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darme réservée à la royauté » et non un instrument à l'usage d'un parti pour vaincre l'autre.

Les organes du parti catholique reprochaient ensuite au cabinet du 9 novembre, d'appliquer un système électoral injuste, dans des conditions plus injustes encore; de faire un appel au pays, en ouvrant des élections générales, à une époque où a l'accès de l'urne électorale était difficile, et souvent impossible, aux populations rurales. » Et ils appelaient la loi électorale de 1848, « le privilége organisé contre les campagnes. >>

Conclusion: une dissolution faite par unc minorité, à l'aide de pareils moyens, avec des chances aussi inégales, ce n'était plus « la pratique loyale et sage des institutions constitutionnelles, c'était l'altération et le renversement, c'était le despotisme des minorités érigé en système de gouvernement. D

Selon le manifeste, la nationalité belge reposait sur trois forces conservatrices les institutions constitutionnelles, le catholicisme et la liberté. Ainsi, dans ce pays de liberté absolue des cultes, le catholicisme serait à lui seul une institution constitutionnelle. Dans ce système, « si l'une de ces forces nationales venait à faiblir, si la liberté belge perdait ce caractère chrétien qui en est le soutien et le salut, l'œuvre de 1830 serait profondément altérée, et le pays courrait vers les écueils où la liberté politique de tant de peuples avait échoué. »

C'était, répondaient les libéraux, identifier le catholicisme avec la question électorale. A leur tour, ils publièrent leur profession de foi. Dans les circonstances où l'on se trouvait, ce document, qui portait les noms des chefs du parti, avait une importance historique. Adressé aux électeurs en forme de lettre, il était longuement développé. On y prenait pour point de départ les élections communales. Selon les auteurs du manifeste, elles venaient de démontrer que l'opinion publique n'était plus en harmonie avec la majorité parlementaire. Conséquences nécessaires : la retraite du ministère, la formation d'un nouveau cabinet et l'appel au corps électoral, qui déciderait « laquelle des deux opinions qui partageaient le pays devait prévaloir dans la gestion de ses intérêts. » Ici une réminiscence des élections de 1847; tout serait perdu, disait-on à cette époque, si

les libéraux arrivaient au pouvoir. Ils y arrivèrent. « Quelles furent les conséquences de cet événement? » Et les auteurs du manifeste de ce parti répondaient que jamais le culte de chacun ne fut plus respecté; que jamais la propriété ne fut plus respectée, l'ordre plus sévèrement maintenu; enfin qu'à aucune époque la royauté ne fut aussi populaire et le sentiment national aussi profond, et cependant l'on avait eu bien des épreuves à traverser. La royauté, loin d'être abaissée, reçut de la nation les plus unanimes preuves de respect et d'affection. C'est alors qu'elle s'acquit, dans l'opinion des peuples et des souverains étrangers, cette grande position dont elle avait pu dès lors s'enorgueillir à juste titre. C'est alors aussi que la Belgique se concilia au dehors des sympathies profondes.

Après cet exposé, qui n'était pas sans habileté, le manifeste libéral abordait la question soulevée par la loi sur les établissements de bienfaisance, qui « en ramenant vers les abus d'un autre âge, froissait audacieusement tous les instincts de la société moderne. Seulement on y atténuait, sans les justifier, la portée des derniers désordres. Mais ce n'était pas devant des démonstrations populaires que la majorité avait abandonné son œuvre, et que le Parlement s'était fermé; ce qui avait fait reculer et la majorité et le ministère, c'étaient les embarras de leurs divisions intérieures; c'était la difficulté de continuer une discussion où l'influence morale de l'opposition croissait; c'était le mécontentement général qui se faisait jour de toutes parts; c'était enfin la conscience de l'isolement où ministère et majorité se sentaient au milieu des populations.

La minorité libérale s'appuyait ensuite naturellement sur le résultat des élections communales pour stimuler le patriotisme des électeurs ruraux sur lequel comptait le parti catholique, de ne point se séparer des villes en cette suprême occasion.

a Habitants des communes rurales, vous qu'on espère rendre hostiles à notre opinion, il n'est point de classe de la population qui ait autant de raison que vous de la soutenir; car il n'en est pas qui lui doive davantage. Dans les anciens temps, alors que les idées libérales étaient faibles et impuissantes; alors que dans les villes, comme dans les campagues, le travail était regardé

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comme avilissant, qu'étiez-vous? les cultivateurs qu'étaient-ils? Par toute l'Europe, des serfs attachés à la terre de leurs maîtres, assujettis à leurs caprices, dont les intérêts et les droits n'étaient guère estimés plus que ceux du bétail de vos étables. Qu'êtes-vous aujourd'hui devant nos lois? Les égaux des plus puissants par la richesse et des plus distingués. » Et cette égalité était l'œuvre séculaire des idées libérales. Les signataires de cet appel aux électeurs terminaient en les rassurant sur les dangers que l'on prétendait que le triomphe du parti libéral ferait courir à la liberté des consciences. De quoi se plaindrait le clergé? Y avait-il un pays au monde où sa position se trouvât plus belle et ses libertés plus complètes?

a A tous les degrés, depuis le vicaire jusqu'à l'évêque et au cardinal, les ministres du culte sont nommés, en Belgique, sans aucune intervention du pouvoir laïque. Ils communiquent avec l'autorité religieuse au dehors, sans être astreints à aucune formalité. Ils font toutes les publications qu'ils jugent convenables, sans se soumettre à aucune autorisatio n. Ils ouvrent des écoles primaires, des colléges, des universités, sans avoir à en rendre compte à personne, ni en avertir qui que ce soit.

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>> Les associations religieuses, quelque but qu'elles se prescrivent, et quelque nombreuses qu'elles soient, s'établissent où elles veulent. Quel est, se demandaient les écrivains du manifeste, quel est, parmi les États où le catholicisme est le plus puissant, celui où le clergé jouit d'une indépendance aussi entière? » Et ils ajoutaient que le clergé continuerait (s'ils arrivaient aux affaires, sans doute) de jouir avec sécurité de ces immunités, « Un pouvoir quel qu'il soit, dont la religion aurait quelque chose à redouter, serait pour nous, disaient-ils, un pouvoir coupable. Dans l'accomplissement de sa sainte mission, le prêtre est sacré à nos yeux; mais nous désirons qu'il reste dans sa sphère, et que la religion ne soit pas mêlée à la politique.

» Nous demandons qu'au nom de la foi, on ne cherche pas à dominer les affaires temporelles, à s'ingérer dans les intérêts des familles et à troubler ceux de l'État. Nous voulons que chacun de vous reste maître chez lui; que ceux à qui vous avez confié la gestion des affaires de votre commune dépendent de vous et

non de l'autorité religieuse; que le bourgmestre soit indépendant du curé dans la maison communale, comme le curé du bourgmestre dans l'église. C'est dans cet esprit de tolérance que nous désirons voir gouverner le pays. »

Ainsi parlaient les deux partis en cause. Le ministère intervint à son tour. Dans une circulaire aux gouverneurs des provinces, il motiva la dissolution de la Chambre; puis il fit connaître quelle serait sa règle de conduite dans la direction des affaires; il la résumait dans ce seul objet préserver une des bases constitutives des gouvernements et des sociétés modernes : l'intégrité des droits de l'État et l'indépendance du pouvoir civil.

Le 10 décembre, jour fixé pour les élections, le scrutin s'ouvrit: un nombre immense d'électeurs vinrent exercer leurs droits. Nul désordre cette fois, et quant au résultat il fut tout en faveur du parti libéral. Les électeurs écartèrent de la Chambre future les candidats dont la conduite politique s'était prononcée dans un sens qui, à leurs yeux, ne paraissait pas s'accorder avec l'esprit de la Constitution actuelle du pays. Au moins pouvait-on tirer cette conclusion de l'échec d'hommes tels que M. Dechamps, le plus brillant orateur du parti catholique, M. Dumon, ministre sortant, ainsi que son collègue, M. Nothomb, et d'autres encore. Toutefois, les membres modérés du dernier cabinet, MM. Dedecker et Vilain XIIII, furent réélus. Il en fut de même de tous ceux qui avaient voté contre la loi relative aux fondations charitables. En somme, les catholiques comptaient environ trente-huit de leurs candidats parmi les élus, et les libéraux soixante-dix.

L'ouverture de la nouvelle session eut lieu le 15 décembre, mais sans discours royal, ainsi que le journal officiel l'avait annoncé.

Qu'aurait pu dire, en effet, le chef du Gouvernement, en présence de l'inconnu de la position? MM. Rogier, ministre de l'intérieur, de Vrière, ministre des affaires étrangères, Frère Orban, ministre des fiuances, Tesch, ministre de la justice, Berten, ministre de la guerre, Partoes, ministre intérimaire des travaux publics, siégeaient au banc réservé aux membres du cabinet. La vérification des pouvoirs eut lieu sans incident. Le lendemain

(16 décembre) le ministre de l'intérieur, M. Rogier, monta à la tribune et lut à la Chambre une communication de laquelle il résultait que la dynastie compterait bientôt une génération nouvelle, attendu l'état intéressant dans lequel se trouvait Mme la duchesse de Brabant. Sur la motion de M. de Brouckère, une commission fut chargée de rédiger une adresse qui devait être présentée au Roi par une députation. Cette adresse, votée à l'unanimité des soixante-dix membres présents, était conçue dans les termes que comportait la circonstance...

<< La nation, dans sa pensée, y disait-on au Roi, ne sépare pas ses propres destinées de l'avenir de votre maison. Elle sera heureuse de voir une nouvelle génération de votre dynastie se former sous vos yeux, se pénétrer des traditions de votre règne et apprendre à quelle hauteur un Prince royal peut appuyer sa renommée en s'appuyant sur le patriotisme, l'intelligence et la sage modération du peuple belge... Puissiez-vous, Sire, ajoutait l'adresse, jouir longtemps encore du bonheur de vos enfants, de la prospérité de votre règne et de la reconnaissance de la Belgique. Ce sont les vœux de la nation et de ses fidèles représentants. »

Presque simultanément, la Chambre avait constitué son bureau. Les choix furent significatifs et dessinèrent tout d'abord une majorité nouvelle. M. Verhaegen (gauche) eut soixante voix pour la présidence, contre trente-deux données à M. de Theux; M. Orts (gauche) fut appelé à la vice-présidence par cinquanteneuf voix, contre trente-cinq données à M. de Naeyer. Le surplus du bureau fut constitué dans le même sens. Le président élu, M. Verhaegen, prononça une allocution convenable et annonça, ce qui était une promesse dans sa position nouvelle, qu'il apporterait la plus grande impartialité dans l'exercice de ses fonctions; qu'il s'efforcerait de diriger les travaux de la Chambre de manière à assurer l'accomplissement de sa mission et de sa dignité.

Le budget du prochain exercice surgit des premières délibérations de l'assemblée, puis elle s'ajourna au 19 janvier.

Ainsi commença, sans orages, la session nouvelle; ainsi finit aussi, sans autres graves incidents, une année politique qui avait été si tumultueuse.

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