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Cela tient à ce que les juridictions n'ont jamais encore eu à statuer franchement sur le point de savoir si c'était l'une ou l'autre action qui devait être admise.

III

Lorsque l'usurpation de fonction ou la fonction de fait est accompagnée de maniement irrégulier de deniers publics, l'administration peut user, contre l'usurpateur ou le fonctionnaire de fait, de la procédure de la déclaration de comptabilité de fait ou occulte (1).

Cette procedure n'est pas spéciale à l'usurpateur ou au fonctionnaire de fait. Elle s'applique à tous ceux, même fonctionnaires régulièrement investis, - qui ont manié irrégulièrement les deniers publics. Mais comme elle peut être employée contre les usurpateurs et les fonctionnaires de fait, il convient d'en dire rapidement quelques mots (2).

Pour que la procédure de la déclaration de comptabilité de fait puisse être employée, il faut la réunion de plusieurs conditions qui se résument toutes dans cette formule : il faut qu'il y ait eu maniement irrégulier de deniers publics. Il faut qu'un individu, autre qu'un comptable régulier, ait, sans autorisation légale, fait sortir des caisses publiques des deniers publics ou qu'il ait négligé de faire entrer dans les caisses publiques des deniers publics, et qu'il ait disposé

peut apprécier la convenance et l'utilité de la dépense, la seule autorité compétente pour cela sera celle qui est chargée de la gestion des biens de la personne morale ». Il est fort possible que tel soit le sens de l'arrêt ; mais ce n'est pas très sur. La preuve, c'est que l'arrêtiste du Dallos, estime que l'arrêt de 1893, « sans nier qu'il y eût un autre juge pour statuer sur la question de gestion d'affaire proposée, a décidé que la Cour d'appel avait méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ». Le professeur HAURIOU, dans sa note du Sirey, déclare, au contraire, que cette décision est de nature à causer quelque inquiétude aux partisans de l'application des principes de la gestion d'affaires en matière administrative. Ce n'est point que la Cour de cassation abandonne expressément le système si nettement affirmatif qu'elle suivait depuis 1870; mais elle évite de se prononcer sur le fond. Elle ne statue que sur une question de compétence... ».

(1) Supra, p. 462 et 463.

(2) La théorie de la comptabilité de fait a été exposée avec un grand luxe de détails et d'une manière aussi complète que possible par MM. MarQUÈS DI BRAGA et C. Lyox, op. cit. (Rép. de BÉQUET, VI, VII et VIII). Voyez un exposé succinct de cette théorie dans JEZE, Cours élém. de Sc. des finances, 5o édition, 1942, p. 259 et s.

de ces deniers (1). Peu importent ses intentions; peu importe qu'il ait géré très honnêtement ces deniers, qu'il les ait employés jusqu'au dernier centime pour des dépenses d'intérêt public. Il pourra être déclaré comptable de fait.

Cette déclaration de comptabilité occulte est prononcée soit par le Ministre, soit par le chef de service.

Observons que parfois cette déclaration n'interviendra pas. Dans le cas où l'administration connait l'insolvabilité du comptable de fait, si elle a à sa disposition le moyen de l'inexistence ou de la nullité juridique des paiements effectués et si les parties prenantes sont solvables, c'est ce deuxième procédé qui est le plus pratique. Quoi qu'il en soit, en supposant que l'administration ait recours à la déclaration de comptabilité de fait, les conséquences de cette déclaration sont les suivantes :

1o L'individu déclaré comptable de fait doit présenter un compte de sa gestion extraréglementaire, en l'appuyant de pièces justificatives pour toutes les opérations de recettes et de dépenses effectuées. Et c'est l'autorité qui juge les comptes des comptables patents Cour des comptes pour les comptables de l'Etat, des départements et des villes, conseils de préfecture pour les comptables des petites commuqui apurera ce compte, déterminera les formes à suivre, les délais à observer pour la présentation du compte, les pièces à produire.

ՍՐՏ.

La justification des recettes sera parfois difficile. Si le juge des comptes n'est pas satisfait de la preuve, il mettra le comptable en charge pour la somme qu'il estimera avoir été reçue par le rendant compte. Le juge des comptes a un pouvoir discrétionnaire à cet égard il se montrera plus ou moins rigoureux suivant que le renda.t compte est un honnête homme ou un malhonnête homme.

En ce qui concerne la justification des dépenses, la chose est encore

(1) Décret du 31 mai 1862 sur la comptabilité publique, art. 25: « Toute personne autre que le comptable qui, sans autorisation légale, se serait ingérée dans le maniement des deniers publics, est, par ce seul fait, constituée comptable, sans préjudice des poursuites prévues par l'article 258 du Code pénal, comme s'étant immiscée sans titre dans des fonctions publiques. Les gestions occultes sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent la même responsabilité que les gestions patentes et régulièrement décrites. Peut, néanmoins, le juge, à défaut de justifications suffisantes et lorsqu'aucune infidélité ne sera révélée à la charge du comptable, suppléer, par des considérations d'équité, à l'insuffisance des jus tifications produites ».

plus difficile. D'abord, la dépense effectuée irrégulièrement par le rendant compte devra être soumise à l'approbation de l'autorité budgétaire pour décider si la dépense a été faite dans un intérêt public. L'autorité budgétaire a un pouvoir discrétionnaire d'appréciation; elle peut refuser d'approuver une dépense absolument utile. Le juge du compte ne peut que constater ce refus d'approbation, et il doit écarter la dépense non approuvée. Le comptable de fait est alors mis en charge et déclaré débiteur avec toutes les conséquences de droit (intérêts moratoires, contrainte, voies d'exécution, hypothèque légale sur les biens, etc.). Si l'autorité budgétaire approuve la dépense, le juge des comptes examine si les dépenses effectuées ont bien été faites, si les pièces justificatives produites sont en bonne forme. — Encore ici, le juge du compte a un pouvoir d'appréciation discrétionnaire s'il n'y a pas de pièces, il pourra, au cas où le comptable de fait n'a pas agi malhonnêtement, suppléer par des considérations d'équité à l'insuffisance des justifications produites. Au cas où le juge du compte rejette une dépense comme injustifiée, le comptable est mis en débet avec toutes les conséquences de droit, rappelées ci-dessus.

On voit combien rigoureuse est cette procédure, et combien dangereuse pour le comptable de fait

Je rappelle que la mise en débet du comptable de fait par le juge des comptes ne signifie pas du tout que le comptable ne pourra pas porter devant les tribunaux compétents une action récursoire de in rem verso contre le patrimoine administratif qui s'est enrichi sans cause à ses dépens. Cette action est possible (1).

(1) Conclusions de M. TEISSIER, dans l'affaire Sapor. C. d'E., 7 mai 1909, Rec., p. 466. V. supra, p. 322 note.

APPENDICE AU LIVRE PREMIER

Chapitre VI, section III, IV (p. 433).

Dans quelle mesure peut-on toucher à la situation juridique amenée par l'acte-condition? Du retrait de l'acte-condition.

IV

Les solutions qui prévalent touchant les actes de nomination, de révocation, d'admission à la retraite, de mise en réforme, etc., doivent être généralisées: elles s'appliquent à tous les actes-conditions qui investissent un individu d'un status légal on réglementaire.

Ces actes sont très nombreux. Fréquentes sont, en effet, en droit public français, les hypothèses dans lesquelles l'administration est appelée à donner des autorisations, des permissions, condition pour qu'une activité individuelle puisse régulièrement s'exercer autorisation de bâtir, autorisation pour ouvrir, exploiter un établissement dangereux, incommode ou insalubre, autorisation pour ouvrir un bureau de placement payant, autorisation pour fonder un établissement d'aliénés, autorisation de faire une inhumation dans une propriété privée, permis de chasse, etc. Ces cas étaient autrefois encore plus nombreux autorisation pour publier un journal, pour fonder une imprimerie, pour exercer la profession de colporteur, pour tenir une réunion publique, pour former une association de plus de vingt personnes, pour ouvrir un débit de boissons, etc. (1).

(1) Je laisse de còté les autorisations d'occupation temporaire du domaine public Il est très probable que ce ne sont pas des actes-conditions; ces autorisations n'investissent le bénéficiaire d'aucun status légal ou réglementaire; il semble bien que ce soient des actes unilatéraux createurs de situation juridique individuelle: l'individu bénéfi

Toutes ces autorisations, permissions, concessions, licences, quel que soit le nom que la pratique leur donne, — sont des actes-conditions dont le mécanisme est très facile à comprendre.

Il est des circonstances de fait, où, d'après les idées du moment, la libre activité d'un individu ou d'un groupe d'individus est considérée comme de nature à compromettre gravement la sécurité, la tranquillité, la salubrité publiques, ou, d'une manière plus générale, à constituer un péril social, selon les conditions dans lesquelles cette activité s'exercera. C'est pourquoi, avant toute manifestation de cette activité, les agents publics sont appelés par la loi à examiner les conditions dans lesquelles cette activité va se produire et l'influence probable de cette activité sur la sécurité, la tranquillité, la salubrité publiques, ou, d'une manière plus générale, sur le corps

social.

Ceci posé, le mécanisme juridique est le suivant (1):

1o Une interdiction générale est adressée aux individus d'exercer leur activité dans un certain sens interdiction de chasser, interdiction d'inhumer dans les propriétés particulières, interdiction d'exploiter des établissements dangereux, incommodes ou insalubres, interdiction d'ouvrir un bureau de placement payant, etc., etc. 2o Toutefois, les agents publics reçoivent le pouvoir de lever cette interdiction, après avoir constaté que le corps social ne court aucun danger dans le cas particulier, ou moyennant l'observation de certaines précautions prises dans le cas particulier.

L'autorisation, permission, concession, licence, délivrée par les agents publics, est donc la condition pour qu'un individu soit soustrait au régime juridique impersonnel de l'interdiction d'activité et placé sous le régime juridique impersonnel de la liberté d'agir. Ce sont des actesconditions.

Les individus qui ont obtenu la permission, l'autorisation, la concession, la licence, sont investis d'un status légal : ils ont la liberté générale, impersonnelle d'agir comme si l'interdiction n'existait pas. Ils ne sont pas dans une situation juridique individuelle : encore une fois, l'autorisation ne crée pas de situation juridique individuelle: elle applique à un individu un status légal. L'autorisation ne crée rien par elle-même. Pour l'individu qui l'a obtenue, l'effet juridique

ciaire est créancier d'une obligation de faire ou de ne pas faire, à la charge d'un patrimoine administratif.

(1) Cpr. ma note dans R. D. P. 1904, p. 270 et s.

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