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rité de l'acte peut être invoquée devant le juge répressif comme moyen de défense, à toute époque (1).

b) Lorsqu'un acte juridique forme l'un des éléments d'une opération complexe (2) (acte compris dans la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, délibération autorisant un maire à conclure la vente d'un bien communal, etc.), chaque acte de l'opération peut être attaqué directement dans un certain délai; mais on peut aussi, en attaquant le dernier acte de l'opération complexe, invoquer indirectement l'irrégularité de l'un des actes précédents qui le conditionnent, et cela bien que le délai imparti pour attaquer directement cet acte soit expiré.

Par exemple, en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, on peut attaquer par le recours pour excès de pouvoir dans le délai de deux mois l'acte déclaratif d'utilité publique, l'arrêt préfectoral de cessibilité. Mais si l'on n'a pas attaqué ces actes directement, cela n'empêche pas les intéressés de se prévaloir indirectement, devant le tribunal civil chargé de prononcer l'expropriation, des irrégularités rentrant dans la compétence du tribunal civil (3).

De même, le sectionnement électoral d'une commune fait partie de l'opération complexe appelée élection. L'irrégularité du sectionnement électoral peut être invoquée directement par le recours pour excès de pouvoir dans les deux mois de l'acte de sectionnement. Cette irrégularité pourra être encore invoquée indirectement comme moyen d'annulation de l'élection faite sur le sectionnement électoral, à quelque époque que se produise cette élection (4).

De même, la délibération d'une assemblée locale autorisant une vente, et l'acte d'approbation de la délibération par le préfet ou par le Président de la République sont des actes conditions faisant partie d'une opération complexe. Chacun de ces actes peut être attaqué directement dans un certain délai pour irrégularité. Mais passé ces

(1) C. d'E., 11 janvier 1907, Gouinaud, Rec., p. 32 : « Le sieur G... est recevable à contester. à l'occasion du procès-verbal dressé contre lui (en 1903), la légalité de l'acte de classement (d'un chemin vicinal, acte accompli en 1882) ».

(2) Sur les opérations complexes, voyez supra, p. 43 et s.

(3) Jurisprudence constante. Je laisse de côté la question de savoir si la loi du 3 mai 1844 permet que le tribunal judiciaire soit saisi indirectement de toutes les irrégularités que l'on pourrait invoquer directement devant le Conseil d'Etat.

(4) Jurisprudence constante. - Même solution pour l'irrégularité entachant la confection des listes électorales: C. d'E., 5 août 1910, El. de

délais, l'irrégularité pourra être encore invoquée indirectement devant le juge du contrat de vente à l'appui de l'action intentée pour faire tomber la vente (1).

c) Lorsqu'un acte juridique irrégulier cause un préjudice à un individu, l'irrégularité pourra être indirectement invoquée devant le juge de l'action en indemnité comme argument à l'appui de cette action, malgré l'expiration du délai imparti pour attaquer directement l'acte irrégulier (2).

Charmois, Rec., p. 701 : Des individus non résidant dans la commune ont acheté des parcelles minimes de terrains et se sont fait porter au rôle de la contribution foncière, puis se sont fait inscrire sur les listes électorales. Bien que leur inscription sur les listes électorales n'ait pas été directement attaquée dans les délais, l'élection à laquelle ces individus ont participé a été déclarée nulle à cause de cette participation: « Eu égard à ce nombre des électeurs... et à la majorité obtenue par la plupart des candidats élus, cette manœuvre a porté atteinte à la sincérité des opérations électorales ».

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(1) Le juge du contrat de vente devra renvoyer au Conseil d'Etat la question préjudicielle de l'examen de la régularité de l'acte administratif, et le Conseil d'Etat devra statuer sur l'irrégularité à lui ainsi signalée, bien que le délai pour agir directement soit expiré. C d'Etat, 28 avril 1882, ville de Cannes, Rec., p. 389 : « Par jugement., le trib. civil... saisi d'une demande tendant à assurer l'exécution de la convention passée entre elle et la ville de C., a sursis à l'examen du litige pendant un délai dans lequel la ville de C. serait tenue de faire statuer par l'autorité compétente sur le point de savoir si la dite convention a été régulièrement approuvée... La requête ainsi formée... ne saurait être soumise aux délais prévus par l'art. 11 du décret du 22 juillet 1806 ».

(2) La jurisprudence a évolué en ce qui concerne les indemnités réclamées par des fonctionnaires à raison de mesures disciplinaires irrégulières. Dans ses conclusions dans l'affaire jugée par le C. d'E. le 29 mai 1903, Le Berre, Rec., p. 414 (Cpr. ma note dans R. D. P., 1904, p. 799 et s.), M. TEISSIER déclarait : « Il demeure entendu qu'il ne saurait être question d'allouer une indemnité à un agent se plaignant des conséquences domma. geables d'une mesure disciplinaire illégalement prise, que si cette mesure avait été préalablement annulée... ». Ceci semblait impliquer que, faute d'avoir réclamé l'annulation dans les délais, l'irrégularité ne pourrait plus être invoquée indirectement dans l'action en indemnité. Cette jurisprudence a été abandonnée. Cpr. ma note R. D. P. 1907, p. 236 et s. C. d'E., 10 déc. 1909, section de Vaux, Rec., p. 962 et les conclusions de M. TARDIEU : « Le caractère définitif de l'acte qui a réalisé l'affectation irrégulière (cela veut dire l'expiration du délai pour attaquer directement l'acte irrégulier) ne fait pas disparaître l'irrégularité de l'affectation, ni la dette qu'elle a créée au profit de la section contre la commune qui ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui ».

Cpr. sur cette jurisprudence ALCINDOR, op. cit., p. 99 et s. Cet auteur

B. Voici maintenant une série de cas dans lesquels la jurisprudence applique ou non la règle quæ temporalia..., suivant qu'il y a lieu ou non de consolider des situations juridiques dignes d'intérêt.

Lorsqu'un acte exerce une influence sur un deuxième acte, sans que ces deux actes fassent partie d'une même opération complexe, l'irrégularité du premier acte peut-elle être invoquée pour critiquer la régularité du deuxième acte? Cela dépend du point de savoir s'il y a ou non à consolider une situation juridique digne d'intérêt et reposant sur l'acte irrégulier.

Par exemple, un fonctionnaire public a été irrégulièrement révoqué et cette révocation irrégulière n'est pas attaquée dans les délais ; ultérieurement, lors de la liquidation de la pension de retraite, le ministre liquidateur tient compte de l'acte irrégulier de révocation. Le Conseil d'Etat, saisi du recours contre la liquidation de la pension, refusera d'examiner l'exception opposée par le révoqué touchant la régularité de la révocation (1). Cette critique indirecte n'est

signale à tort comme étant en sens contraire un arrêt du C. d'E., 22 déc. 1911, Simonnet, Rec., p. 1220: « Pour demander à l'Etat la réparation du préjudice que lui a causé sa mise en réforme, le capitaine S. se fonde sur ce que le conseil d'enquête... (a procédé irrégulièrement). Mais le sieur S., par une précédente requête... s'est pourvu devant le C. d'Et. en vue de faire annuler la décision présidentielle qu'il estimait entachée d'excès de pouvoir, précisément à raison de la prétendue irrégularité de la procédure suivie devant le conseil d'enquête. Cette requête a été rejetée par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux... Dans sa nouvelle requête, le capitaine S. remet en discussion la légalité de la mesure dont il a été frappé et qui est devenue définitive. Dans ces circonstances, il n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée par laquelle le ministre de la Guerre a rejeté sa demande tendant au retrait de la décision présidentielle qui l'a mis en réforme, et, à défaut de ce retrait, à l'allocation d'une indemnité ». On le voit, le C. d'Et. oppose en 1911 au requérant l'autorité de la chose jugée en 1899. (1) Laferrière, Jurid. adm., 2o édition, II, p. 199 : « Toutes les positions (du fonctionnaire) peuvent-elles être discutées, en fait et en droit, devant la juridiction contentieuse en tant qu'elles se rattachent à la liquidation de la solde? Nous pensons qu'elles ne peuvent l'être qu'en fait, c'est-à-dire qu'elles peuvent être constatées et vérifiées au point de vue de leur existence de fait et de leur définition légale, mais non modifiées ou tenues pour non avenues au point de vue de la validité des décisions administratives qui les ont créées. Ainsi le Conseil d'Etat peut rechercher si un fonctionnaire civil est en inactivité, en congé, en disponibilité; si un officier blessé, retenu sur territoire étranger, a droit à la solde de présence, de captivité ou d'hôpital. Mais il ne pourrait, à l'occasion d'une contestation sur la solde, rechercher si la mise en non activité

plus recevable. Il n'y a pas ici de situation juridique existante à maintenir et à consolider: cette situation a disparu par l'effet de la révocation (1).

C. Il est enfin une série de cas dans lesquels la jurisprudence refuse de laisser critiquer, à propos d'un deuxième acte, la régularité d'un acte individuel antérieur qui n'est plus susceptible de recours direct à raison de l'expiration du délai légal ; c'est lorsque ce deuxième acte n'est pas autre chose qu'une mise en demeure d'exécuter

ou en réforme a été légalement prononcée. Les actes de puissance publique et d'autorité hiérarchique qui exercent une influence sur le traitement doivent produire tous leurs effets tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou annulés ». Comme application de cette manière de voir, voyez C. d'E., 29 mai 1874, Boutreux, Rec., p. 494 : « Le sieur B. a été mis en réforme pour fautes contr l'honneur, par une décision du Président de la R... dont le requérant reconnaît avoir reçu notification... et contre laquelle il ne s'est pas pourvu dans les délais prescrits... En prononçant contre le sieur B., sur le vu de cette décision et par décret du..., la suspension pendant 5 ans des droits et prérogatives attachés à la qualité de membre de la Légion d'Honneur, le Président a agi en vertu des pouvoirs que lui confèrent les décrets... de... 1852 et... 1859. Dès lors, le sieur B. n'est pas fondé à demander l'annulation du dit décret ». — C. d'E., 10 mai 1878, Chevé, Rec., p 436: « Le sieur C., lieutenant..., a été mis en réforme pour infirmités incurables par décision du Présid. de la R..., qui lui a été notifiée... et qu'il n'a pas attaquée devant le C. d'Et... dans le délai à ce imparti. Le sieur C. n'est pas recevable à demander, postérieurement à sa mise en réforme, la concession d'une pension de retraite pour cause d'infirmités..... » ALCINDOR, op. cit., p. 102 et s. et la critique.

(1) M. ALCINDOR cite en sens contraire C. d'E., 31 juillet 1908, d'Héricourt, Rec., p. 846. « Cet arrêt ne vise pas du tout notre hypothèse. II s'agit d'un fonctionnaire promu, puis immédiatement mis à la retraite ; mais la décision de mise à la retraite n'a pas été exécutée. Dans ces conditions, le C. d'E. décide que, pour le calcul de la pension, il n'y a pas à tenir compte de cette mise à la retraite non exécutée. Le C. d'E. n'était pas saisi de la question de savoir si la mise à la retraite était ou non régulière : « Le sieur d'H. qui exerçait les fonctions de consul général... a été nommé, par décret du 5 janvier 1903, ministre plénipotentiaire..; si, par décret en date du 7 janvier 1903, il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite.... cet acte n'a pas été exécuté, et le sieur d'H. a continué jusqu'au mois de mai 1903, au moment où il a eu droit à la retraite, la gérance du consulat..... ; il n'a été mis en disponibilité qu'à partir du 4 mai 1903; le sieur d'H. a ainsi exercé des fonctions actives depuis sa nomination au grade de ministre plénipotentiaire...; il est fondé, dès lors, à soutenir que la pension à laquelle il a droit doit être simplement soumise au maximum afférent au grade de ministre plénipotentiaire >>.

le premier acte, ou qu'une pure mesure d'execution du premier acte (1). Cette solution se justifie aisément avec la solution con

traire, il serait trop facile de faire revivre les délais expirés.

VI. Lorsque le juge applique à un acte irrégulier la sanction de la nullité, il déclare qu'il ne doit pas produire les effets juridiques voulus par son auteur. La question se pose alors de savoir quel est le sort juridique des actes juridiques qui s'appuient sur l'acte annulé. L'annulation du premier acte a-t-elle pour conséquence nécessaire la disparition des actes juridiques ultérieurs ?

Logiquement, l'affirmative semble s'imposer: un édifice juridique a été construit sur une base qui est démolie : tout s'écroule. Mais il faut, en cette matière, ne pas abuser des argumentations logiques. Il convient de se préoccuper des conséquences sociales, du trouble social que ce bouleversement peut entraîner. La jurisprudence a été ainsi amenée à faire une série de distinctions, à reconnaître aux tribunaux de larges pouvoirs d'appréciation à l'effet de concilier tous les intérêts en présence.

Cette observation générale faite, il semble qu'il y ait deux séries de cas à distinguer: suivant que l'acte annulé et l'acte postérieur qui s'appuie sur l'acte annulé font ou ne font pas partie d'une mème opération juridique.

1er cas. L'acte annulé et l'acte postérieur qui s'appuie sur l'acte annulé font partie d'une même opération juridique. - Prenons des exemples opération d'expropriation pour cause d'utilité publique : l'acte déclaratif d'utilité publique du travail est annulé. Quelle influence cette annulation de l'acte initial de l'opération exerce-t-elle sur l'arrêté de cessibilité, sur le jugement d'expropriation? Autre exemple opération de vente d'un bien communal : la délibération du conseil municipal autorisant le maire à passer le contrat de vente est annulée. Quelle influence cette annulation a-t-elle sur l'approbation préfectorale ? sur le contrat de vente?

La jurisprudence du Conseil d'Etat n'applique pas toujours la solution logique : elle tient compte du trouble social que provoquerait la démolition totale de l'édifice.

Cette préoccupation des conséquences sociales, combinée avec le souci d'avoir des solutions logiques, a, pendant très longtemps,

(1) Il faut reconnaître d'ailleurs que des difficultés peuvent s'élever sur le point de savoir si le deuxième acte est ou non un simple acte d'exécution. Sur ce point ALCINDOR, op. cit., p. 106 et 107.

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