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CHAPITRE IX.

SUISSE.

Les prisonniers neuchâtelais rendus à la liberté; Note du Moniteur à cet égard. Négociations au sujet des conditions de pacification. Prétentions respectives des parties: intervention de la Conférence de Paris. M. Kern, représentant de la Confédération helvétique au sein de la Conférence. Invitation adressée à la Prusse à l'effet de s'y faire représenter. Les contendants formulent leurs conditions: concessions mutuelles ménagées par les quatre autres puissances. Traité conclu sous les auspices de la Conférence. Situation intérieure: réelections des conseils; état des esprits. Travaux et services publics : les chemins de fer, les postes, elc. Commerce et transit. Les cantons: Fribourg, Neuchatel, Berne: les fêtes nationales.

Par suite des résolutions fédérales du 27 décembre 1856 (V. l'Annuaire), les prisonniers neuchâtelois avaient été rendus à la liberté, « ils sont déjà sur le territoire français, » disait le 22 janvier le Moniteur de l'Empire français. Le Gouvernement helvétique, d'accord avec la représentation nationale du pays, a fait un acte qui l'honore et qui se concilie parfaitement avec les véritables intérêts de la Suisse. »

Et le Moniteur rappelait que « le Gouvernement de l'Empereur avait conseillé cette mesure, dès le mois de septembre dernier, et qu'il avait renouvelé ses avis par une communication, en date du 26 novembre. » « Dès aujourd'hui, continuait l'organe du Gouvernement impérial, elle (la Confédération helvétique) peut sans crainte licencier ses contingents, et le Gouvernement prussien ayant déjà annoncé qu'il est prèt à entrer en négociations sur le fond du différend, on peut espérer un arrangement définitif et conforme aux intérêts, aussi bien qu'à la dignité des deux parties. » Grâce à l'activité des puissances, impartiales dans ce différend international, stimulée d'ailleurs par

le Gouvernement français, louablement soucieux de l'empêcher de devenir une source de troubles pour l'Europe, les négociations se suivirent aussi rapidement que les circonstances le comportaient. Du côté de la Confédération, les négociations furent confiées au docteur Kern, député au Conseil des Etats, qui était retourné à Paris le 21 janvier. Il était porteur des instructions suivantes: Au fond, que, dans toutes les transactions, il partirait du principe de l'entière indépendance de Neuchâtel, et qu'en conséquence la renonciation du roi de Prusse serait complète, sans réserve impliquant le maintien d'une dépendance quelconque de Neuchâtel sous une influence étrangère, et sans aucune restriction de la Constitution, de la législation et de l'administration à l'intérieur du canton. Spécialement, la renonciation devant être complète, il était impossible à la Suisse de concéder au Roi le titre de prince de Neuchâtel et de Valengin. On respecterait la fortune privée que le Roi posséderait dans le canton. Les institutions charitables et religieuses, telles que les fondations de Pourtalès, de Meuron, de Pury, seraient maintenues au bénéfice et sous la protection de la Confédération. Si une indemnité pécuniaire était réclamée par le roi de Prusse, on s'y refuserait et l'on opposerait les dépenses extraordinaires, incombantes à la Suisse et au canton, pour les frais du procès (on reconnaissait ici l'esprit formaliste de la Confédération), pour ceux de l'occupation militaire, pour ceux de l'armement qui avait eu lieu à la suite des événements de septembre, enfin la dette publique restée à la charge du canton.

Prévision du cas de convocation d'une Conférence des grandes puissances: L'envoyé extraordinaire, la Suisse une fois admise par ses démarches à y figurer, aurait à déclarer, de prime-abord, qu'il ne saurait reconnaître à la Conférence « un autre caractère que celui d'une médiation, et nullement celui d'une cour de justice, ou d'un conseil avec le droit de décider souverainement la question. Il s'opposerait, s'il y avait lieu, d'une manière énergique à ce que la Conférence entrât dans l'examen de toute autre question relative à la Suisse, que celle de la reconnaissance de l'indépendance entière de Neuchâtel...» Puis, cette recommandation particulière, caractéristique du

pays: « L'envoyé extraordinaire déploiera dans les négociations, la résolution et l'activité propres à amener, le plus tôt possible, au but indiqué dans les articles qui précèdent. »

La Confédération avait bien songé à nouer des négociations directes avec le roi de Prusse, mais elle avait bientôt pu acquérir la certitude que Sa Majesté prussienne n'était nullement disposée à entrer dans cette voie et sur ces bases. Et voilà comment on s'en tint à la médiation de la Conférence, réserve faite de la part de la Suisse, au sujet de la liberté de ses allures et de la faculté d'accepter ou de rejeter les conditions qui lui seraient faites.

5 mars, première séance de la Conférence. La France, la Grande-Bretagne, l'Autriche et la Russie y furent seules représentées. Elle s'accorda à reconnaître que la question de Neuchâtel, telle qu'elle se présentait, constituait un danger permanent, qui ne serait écarté qu'autant que le roi de Prusse consentirait à renoncer aux droits que les traités lui assuraient sur le canton de Neuchâtel.

C'est à la séance du 24 mars, que la Prusse, invitée à se présenter à la Conférence, formula les conditions auxquelles Frédéric-Guillaume renoncerait à ses droits sur Neuchâtel :

1o Les rois de Prusse conserveraient à perpétuité le titre de prince de Neuchâtel et de Valengin; 2o la Suisse garderait à sa charge tous les frais résultant pour elle des événements de septembre. Le canton de Neuchâtel ne contribuerait à ces dépenses que comme tout autre canton, et au prorata de son contingent d'argent ; 3° point de poursuites, et à aucun titre, contre aucun de ceux qui prirent part directement ou indirectement aux événements de septembre, mais au contraire pleine et entière amnistie, et sans distinction; 4° indemnité de deux millions à payer au roi de Prusse, par la Confédération helvétique, comme équivalent, pour le passé et pour l'avenir, des revenus annuellement mis par l'administration neuchâteloise à la disposition du prince; 5° maintien dans leur destination primitive, des biens réunis en 1848 au domaine de l'Etat; 6° respect et maintien des capitaux et des rentes, des fondations pieuses, des institutions privées pour un objet d'utilité publique, des hospices

bourgeois et communaux et des chambres de charité, de l'Eglise et de la compagnie des pasteurs; même garantie en faveur de la fortune léguée par le baron de Pury à la bourgeoisie de Neuchâtel, qui conserverait la libre disposition des revenus de cette donation, pour les employer conformément au testament du do

nateur.

Telles étaient les prétentions respectives des deux puissances contendantes. On comprend que, de part et d'autre aussi, tout n'était pas fondé. Telles des conditions posées par la Prusse, la prétention au titre, la question de l'indemnité, ne pouvaient à aucun prix être admises par la Confédération. Toutefois, elle consentait à supporter une partie des frais, à accorder une amnistie, à garantir les fondations pieuses. Dans cette situation, la Conférence seule devait pouvoir amener les choses sur le terrain des transactions. Comme il arrive dans maints procès, chacune des parties avait exagéré ses prétentions, modérées ensuite par les autres puissances. Le roi de Prusse laissa tomber la question du titre et, ce qui avait peut-être le plus ému la Confédération, la demande d'indemnité. De ces concessions mutuelles sortit enfin le traité du 26 mai (V. Appendice), ménagé par les représentants des cabinets désintéressés, ou plutôt, siégeant comme arbitres. La Note du Moniteur de l'Empire français, qui annonçait (26 mai) cette conclusion mémorable, portait, que les plénipotentiaires de France, d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse, de Russie et de Suisse, avaient signé un traité qui réglait d'une manière définitive la question de Neuchâtel « par la renonciation de Sa Majesté le roi de Prusse aux droits souverains que les traités lui attribuaient sur cette Principauté, et au moyen d'engagements contractés par la Confédération suisse, qui sont de nature à répondre à la haute sollicitude du roi Frédéric-Guillaume pour les Neuchâtelois. »

Nous ne rappellerons qu'en passant, que la question de Neuchâtel avait soulevé, en dernier lieu, une question d'étiquette diplomatique, qui ne semblait plus de nos jours, et qui, en effet, fut résolue suivant les progrès survenus dans les mœurs. Dans les derniers siècles, les têtes couronnées n'entendaient pas accorder aux républiques ce qu'on appelait l'alternat, c'est-à-dire

le droit pour un Etat, de placer sa signature en tête, dans les exemplaires des traités expédiés par lui. Or, dans les cinq exemplaires envoyés de Berne aux cinq puissances, le nom de l'habile négociateur suisse figurait précisément au haut de la pièce.

Réclamation de la gardienne séculaire des us et coutumes diplomatiques, l'Autriche appuyée par son émule en cette matière, la Russie. Mais la Conférence, au sein de laquelle siégeaient des représentants moins formalistes, refusa de faire droit à une prétention surannée. Le représentant du cabinet de Vienne eut cependant une consolation, celle de faire une réserve dans le protocole final, contre tout précédent qu'on voudrait tirer de l'alternat accordé à la Suisse en cette circonstance.

L'affaire de Neuchâtel une fois vidéo, la Confédération put s'occuper, comme par le passé, de ses affaires intérieures. Au mois d'octobre elle procéda aux élections générales pour le renouvellement des conseils fédéraux. Presque partout on réélut les anciens députés. D'où la conclusion, que le pays n'était pas mécontent de la manière dont ses intérêts avaient été sauvegardés durant les conjonctures que l'on avait eu à traverser. Cette réélection témoignait que l'opinion publique répondait à l'esprit des conseils fédéraux, c'est-à-dire le radicalisme modéré. Bien qu'on ne se dissimulat point que l'habileté du docteur Kern n'avait pas seule amené le roi de Prusse à transiger sur ses droits, on récompensa cependant par le titre d'ambassadeur à Paris, où il allait remplacer M. Barmann, son ingénieux dévouement. Vers la fin de l'année, des négociations étaient entamées entre le gouvernement français et le conseil fédéral, à l'effet de conclure entre les deux pays un traité de garantie réciproque de la propriété littéraire.

Pour se mettre en règle au point de vue constitutionnel, le conseil fédéral eut recours à un biais, attendu la compétence cantonale en cette affaire. Le projet de traité serait transmis aux cantons avec demande s'ils seraient disposés à charger le conseil fédéral d'entrer en négociation sur sa teneur, sauf ratification, et sous le mérite de leurs vœux et de leurs propositions de modifications du projet.

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