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A ces paroles plus éloquentes qu'elles n'étaient politiques, le chef du cabinet, M. de Cavour, répondit d'abord, ce qui était juste, attendu le vague inhérent à des discussions trop générales, qu'il ne savait pas trop sur quoi portaient les interpellations. Abordant cependant les points envisagés par M. Brofferio, il déclara que la condition triste, anormale de l'Italie avait été proclamée dans le Congrès et reconnue par les puissances, qui avaient conseillé à un souverain italien d'améliorer le sort de son peuple. Mais nul n'avait pu penser que de tels conseils devaient être appuyés par la force armée. Et M. de Cavour ajoutait avec une haute raison, « qu'il eût été monstrueux que des puissances à peine sorties d'une grande guerre, dont elles avaient renoncé à poursuivre les avantages, songeassent à entrer dans une autre guerre, à l'occasion de la condition intérieure d'autres Etats. » Il fallait donc attendre le résultat des négociations diplomatiques. Mais l'Angleterre s'était rapprochée de l'Autriche? Oui, dans une question toute spéciale; et rapprochement ne signifie pas alliance. «Quant à nous, nous avons marché d'un pas ferme dans la mème voie, depuis que nous sommes arrivés au pouvoir. Nous avons démontré que la condition de l'Italie était digne d'exciter les sympathies, que les Italiens sont en état d'être régis par la liberté, et nous n'avons rien négligé dans l'intérêt de la dignité et de l'indépendance de la nation. » Après ces paroles, qui résumaient en effet sa conduite, le chef du cabinet passa aux faits particuliers. S'agissait-il du mouvement sicilien, il ne craignait pas de déclarer que ce n'était pas le Gouvernement qui encouragerait jamais « des mouvements incomplets, des tentatives révolutionnaires insensées. Nous entendons tout autrement la régénération de la patrie, et notre politique sera toujours franche et loyale. Tant que nous serons en paix avec les Etats italiens, nous n'aurons pas recours à des moyens révolutionnaires; avant d'enflammer et d'exciter ces révolutions, nous déclarerions la guerre. » Toute la politique du président du Conseil était dans ces paroles.

« Je dois ici, continuait M. de Cavour, une confession sincère à la Chambre en politique, je ne crois pas aux prophéties; je n'en ai jamais fait. L'histoire moderne est là pour nous apprendre que

les événements surgissent en dehors de toute prévision. Faire des hypothèses est inopportun et ridicule. Veut-on connaître nos principes? Point de difficulté : depuis que Victor-Emmanuel est monté sur le trône, le Gouvernement a toujours cherché à développer les libertés à l'intérieur, et à l'étranger le plus grand bien de l'Italie. Voilà les principes qui nous ont fait participer à la guerre, qui nous ont guidés dans les Conférences, et que nous garderons à l'avenir. Mais de grâce, dites-vous, où sont les avantages? Les voici: Si la guerre et le Congrès n'ont pas donné des résultats matériels à l'Italie, ils lui ont donné du moins un immense avantage moral. » Et le ministre rappelait qu'au delà des Alpes, l'Italie était jugée très-sévèrement; témoin à cet égard l'opinion d'un Byron, d'un Macaulay. La politique suivie par le Piémont et la part qu'il avait prise à la guerre et aux conseils de l'Europe avait modifié la manière de penser à cet égard. « J'en appelle sur ce point à la presse libérale de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, et aux opinions de ceux qui ont parcouru l'Europe dans ces derniers mois. Aujourd'hui le nom d'Italien, de Sarde est au delà des Alpes un objet d'estime et de sympathie pour tout cœur généreux ; celui qui n'a foi que dans la force brutale, peut se rire d'un tel résultat comme étant peu de chose, mais il n'en sera pas de même de celui qui a foi dans le progrès, dans l'opinion, dans la force des idées. » Et M. de Cavour terminait ainsi : « Dans le Congrès de Paris ont été jetées des semences qui seront fécondées par le temps et par les vertus des Italiens. » Il eût été difficile au chef du cabinet d'être bien explicite dans sa réponse, mais elle suffisait pour prouver que sa politique était restée la même et n'avait pas démérité de la confiance de l'Italie.

Un député, M. Mamiani, qui abondait dans le sens de M. de Cavour, proclama avec la chaleur qui lui était propre les résultats obtenus par la politique du président du Conseil. La Chambre des députés ne s'en écarta pas, quand elle donna au Cabinet un bill d'indemnité pour son ordonnance sur les fortifications d'Alexandrie. Il avait pris sur lui de décider que cette place serait mise en un meilleur état de défense. A M. Solaro della Margarita, qui avait combattu le projet,

attendu que « si cela ne devait pas servir pour l'émancipation de la haute Italie, c'était de l'argent dépensé en pure perte, et que mieux vaudrait se concilier la confiance de l'Autriche, M. de Cavour avait répondu, que la pensée consistant à considérer les fortifications d'Alexandrie comme indispensables à la défense de l'Etat était une pensée déjà ancienne. Outre que tel avait été le projet du roi Charles-Albert, il y avait eu avant la Révolution française des fortifications à Valenza, à Tortona, à Alexandrie... Si les fortifications d'Alexandrie étaient inutiles (comme le prétendait le préopinant), pourquoi l'Autriche les avait-elle abattues? Par esprit de destruction peut-être? Oh! non; l'Autriche est une puissance trop conservatrice. « Avant toute chose, nous devons compter sur nos propres forces. Ce n'est qu'alors que l'assistance étrangère pourra n'avoir pas de fatales conséquences. Après une brave résistance toute nationale, l'assistance étrangère ne sera pas une humiliation, elle sera peut-être un moyen de réaliser de grandes choses. Pour résister, il est nécessaire de fortifier Alexandrie. » Comment l'Autriche pourrait-elle accuser la Sardaigne de fortifier cette place, elle qui avait dépensé des millions à fortifier Vérone, Goïto, le Mincio et Plaisance? Et M. de Cavour ajoutait avec grand sens, qu'il y avait entre Plaisance et Alexandrie, cette différence que Plaisance était sur le sol d'autrui. En fortifiant cette place, l'Autriche violait les traités et provoquait la Sardaigne, puisque ces ouvrages étaient évidemment dirigés contre elle.

Le chef de la gauche avait reproché au ministre de la guerre d'avoir procédé par ordonnance, reproche d'autant plus plausible, que le Cabinet venait précisément de présenter un projet de loi en vue de transférer à la Spezia le port militaire de Gênes. C'est par où le ministère Cavour prêtait en cette circonstance le flanc à la critique. M. de la Marmora avait expliqué de son mieux cet acte du cabinet : Si l'on ne s'était mis immédiatement à l'œuvre, au lieu d'avoir les fortifications terminées cette année, on ne les aurait eues que l'année suivante: cent six voix contre quatorze voix de minorité seulement avaient pourtant absous le cabinet que présidait M. de Cavour.

Des motifs tout à fait analogues à ceux qui l'avaient guidé

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dans son projet de fortifier Alexandrie, portèrent le Gouvernement à proposer, cette fois régulièrement, la translation de la marine militaire de Gênes à la Spezia, dont le golfe forme un des plus beaux bassins du monde; il se compose de sept ports parfaitement abrités et qu'il est facile de défendre. Le projet qui tendait à y transférer la marine et à y établir un arsenal maritime ne soulevant pas, comme le précédent, une question de droit constitutionnel, ne semblait pas devoir provoquer une forte opposition. Il n'en fut pas ainsi; en cette occasion les députés de Gênes s'unirent à la gauche et à la droite pour en avoir raison. Ou fit valoir les arguments les plus inattendus. C'est ainsi que dans un discours d'ailleurs remarquable par ses sentiments patriotiques, M. Costa de Beauregard émit la crainte que l'Angleterre ne favorisât l'érection de l'établissement maritime projeté, afin de s'en emparer à la première occasion et d'en faire un nouveau Gibraltar. Erreur! répondait M. de Cavour: à en juger par l'impression produite sur le représentant anglais à Turin, je dois dire que l'Angleterre jugeait peu favorablement le projet au reste comment aurions-nous à craindre, ajoutait le ministre, alors même que l'Angleterre aurait l'intention de se rendre maitresse de la Spezia, il est aisé de voir que toutes les puissances de l'Europe s'y opposeraient. L'Angleterre à la Spezia ne menacerait pas Gênes seulement, mais Toulon même, et jamais la France n'y consentirait. La France dépenserait son dernier écu et son dernier homme avant que d'y souscrire, et l'Angleterre ne pourrait l'espérer qu'au prix des plus grands sacrifices, et à la suite d'une paix signée, non pas sur le Rhin ou sur le Pô, mais sous les murs mêmes de Paris. Aucune puissance n'avait d'ailleurs communiqué d'observation à ce sujet.

Cet établissement, disait un autre orateur, M. Solaro della Margarita, fait sourire non-seulement l'Angleterre, mais aussi la France et l'Autriche. M. de Cavour venait de répondre en ce qui touchait l'Angleterre; quant à la France, ajouta-t-il, je ne saurais dire si elle approuve ou non notre projet. Je crois même qu'elle ne s'en préoccupe pas; mais à supposer qu'elle s'en occupe, vu l'amitié qui existe entre les deux gouvernements, vu l'intérêt que la France doit avoir à ce que le Piémont soit fort, je pense

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