Cassation, 14 juin 1864, D. 61. 1. 355.

(2) Pour l'application de l'art. 258 aux comptables de fait, voyez surtout Cass. 16 mars 1888. Henriot, S. 89. 1. 45; D. 88. 1. 393, avec le rapport du conseiller SALLANTIN.

(3) Tribunal de Chateauroux, 19 juillet 1850, D. 52. 2. 133; voyez la note critique.

(4) GARÇON, Code pénal annoté, I, 609 et s.

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