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mettre à exécution il commet nécessairement une voie de fait, avec toutes les conséquences attachées à cette idée (1); en particulier, la résistance passive est licite (2); la responsabilité personnelle (pénale ou seulement civile) de l'agent d'exécution est engagée (3).

2o Il est des irrégularités qui ont des conséquences moins graves; elles entraînent la nullité radicale de l'acte; en d'autres termes, l'acte n'est pas inexistant; il existe, mais il est très gravement vicié; il n'est pas absolument privé d'effets juridiques, mais il n'a qu'une efficacité très précaire. Tout le monde peut invoquer cette nullité; elle peut être opposée à toute époque et par tous moyens (action, excep tion); elle ne peut pas être couverte, ni par la prescription, ni par la ratification. Le juge, à qui on demande de prononcer l'annulation, n'a aucun pouvoir discrétionnaire d'appréciation (4). - Néanmoins, l'acte existe tant qu'il n'a pas été annulé par l'autorité compétente (5).

était empreinte d'un vice radical; aucune ratification ultérieure ne peut détruire cette nullité originale » .

(1) Conflits, 22 avril 1910, Piment, Rec., p. 324: «L'ordre verbal donné... aux dates et dans les conditions indiquées ci-dessus, de sonner les cloches de l'église pour un enterrement civil, ne saurait être envisagé comme un acte administratif fait par le maire dans le cercle de ses attributions, mais constitue une simple voie de fait, ou tout au moins un fait personnel »

(2) Cpr. Grenoble, 27 septembre 1902; Cassation, 3 déc. 1902, Vincendon Dumoulin et le rapport du conseiller Bard (Gazette des Tribunaux. 3 déc. 1902). Cpr. la note du prof. CHAVEGRIN dans Sirey, 1904. 3.57. V. ALCINDOR, op. cit., p. 29 et s. pour les difficultés d'application de l'idée. (3) Conflits, 22 avril 1910, Piment, Rec., p. 324; voyez supra la note 1. Toutes les fois qu'il y a voie de fait, il y a faute personnelle de l'agent public, au sens technique de cette expression, c'est-à-dire faute engageant sa responsabilité pécuniaire personnelle devant les tribunaux judiciaires. Cpr. Jeze, Responsabilité personnelle des fonctionnaires publics, R. D. P., 1909, p. 263 et s.; p. 267 et s; DUGUIT, Tr. de Droit Const, I. p. 554; HAURIOU, note dans Sirey, 1910. 3. 430.

(4) Exemple : une délibération d'un conseil municipal prise en violation d'une loi ou d'un règlement d'administration publique, art. 63, 1. 5 avril 1884 Cpr. toutefois MOREAU, op. cit., R. D. P. 1912, p. 258 et s. (5) La règle est certaine; mais l'explication de cette règle a donné lieu à des difficultés. On peut en donner - et on en a donné deux raisons: 1o la marche des services publics exige que les actes, même irréguliers, — mais non inexistants - produisent provisoirement leurs effets : sinon, l'action administrative serait paralysée; 2° l'acte irrégulier, mais non inexistant, a une apparence de légalité cette apparence de légalité doit lui faire produire provisoirement les effets de l'acte régulier. Cpr. ALCINDOR, op. cit., p. 50 et s.

C'est là la différence capitale avec l'acte inexistant. Et le seul fait que l'acte existe jusqu'à ce que la nullité ait été prononcée pourra entraîner l'irrégularité d'un nouvel acte juridique accompli pour remplacer l'acte irrégulier (1). Enfin la mise à exécution, par un agent public, de l'acte entaché d'une irrégularité entraînant la nullité radicale ne constitue pas nécessairement une voie de fait; elle n'engage pas nécessairement la responsabilité personnelle de l'auteur de l'acte, ni des agents d'exécution (2).

3o Certaines irrégularités entraînent une nullité moins radicale de l'acte; l'acte existe et il a une existence précaire, mais moins précaire que dans le cas de nullité radicale. La nullité peut être invoquée par un très grand nombre d'individus tous les intéresses (3). Il se peut que, par voie indirecte, par voie d'exception, la nullité puisse être opposée à toute époque; mais par voie d'action directe, elle ne pourra l'être que pendant un certain délai. D'ailleurs, le juge ne peut pas refuser de prononcer la nullité; il n'a aucun pouvoir d'appréciation. Naturellement, l'exécution de cet acte par un agent public ne constitue pas une voie de fait. On pourrait appeler cette sanction, la nullité simple.

40 Il est des irrégularités qui n'entraînent qu'une nullité, toule relative, de l'acte. L'acte ne pourra être annulé que sur la demande de certains intéressés, en nombre très restreint. La nullité ne pourra être

(1) Voici un exemple emprunté à la jurisprudence. L'élection d'un maire est entachée d'une irrégularité entraînant la nullité radicale de l'acte inéligibilité, par exemple. Si, l'élection faite, le conseil municipal s'aperçoit de l'irrégularité et, pour la réparer, procède à une élection nouvelle, cette deuxième élection sera irrégulière : le premier acte d'élection subsiste tant qu'il n'a pas été annulé ; la mairie n'était pas vacante. C. d'E., 8 mars 1901, Commune de Chaourse, Rec., p. 277 : « Cette élection (du 24 mai 1900) n'ayant pas été attaquée devant le conseil de préfecture, c'est à tort qu'il a été procédé, le 1er juin suivant, à de nouvelles opérations électorales; par suite, il y a lieu d'annuler l'élection du sieur C., proclamé maire de la commune de C. à cette dernière date ».

(2) Il se peut, d'ailleurs, qu'il y ait voie de fait et responsabilité personnelle, si l'irrégularité est très grave. Il y a, en effet, « faute personnelle» toutes les fois que la faute commise consiste en une erreur grossière qu'à raison de sa situation le fonctionnaire est inexcusable d'avoir commise. Cpr. ma note dans R. D. P. 1909, p. 268 et s.

(3) La tendance de la jurisprudence est de donner une sanction de cette nature à certaines irrégularités qui entachent un contrat de mariage, la constitution d'une société commerciale, etc. Cpr. sur ce point JAPIOT, op. cit., p. 611 et s.

invoquée par voie d'action ou par voie d'exception que pendant un certain temps. L'irrégularité pourra être couverte par une confirmation. D'ailleurs, le juge, à qui on demande l'annulation, ne peut pas la refuser (1). La mise à exécution de cet acte, par un agent public, n'est pas une voie de fait.

5 Il est des irrégularités dont la sanction est encore moins rigoureuse. Non seulement l'irrégularité ne peut être invoquée que par très peu de personnes, et pendant un certain temps, peut être couverte par une ratification, mais encore le juge saisi n'est pas tenu de la prononcer: il a un pouvoir d'appréciation: la loi lui confère le pouvoir de prononcer la nullité en tenant compte de la gravité des circonstances de la cause et aussi des conséquences que l'annulation entraînerait; c'est un pouvoir de doser, en quelque sorte, la sanction suivant ce qu'exigent les intérêts en présence. Ce pouvoir discrétionnaire accordé au juge est très grave pourtant, il serait exagéré de dire qu'il est rarement accordé par la loi (2).

6o Parfois la sanction de l'irrégularité, c'est non pas la nullité de l'acte, mais la non opposabilité de l'acte irrégulier à certains individus ; l'acte produit ses effets juridiques à l'égard de tous autres, comme s'il était régulier (3). Naturellement, cette non opposabilité n'existera pas de plein droit; elle devra être demandée au tribunal compétent; tantôt celui-ci devra la déclarer (4); tantôt le tribunal aura la faculté de la déclarer ou de ne pas la déclarer (5); en tous cas, elle devra être

(1) Exemples: Actes accomplis par l'interdit judiciaire, par l'aliéné interné et non interdit; acte entaché d'erreur, de violence, de dol; vente d'un immeuble entachée de lésion de plus des 7/12, etc.

(2) Exemples. Code de procédure civile, art. 684 : « Les baux qui n'auront pas acquis date certaine avant le commandement pourront être annulés, si les créanciers ou l'adjudicataire le demandent ». Très justement M. JAPIOT, op. cit., p. 343 et s., p. 418 et s. observe que le juge, en tant qu'appréciateur de fait, a toujours de larges pouvoirs d'appréciation, même dans les cas où la loi semble l'enfermer dans des limites très strictes.

(3) Exemples: Article 202 du Code civil: mariage irrégulier, mais contracté de bonne foi: « Si la bonne foi n'existe que de la part de l'un des deux époux, le mariage ne produit les effets civils qu'en faveur de cet époux et des enfants issus du mariage ». - Actes accomplis par le failli pendant la période suspecte (art. 446 et suivants du Code de commerce). Constitution irrégulière de société commerciale.

(4) Ex. paiements pour dettes non échues accomplis par le failli pendant la période suspecte (Code de commerce, art. 446).

(5) Ex. paiements pour dettes échues accomplis par le failli pendant la période suspecte (Code de commerce, art. 447); cpr. aussi, art. 448.

demandée par les intéressés dans certains délais, passé lesquels l'irrégularité sera couverte.

7° Il se peut que l'irrégularité dont un acte est entaché ait pour sanction la privation non pas de tous les effets attachés à l'acte régulièrement accompli, mais de certains effets seulement. C'est là une sanction dont la jurisprudence française a fait de nombreuses applications. Par exemple, à mon avis, la constitution d'hypothèque faite par acte sous seing privé est nulle comme constitution d'hypothèque; mais elle fait naître à la charge du constituant une obligation de faire, l'obligation de constituer une hypothèque régulière.

80 Enfin, au dernier degré de l'échelle, figurent les irrégularités qui n'ont aucune espèce de sanction juridique. L'acte, malgré l'irrégularité, produit tous les effets d'un acte régulier. Ex.: mariage célébré bien que les délais de viduité ne soient pas expirés (art. 228, Code civil); actes irréguliers accomplis par le Parlement. Tout au plus, mais pas toujours, la conséquence de l'irrégularité pourra être une action en responsabilité pécuniaire soit contre le patrimoine géré par l'auteur de l'acte, soit contre l'auteur même de l'acte. Il y a faute. Or, au cas de faute causant un préjudice à autrui, la condition se trouve remplie qui subordonne l'exercice, par la victime, du pouvoir légal de réclamer une indemnité.

IV

Voilà l'échelle des principales sanctions des irrégularités des actes juridiques, telle que la font apparaître l'observation des faits, l'étude des textes et des arrêts de jurisprudence.

Toutes les difficultés ne sont pas écartées. Il faut maintenant déterminer quelle est, pour chacune des irrégularités, la sanction applicable; et par suite, quel est le régime juridique de l'acte irrégulier, quels sont les pouvoirs du juge, les conditions de recevabilité, les délais des recours et les moyens de couvrir l'irrégularité. Dans une esquisse générale qui n'a pas la prétention d'épuiser le sujet, il suffira de tracer quelques lignes directrices.

I.

Avant toute chose, pour connaître la sanction, il faut consulter les textes législatifs; très souvent, en effet, le législateur détermine lui-même la sanction qu'il veut attacher à telle ou telle règle ; comme l'énergie de la sanction est avant tout une question d'opportunité politique, économique ou sociale, il ne faudra pas abuser du raisonne

ment par analogie, ni étendre facilement la sanction édictée pour une hypothèse à telle autre hypothèse, même voisine (1).

II. En l'absence d'un texte législatif édictant nettement la sanction applicable, il ne faut pas dire qu'il n'y a pas de sanction. On affirme parfois : « il n'y a pas de nullité sans texte ». Cette formule, qui a longtemps été considérée comme fondamentale en droit privé français, et même en droit public (2), est aujourd'hui de plus en plus abandonnée. A l'heure actuelle, la jurisprudence tend à poser la double règle suivante :

1o Les irrégularités entachant les actes accomplis par les agents publics ont, en principe, une sanction, même lorsque la loi ne l'édicte pas expressément.

2o Les irrégularités entachant les actes accomplis par de simples particuliers n'ont pas, en principe, de sanction lorsque la loi ne l'édicte pas expressément. Toutefois, la jurisprudence admet, à côté des sanctions expresses, des sanctions sous-entendues par le législateur; plus exactement, les tribunaux, suppléant au silence de la loi, élaborent, à côté des sanctions légales, des sanctions jurispru

(1) Par exemple, le fait que la loi accorde parfois à l'observation de certains délais une sanction très énergique (Ex.: procédure du conflit d'attributions) ne permet pas d'argumenter par analogie pour décider que toute inobservation des délais a une sanction identique.

(2) Cpr. ALCINDOR, op. cit., p. 59 et s. Il fut un temps où la notion de Etat souverain était dominante, certaines règles de compétence étant considérées comme d'ordre interne: ces règles étaient des conseils dont les agents publics supérieurs assumaient l'observation, s'ils la jugeaient utile: l'acte juridique n'était pas irrégulier, le chef de service pouvait seulement exercer son pouvoir hiérarchique pour suspendre ou annuler l'arte, comme il aurait pu le faire pour inopportunité. Le point de vue a complètement changé aujourd'hui. L'idée moderne est que les règles de compétence sont des limitations juridiques des pouvoirs des agents publics; tout dépassement de ces limites constitue un excès de pouvoir; l'acte est irrégulier. Ce point de vue nouveau a été très bien indiqué par le commissaire du gouvernement Romieu dans l'affaire de Quatrebarbes, C. d'E., 24 juin 1892, Rec p 564: Il est inexact de soutenir, comme l'a fait le ministre de l'Intérieur. que les deux obligations imposées par l'ordonnance de 1835 ayant été édictées dans un intérêt général, c'est à l'administration seule qu'il appartient de se prévaloir de leur omission. En effet, toute personne qui a qualité pour former un recours pour excès de pouvoir est fondée, par là même, à relever devant le C. d'E. toute violation des formes, même édictées dans un intérêt géné

ral ».

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