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pas un délit les articles 197 et 258 du Code pénal ne lui seraient pas applicables (1).

Cette manière de voir est peut-être excessive (2). En tout cas, elle montre combien restreint pratiquement est le champ d'application des sanctions pénales.

S4

Les solutions de la loi et de la jurisprudence françaises touchant les rapports entre l'administration et l'usurpateur de fonction ou le fonctionnaire de fait.

Dans quelle mesure l'usurpateur de fonction ou le fonctionnaire de fait peut-il, vis-à-vis de l'administration, invoquer, à son profit, l'occupation irrégulière de la fonction?

Dans quelle mesure l'administration peut-elle mettre en jeu la responsabilité pécuniaire de l'usurpateur ou du fonctionnaire de fait à raison de l'exercice de la fonction irrégulièrement occupée ?

Tels sont les deux grands problèmes qui doivent maintenant être résolus.

On peut, d'après la loi et la jurisprudence françaises, formuler les trois propositions suivantes.

1re proposition. En règle, ni l'usurpateur de fonction, ni le fonctionnaire de fait ne peuvent invoquer, à leur profit, l'occupation irrégulière de la fonction, pour obtenir un avantage personnel quelconque.

2e proposition. En règle, au cas où un individu qui a occupé indûment la fonction a procuré un enrichissement à un patrimoine administratif, l'usurpateur ou le fonctionnaire de fait peuvent agir en indemnité jusqu'à concurrence de l'enrichissement procuré.

3e proposition. Lorsque l'usurpation de fonction ou la fonction de fait est accompagnée de maniement irrégulier de deniers publics, l'administration peut user, contre l'usurpateur ou le fonctionnaire

(1) Le professeur GARRAUD (Droit pénal, IV, no 1243) écrit : « Il faut avoir la conscience de l'illégalité commise.. La loi punit, en effet, une usurpation de pouvoirs, une sorte de rébellion du fonctionnaire destitué ou suspendu; elle exige donc, pour son application une volonte caractérisée de la part de l'agent ».

(2) GARÇON, Code pénal annoté, I, p. 609 et s.

de fait, de la procédure de la déclaration de comptabilité de fait ou occulte.

Reprenons ces trois propositions.

I

En principe, ni l'usurpateur de fonction, ni le fonctionnaire de fait ne peuvent invoquer, à leur profit, l'occupation irrégulière de la fonction pour obtenir un avantage personnel quelconque traite ment, pension, avancement, etc.

Cette solution est logique pour obtenir un avantage personnel, il est logique de présenter un titre régulier. De plus, c'est uniquement dans l'intérêt du public, dans l'intérêt de la bonne marche des services publics, dans l'intérêt du crédit public, de la paix sociale, que les actes des fonctionnaires de fait sont considérés comme valables bien qu'émanant d'individus irrégulièrement investis (1). Enfin cette solution a un grand avantage pratique : elle est de nature à décourager les usurpateurs de fonctions, les fonctionnaires de fait. C'est là un résultat pratique excellent.

Toutefois, il y a lieu de se demander si le principe ne doit pas être combiné avec deux autres principes incontestés du droit public français actuel :

1o Les patrimoines administratifs ne doivent pas s'enrichir sanscause aux dépens d'autrui;

2° Lorsqu'un individu est fonctionnaire de fait uniquement par la faute ou par le fait des agents publics chefs du service, celui qui, de bonne foi, a occupé irrégulièrement la fonction doit être indemnisė du préjudice qu'il a subi, recevoir une allocation pécuniaire pour les services qu'il a rendus de bonne foi.

Voici quelques applications:

Un agent public ne peut

Are application. Pension de retraite. faire entrer en compte, pour le calcul de sa pension de retraite, les services correspondant au temps pendant lequel il a été investi irrégulièrement d'une fonction. Aux termes d'un avis du Conseil d'Etat (section des finances) en date des 3 février et 21 juin 1880, pour avoir droit à pension, il faut être investi d'un titre régulier. Dès lors, le fonctionnaire nommé irrégulièrement et dont la nomination est.

(1) Supra, p. 445 et s.

ultérieurement annulée (1) ne pourra pas invoquer à son profit pour le calcul de ses services (2) le temps pendant lequel il a été fonctionnaire de fait (3).

(1) Au moment où la pension est liquidée, l'administration doit considérer comme réguliers les titres d'investiture irréguliers qui n'ont pas été annulés par les voies de droit. Le Conseil d'Etat a jugé que devaient entrer en compte pour le calcul de la pension les services accomplis en vertu d'une nomination irrégulière, si cette nomination n'a pas été annulée. Le liquidateur de la pension doit tenir pour réguliers les titres d'investiture qui n'ont pas été annulés. C. d'E., 20 novembre 1896, Faras, Rec., p. 742 : « La décision par laquelle le Ministre de l'Inst. publique a rejeté la demande de pension de retraite... est uniquement fondée sur ce que les services rendus par la requérante sans être pourvue du brevet de capacité, du 1er novembre 1870 au 30 septembre 1874, ne peuvent entrer en compte pour la liquidation d'une pension. La requérante a été nommée institutrice par arrêté préfectoral du 2 novembre 1870 rendu sur la proposition de l'inspecteur d'académie; elle a exercé ses fonctions en vertu de cette nomination pendant 3 ans et 11 mois ; elle a été payée sur les fonds communaux et, d'ailleurs, son traitement a été soumis aux retenues prescrites par la loi de... 1833. Dans ces conditions, c'est à tort que le Ministre.. a refusé de tenir compte des services rendus par la requérante du fer novembre 1870 au 30 sept. 1874, par le motif que la dame F. n'était pas, à cette époque, pourvue du brevet de capacité... ». — C d'E., 2 avril 1898, Lejeune, Rec., p 301: Il s'agissait d'un instituteur qui avait été nommé instituteur avant d'avoir l'âge de 20 ans. La nomination était irrégulière, mais elle n'avait pas été annulée. Le Ministre, au jour de la liquidation de pension, a prétendu écarter les services accomplis en vertu d'une nomination irrégulière. Le C. d'E. a écarté cette prétention: « Il résulte de l'instruction que le sieur L. a effectivement exercé du 1er octobre 1870 au 31 mars 1871 les fonctions d'instituteur adjoint... et qu'il a reçu en cette qualité une rétribution ayant le caractère d'un traitement soumis à retenue... Il suit de là que sa veuve est fondée à demander une pension ». Cpr. C. d'E. 28 mai 1897, Vincent, Rec, p. 429.

(2) Il faut, à mon avis, appliquer la solution donnée par le C. d'E. pour les services effectués en dehors des cadres réguliers et permanents de l'administration Ces services ne comptent pas pour la retraite. C. d'E. 14 décembre 1912, Seignon, Rec., p. 4181: Un individu a été chargé, par le maire d'une commune, de certains travaux; il n'était qu'agent auxiliaire, n'appartenant pas au cadre régulier et permanent de l'administration municipale. « Les services rendus en cette qualité... ne sont pas de la nature de ceux qui..... donnent droit à pension, et c'est avec raison qu'ils n'ont pas été compris dans la liquidation de sa pension de retraite ».

(3) Prenons l'hypothèse inverse. L'agent révoqué irrégulièrement qui obtient l'annulation de sa révocation peut-il faire entrer en compte le

2e application. Traitement. -1° L'usurpateur de fonctions ne peut, en aucun cas, réclamer le traitement attaché à la fonction qu'il a occupée sans titre. Le comptable devrait refuser de payer l'ordonnance ou le mandat délivré à l'usurpateur, pour défaut de justification de services régulièrement faits. D'ailleurs, les règlements de comptabilité exigent, à l'appui des ordonnances ou mandats du premier traitement des fonctionnaires publics, la mention de l'acte d'investiture (nomination ou élection).

2o Le fonctionnaire de fait a un titre irrégulier: en vertu de ce titre irrégulier, tant que l'irrégularité n'est pas officiellement constatée et l'investiture annulée, il a le droit d'exiger le traitement attaché à la fonction qu'il occupe. Tant que le titre n'est pas annulé, foi est due au titre. L'ordonnateur, le comptable ne pourraient pas refuser de procéder à l'ordonnancement ou au paiement sous prétexte que le titre est irrégulier (supra, p. 510 note 1).

Mais supposons que le titre soit ultérieurement annulé; le fonctionnaire de fait peut-il réclamer les traitements échus, mais non touchés ? Sera t-il obligé de reverser toutes les sommes qu'il a touchées pendant la période qui s'écoule entre l'investiture irrégulière et le jour de l'annulation du titre ?

Dans le sens de l'affirmative, on doit dire que l'individu ne peut se faire verser, ne peut conserver dans son patrimoine des deniers publics qu'en vertu d'un titre régulier. L'art. 10 § 1 du règlement de comptabilité publique de 1862 dit expressément : « Aucun paiement

temps écoulé depuis sa révocation jusqu'à sa réintégration. Ceci est une tout autre question. La seule raison de douter vient des termes de l'art. 5 de la loi du 9 juin 1853 : « Le droit à la pension de retraite est acquis pour ancienneté à soixante ans d'âge et après 30 ans accomplis de services. » On entend ces derniers mots en ce sens que les services doivent être effectifs.

A mon avis, le fonctionnaire a été mis, par la faute de l'administration, dans l'impossibilité de rendre des services effectifs. Les services doivent donc être comptés pour la pension. Il faut adopter, en matière de pension, la solution admise par le C. d'E. en matière de traitements; le fonctionnaire irrégulièrement révoqué dont la révocation est annulée peut exiger le versement de son traitement pour tout le temps écoulé depuis la révocation irrégulière jusqu'à sa réintégration. Jurisprudence constante. C. d'E., 8 juillet 1910. Danger, Rec., p. 578 : « L'annulation de l'arrêté, par lequel le maire... a remplacé le sieur D. dans ses fonctions de secrétaire de la mairie, a pour conséquence le droit pour le requérant d'obtenir le paiement du traitement, dont il a été privé, à partir du jour de sa révocation] jusqu'au jour où sa situation sera régulièrement fixée... » C. d'E., 43 décembre 1912, Turgot, Rec., p. 1206.

ne peut être effectué qu'au véritable créancier justifiant de ses droits et pour l'acquittement d'un service fait ». Celui qui n'a pas un titre régulier d'investiture n'est pas un véritable créancier justifiant de ses droits.

Des arrêts très anciens du Conseil d'Etat semblent poser en principe que le traitement afférant à une fonction publique ne peut pas être réclamé lorsque la nomination à cette fonction émane d'une autorité incompétente. Si donc un individu a occupé une fonction en vertu d'une nomination irrégulière, il ne peut pas réclamer les traitements échus et non touchés (1).

(1) C. d'E. 29 mai 1822, de Minuty, Rec.. 1822, I, p. 512. Il s'agissait d'un individu nommé en 1803 commissaire de justice ou grand juge provisoire à Saint-Domingue par les généraux Leclerc et Rochambeau qui étaient revêtus des pouvoirs les plus étendus. Il n'avait pas été reconnu par le gouvernement de la métropole. Néanmoins, il avait exercé ses fonctions paisiblement pendant plusieurs années et en avait touché en partie les émoluments. Après sa mort en 1808, sa veuve réclama le reliquat du par le Trésor. Le ministre refusa en invoquant un arrêté consulaire du 30 vendémiaire an XI, relatif aux nominations coloniales, aux termes duquel : « tout grade, titre, appointement, qui n'a pas été donné ou reconnu par le gouvernement est de nul effet, et ne peut motiver aucun règlement de décompte (art. 4er) ». Le ministre observait que ce texte avait été exécuté constamment et sans exception, à l'égard de tous les salariés appartenant au service des colonies, et que cette jurisprudence avait été maintenue depuis la Restauration. C'est en ce sens que s'est prononcé le C. d'E. : « Vu la requête à nous présentée au nom de la dame C. S. de M. créancière, à cause de ses reprises matrimoniales, de F. L. de M., son mari, ancien greffier de la sénéchaussée et de l'amirauté au Port de Paix, île de Saint-Domingue, ancien grand juge par intérim de cette colonie, où il est décédé premier président de la Cour d'appel; Vu l'arrêté du 30 vendémiaire an XI portant art. 1er (comme ci-dessus)... Loin d'avoir reconnu le dit sieur de M. comme grand juge provisoire de Saint-Domingue, il résulte de la lettre de notre Ministre de la marine que le gouvernement a formellement désapprouvé son installation en cette qualité » (Rejet).

Le C. d'E. a fait en 1824 (C. d'E., 26 août 1824, Froideraux, Rec., p. 541) une autre application du même arrêté du 22 octobre 1802 (30 vendémiaire an XI). Le sieur F. avait exercé, dans l'ile de Saint-Domingue, les fonctions de commissaire des guerres et de marine en vertu de nominations faites par le préfet colonial et le général Ferrand, commandant en chef. Il avait occupé ses fonctions depuis l'an X jusqu'en 1809, c'est-à-dire pendant toute la durée de l'expédition qui eut lieu contre la colonie. Il avait touché une partie de son traitement. Il réclamait le surplus : « Les fonetions provisoires exercées, disait-il, lui ayant été légalement conférées par des autorités compétentes, il avait eu droit au traitement attaché à ces

Jèze.

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