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direct n'a pas pour effet d'effacer complètement dans l'avenir l'irrégularité de l'acte non attaqué dans le délai : la sanction ne pourra plus être obtenue directement; mais elle pourra l'être ultérieurement, par voie indirecte, par exemple par voie d'exception (1).

Il en sera autrement, d'abord, dans les cas où la loi, en fixant un délai, a certainement voulu qu'à l'expiration du délai l'acte irrégulier soit réputé légalement fait et inattaquable directement ou indirectement (2).

(1) Voyez ma note sous C. d'E., 9 mars 1906, Domec, Durée de l'exception de nullité opposable aux actes administratifs, R. D. P. 1906, p. 662 et s. Cpr. aussi HAURIOU, Principes de droit public, 1910, p. 149: « Le recours pour excès de pouvoir est ouvert pendant un délai très court, deux mois à compter de la notification ou de la publication de l'acte ; passé ce délai, la décision devient définitive. En principe, l'administration attend l'expiration du délai avant de procéder à l'exécution. Il y a donc, pour les décisions exécutoires administratives, une période de temps réservée pour que la validité soit examinée, alors qu'elles sont purement exécutoires, purement à l'état d'actes juridiques. A ce moment, elles ne sont pas encore séparées de leur auteur, et le vice dont elles peuvent être entachées est uniquement l'excès de pouvoir commis par celui-ci. Puis, une fois cette période de temps passée, elles deviennent définitives, c'est-à-dire qu'elles ne seront plus soumises à l'examen du juge d'une façon principale, mais seulement d'une façon accessoire, à l'occasion de leur exécution, le plus souvent par des recours contentieux ordinaires et en qualité de simples faits ». Cpr. aussi ALCINDOR, op. cit., p. 89 à 107

(2) Par exemple, en matière d'impôts directs, les réclamations contre les rôles nominatifs doivent être présentées dans un délai de trois mois à partir de la publication des rôles. Passé ce délai, les rôles sont réputés légalement faits, il n'est plus permis de les critiquer directement ni indirectement. Il ne faut pas confondre le rôle irrégulier avec l'acte juridique réglementaire qui organise l'impôt ou la taxe. Cet acte réglementaire, comme nous le verrons (infra, p. 72 note 2), peut être critiqué indirectement à toute époque.

De même, en matière d'élections, la loi impartit des délais, passé lesquels l'élection non attaquée est réputée régulière. Prenons un exemple : un individu a été irrégulièrement élu au conseil municipal et son élection n'a pas été attaquée dans les délais; ultérieurement, ce conseiller municipal est élu maire ou adjoint il ne sera pas possible d'invoquer l'irrégularité de son élection comme conseiller municipal dans un recours formé contre l'élection de cet individu comme maire. C. d'Et. 23 novembre 1888, Bouhira, Rec., p. 874 : « Le conseil de préfecture, pour annuler l'élection du sieur B. en qualité de maire, s'est fondé sur ce que son élection en qualité de conseiller municipal serait entachée de nullité. Mais il résulte de l'instruction que le sieur B. a été élu... membre du conseil municipal... et qu'aucune protestation n'a été présentée dans le

Et il conviendra, sans doute, d'écarter aussi l'exception d'illégalité dans les cas où apparaîtrait la nécessité, pour la paix sociale, de stabiliser des situations juridiques édifiées sur la base d'un acte juridique irrégulier.

La jurisprudence est très nuancée. Les arrêts doivent être étudiés en examinant successivement les actes réglementaires, et les actes individuels (actes créateurs de situation juridique individuelle ou actes conditions) (1).

1re catégorie. Actes réglementaires. La jurisprudence du Conseil d'Etat ou des tribunaux judiciaires applique, en principe, la règle quæ temporalia... Donc, en principe, l'exception d'irrégularité pourra être opposée à toute époque, même après l'expiration du délai imparti pour agir directement. En effet, il sera très rare que des situations juridiques aient besoin d'être consolidées et soient menacées par l'application de la règle quæ temporalia... Mais si ce cas exceptionnel se présente, la règle quæ temporalia... est écartée.

Voici des applications de ces idées.

a) Un tribunal répressif (tribunal de simple police, tribunal correctionnel, conseil de préfecture statuant en matière de contravention de grande voirie) refusera d'appliquer l'amende à ceux qui, ayant contrevenu à un règlement, pourront établir que ce règlement est irrégulier l'exception d'illégalité pourra être invoquée devant le tribunal répressif à toute époque; l'expiration du délai de deux mois accordé par la loi pour attaquer le règlement par le recours pour excès de pouvoirs n'empêchera pas tous contrevenants poursuivis d'opposer, ultérieurement, devant le juge répressif, l'exception d'illégalité (2).

délai prévu par l'art. 87 de la loi susvisée contre son élection, qui est ainsi devenue définitive: il suit de là que.... c'est à tort que le conseil de préfecture a annulé son élection ».

C. d'Et 11 décembre 1896, El. de Courtisols, Rec., p. 824: « Le sieur B. a été proclamé élu membre du conseil municipal; son élection n'ayant pas été attaquée dans les délais légaux est devenue définitive; dès lors, ledit sieur B. a pu être valablement élu aux fonctions de maire ». Cpr. sur tous ces points, ALCINDOR, op. cit., p. 95.

(1) Cette jurisprudence a été très bien étudiée par M. ALCINDor, op. cit., p. 91 et s.

(2) Jurisprudence constante. C. d'E., 24 janvier 1902, Avézard, Rec., p. 44 : « La non recevabilité de sa requête (en excès de pouvoir comme tardive) ne fait, d'ailleurs, nul obstacle à ce que, s'il s'y croit fondé, il conteste devant la juridiction compétente la légalité de l'arrêté dont

...

Dans tous ces cas, la règle quæ temporalia ne menace aucune situation juridique digne d'intérêt qui ait besoin d'être consolidée. b) Le Conseil d'Etat déclare recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes individuels faisant application contre des individus d'un règlement illégal, alors que le règlement n'a pas été directement attaqué dans les deux mois (1). Ici encore, il n'y a pas de situation juridique intéressante à stabiliser.

s'agit à l'occasion soit des mesures d'exécution prises contre lui, soit des poursuites dont il serait l'objet ».

(1) C. d'E., 29 mai 1908, Poulain, Rec., p. 580: « Le requérant n'est plus recevable à demander l'annulation de ce règlement, dont il lui appartiendrait seulement de contester la légalité à l'occasion des actes administratifs qui pourraient intervenir pour lui en faire application personnelle ».

C. d'E., 2 avril 1909, Moreau et Pérot, Rec., p. 377 : « L'arrêté attaqué est un règlement général.. ; il n'est pas contesté que le pourvoi a été enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat plus de deux mois après la publication de l'arrêté dont s'agit; dès lors, les conclusions à fin d'annulation dudit arrêté ne sont pas recevables. Mais les requérants se sont pourvus contre les décisions du préfet de la Seine... qui leur ont fait application de l'arrêté réglementaire; ils sont recevables à discuter, à l'occasion de ces pourvois, la légalité des dispositions contenues à l'arrêté ».

C. d'E., 16 déc. 1910, Marrocq, Poirier et autres, Rec., p. 951: « Les requérants demandent au Conseil d'Etat, après qu'il aura reconnu l'illégalité d'une disposition contenue dans un arrêté du préfet de la Seine du 10 mai 1902, portant que les services des sous-agents à la manutention du Mont de Piété de Paris proposés à l'ancienneté pour le grade supérieur, compteront du jour de l'entrée au Mont de Piété et non du jour de la titularisation, de prononcer l'annulation d'un arrêté du préfet de la Seine du 1er février 1907, qui, opérant le classement du personnel du Mont de Piété, a fait application de cette disposition... Le ministre de l'Intérieur soutient que les sieurs M. et autres, ne s'étant pas pourvus, en temps utile, contre l'arrêté du préfet de la Seine du 10 mai 1902, ne sont pas recevables à critiquer l'application qui a été faite de cet arrêté dans le classement de 1902. Mais en admettant que... les requérants... ne fussent plus recevables à former un recours pour excès de pouvoir contre le premier des arrêtés ci-dessus mentionnés, cette circonstance ne les forclorait pas du droit de contester la légalité de cet arrêté à l'occasion de l'application qui en a été faite par l'arrêté de classement de 1907 qu'ils attaquent comme portant atteinte aux droits dérivant pour eux de la loi; la fin de non recevoir opposée à leur action doit donc être écartée ».

C. d'E., 13 mai 1910, Compagnie des tramways de l'Est parisien, Rec., p. 390: « La circonstance que l'ordonnance de police du 10 juillet 1900 n'a pas été attaquée dans le délai légal par la voie du recours pour

Le Conseil d'Etat, dans les cas où une situation juridique a été édifiée au profit d'un tiers, situation qu'il convient de stabiliser, décide que l'exception d'illégalité ne pourra plus être opposée contre le règlement, après l'expiration du délai imparti pour le recours direct contre le règlement (1).

c) L'irrégularité d'un acte réglementaire organisant une taxe ou un impôt peut être invoquée devant le juge de l'impôt à toute époque. Par exemple, s'il s'agit d'un impôt direct, chaque année, dans les trois mois de la publication du rôle nominatif, les contribuables inscrits au rôle pourront faire une demande en décharge en invoquant l'irrégularité de l'acte réglementaire organisant l'impôt ou la taxe (2). Ici encore il n'y a pas à stabiliser de situation juridique intéressante.

excès de pouvoir, ne ferait pas obstacle au droit de la Compagnie de l'Est parisien de contester, si elle s'y croyait fondée, l'application qui lui a été faite de l'article 184 de cette ordonnance ».

(1) C'est par cette idée, sans doute, qu'il faut expliquer l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 novembre 1906, Prigent, Rec., p. 825 qui, sans cela, serait inexplicable. Les requérants, en 1905, s'efforçaient de faire cesser le maintien en activité d'un contrôleur général de la marine C. Ils soutenaient que, la loi fixant à 65 ans la limite d'âge, un décret de 1902 n'avait pu régulièrement porter à 68 ans cette limite. Ils invoquaient donc, à l'appui de la requête formée par eux en 1905, l'illégalité d'un règlement de 1902 qu'ils n'avaient pas attaqué dans les deux mois de sa publication. Or, sur la base de ce règlement, le contrôleur général C. avait été maintenu en activité. Il y avait là une situation juridique (status) dont la consolidation a, sans doute, paru légitime au Conseil d'Etat, car il a refusé d'admettre l'exception d'illégalité. « Pour soutenir que le sieur C... devait... cesser de faire partie de l'activité à l'âge de 65 ans, le sieur P. prétend que la disposition ci-dessus rappelée du décret du 29 mai 1902 aurait été prise en violation de l'art. 43 de la loi de finances du 30 mars 1902... Mais cette disposition n'a fait, de la part du sieur P., l'objet d'aucun pourvoi, et, dès lors, le ministre de la marine, chargé d'assurer l'exécution du décret du 29 mai 1902, ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, faire droit à la demande du sieur P. tendant à ce que, con trairement à l'art 1er du décret, le sieur C. fût rayé des cadres de l'activité... ». C'est pour n'avoir pas tenu compte de la réserve de la nécessité de consolider les situations juridiques des tiers que certains auteurs ont critiqué cet arrêt de 1906.

(2) C. d'E., 9 mars 1906, Domec, Rec., p. 215 et aussi ma note dans la R. D. P., 1906, p. 662 et s. avec les conclusions de M. ROMIEU. Ces conclusions sont très catégoriques : « Votre jurisprudence est fort nette pour reconnaître au contribuable le droit de contester, à toute époque, la légalité de la taxe, le principe même de l'imposition. Vous vous êtes prononcés souvent en ce sens, en matière de taxes de curage ou en

2 categorie. Actes individuels: actes créateurs de situation juridique individuelle, actes-conditions. La jurisprudence suit la même ligne de conduite. Tantôt elle déclare que l'irrégularité peut être invoquée indirectement à toute époque; tantôt elle affirme que l'expiration du délai pour former le recours direct s'oppose à ce que l'irrégularité soit désormais invoquée même indirectement. Certains ne voient pas bien la raison de ces divergences. Cette incertitude de la jurisprudence, disent-ils (1), tient, sans doute, à ce que, jusqu'ici, la systématisation de cette matière n'a pas été faite; dès lors, la contradiction des solutions n'a pas encore apparu avec netteté. Tel n'est pas mon avis. Le Conseil d'Etat distingue suivant qu'il y a lieu ou non de consolider une situation juridique digne d'intérêt (2).

A.

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- Voici d'abord trois séries de cas dans lesquels, d'après une jurisprudence ferme, l'irrégularité peut être invoquée indirectement à toute époque; on remarquera qu'il n'y a pas, dans ces cas, de situation juridique respectable à consolider.

a) Lorsqu'un acte juridique est sanctionné pénalement, l'irrégula

matière de subventions spéciales pour dégradations extraordinaires aux chemins vicinaux (Voyez notamment, 5 janvier 1877, Beaumini, Rec., p. 7; 4 janvier 1878, Cheilas, Rec., p. 10). En résumé, nous estimons que les contribuables sont recevables, lors du recouvrement de la taxe, à contester la légalité du principe de la taxe, et cela à toute époque. » C'est en ce sens que s'est prononcé le C. d'E. dans l'arrêt du 9 mars 1906, Domec. Il ne faut pas confondre le cas de l'acte réglementaire irrégulier avec celui du rôle nominatif irrégulier (acte créateur de situation individuelle. V. supra, p. 69 note 2).

-

(1) En particulier, cette jurisprudence n'est pas du tout comprise par M. ALCINDOR, op. cit., p. 94 à 107: cet auteur néglige l'intérêt des tiers, et la nécessité de consolider certaines situations juridiques. Il fait trop de logique. Ses solutions manquent de la souplesse qu'il faut constater dans la jurisprudence du Conseil d'Etat.

(2) En étudiant les arrêts, il faut prendre garde que, parfois, le Conseil d'Etat refuse de statuer indirectement sur la légalité d'un acte, non pas parce qu'il écarte la règle quæ temporalia..., mais parce que la question de légalité est soumise à un tribunal qui n'a pas compétence pour en connaître. On ne peut alors tirer de ces arrêts aucun argument pour la matière que nous étudions. Ex.: C. d'Et. 7 janvier 1905, Fradet, Rec., p. 9, et ma note R. D. P. 1905, p. 403 : « Il n'appartenait pas au conseil du contentieux administratif (des établissements français de l'Océanie saisi d'une demande en décharge de la contribution des patentes) d'apprécier la légalité de la nomination du sieur F. aux fonctions de défenseur près les tribunaux ». Cpr. Cass. 23 décembre 1890, S. 91-1249.

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