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que la France ne doit pas le regarder de mauvais œil, non pas, comme dit M. Solaro, parce que cela doit nous affaiblir, mais parce que c'est là un puissant moyen de développer une marine qui lui sera difficilement hostile, et dont le concours, le cas échéant, ne serait pas à dédaigner. Mais l'Autriche ? M. de Cavour ignorait, il le déclarait, comment elle envisageait le projet; seulement il doutait qu'une mesure qui ferait du bien à la marine sarde, donnåt une grande satisfaction à M. de Buol; mais si cela était il ne s'opposait pas, disait-il, « à ce que M. de Buol fût content. »

De la question politique, le président du Conseil passa à la question économique et financière; il fit ressortir avec la plus grande lucidité la nécessité de pourvoir aux établissements militaires indispensables à la marine à vapeur, ainsi qu'aux exigences de la marine marchande, et prouva l'impossibilité d'atteindre ces résultats tant que les deux marines seraient entassées pèlemêle dans le port de Gênes.

Le ministre ne reculait pas devant l'argument tiré du sort que cette dernière ville éprouverait à la suite de la translation. Mais, selon lui, il reposait sur une fausse appréciation des faits, et sur le désir de conserver des murs et des constructions qui n'étaient plus en rapport avec les progrès du siècle. Il avait la confiance que lorsque l'œuvre serait achevée; que les Génois verraient s'établir à peu de distance de leur ville un magnifique bâtiment, et qu'aux établissements commerciaux de leur port viendrait se joindre un dock, ils reconnaîtraient que ceux qui prenaient le plus de soin de leur gloire, c'étaient ceux qui proposaient la translation à la Spezia. Financièrement elle contribuerait à la richesse nationale. L'argumentation du chef du cabinet triompha de nouveau cette fois, et la translation fut décidée, par 94 voix

contre 54.

Il était aisé de voir par les discussions mêmes des chambres que les relations entre le Piémont et la cour de Vienne étaient tendues. Vers l'époque où le Parlement était saisi des questions dont on vient de faire connaître la solution, éclatait entre les deux cours legrave incident dont nous avons fait connaitre ailleurs (Autriche) les causes et qui aboutit à une rupture des relations diplomatiques.

Le voyage de l'empereur François-Joseph en Italie en fut l'occasion. Des blessures d'étiquette en avaient été le prélude. La cour de Vienne n'avait pas répondu à la notification de la mort des deux reines. Survint l'excursion de l'Empereur au delà des Alpes. La presse sarde n'éclata point, comme on l'espérait à Vienne, en éloges et en accents d'enthousiasme; elle s'exprima même en termes qui pouvaient ne pas être de bon goût, mais ainsi le voulait la liberté dont on jouit dans le Piémont. Le Gouvernement autrichien se plaignit en circulaires et notes d'abord; puis il menaça, enfin il s'irrita et rappela M. de Paar, son envoyé à Turin. On a vu (Autriche) dans quels termes s'exprimait M. de Buol. A sa première et longue note en date du 10 février, dans laquelle il articulait les griefs dont l'Empereur prétendait avoir à se plaindre, M. de Cavour répondit le 20 février, dans une dépêche adressée au marquis Cantono de Ceva, chargé d'affaires du Piémont à Vienne. M. de Buol se plaignait de la presse piémontaise: M. de Cavour n'hésitait pas à admettre, non-seulement, comme le disait ce ministre, en confidence, mais publiquement, hautement, ainsi qu'il avait « coutume de le faire, » qu'elle se livrait quelquefois à des excès éminemment regrettables, qu'elle se permettait contre l'Empereur des attaques, que lui, M. de Cavour, condamnait ouvertement; mais ce qu'il croyait en droit de soutenir, c'est que les critiques de la presse contre les actes du Gouvernement autrichien ne pouvaient lui créer de sérieux embarras, et que, quant aux attaques contre l'Empereur, il serait aisé de les faire cesser en se servant des moyens que fournissait la législation sarde pour réprimer les délits de ce genre. Comment les journaux qui combattaient la politique autrichienne pourraient-ils entraver l'action du gouvernement impérial, lorsque leur introduction dans les provinces soumises à l'Empire était sévèrement défendue?.. Et M. de Cavour ajoutait que la libre discussion des actes du Gouvernement formait une des bases essentielles du régime politique en vigueur en Piémont, comme dans plusieurs autres Etats de l'Europe. Il ne craignait pas d'affirmer que cette liberté y produisait autant d'avantages et moins d'inconvénients que partout ailleurs. « La paix profonde dont nous jouissons, disait le président du conseil, l'union chaque

jour plus intime du pays et du trône, le prouvent à l'évidence. Quant aux attaques contre l'Empereur, M. de Cavour déclarait loyalement, que non-seulement il répétait à cet égard sa désapprobation complète, mais il exprimait le regret que le gouvernement de l'Empereur ne l'eût pas mis à même d'employer les moyens qui les auraient fait cesser par une répression efficace, puisqu'il y avait dans la législation des dispositions spéciales pour cette catégorie de délits de presse.

M. de Cavour opposait finement à M. de Buol, que s'il était fondé à se plaindre de la violence d'une presse entièrement libre, qui ne pénétrait pas dans les Etats autrichiens, que pourrait-il dire d'une presse soumise à une censure sévère qui ne ménageait pas plus les institutions que les hommes politiques du Piémont et qui cependant y circulait librement ! « En Piémont, si l'attaque est libre, la défense l'est également. L'Autriche attaquée par une partie de la presse, est défendue non-seulement par les journaux qui viennent d'au delà du Tessin, mais aussi par un certain nombre de feuilles qui se publient dans les États du Roi. En Lombardie, au contraire, l'attaque seule est permise... Le ministre de Victor-Emmanuel réfutait ensuite les autres accusations du Gouvernement autrichien: on laissait encourager les doctrines les plus funestes; on laissait saper les fondements du trône et détruire le sentiment monarchique ? Réponse : les résultats obtenus par la politique du Gouvernement démentaient ces accusations. Tout homme de bonne foi qui examinait l'état actuel du pays devait reconnaître que le principe monarchique, ébranlé par les événements de 1848-1849, s'était progressivement fortifié... D'ailleurs, le parti républicain était réduit à l'impuissance. » Ce parti, qui n'était pas sans influence à l'avé nement de Victor-Emmanuel, avait vu tellement décroitre, sous le régime de la liberté, ses moyens et ses forces, qu'il avait dû laisser tomber son organe, l'Italia del popolo, non sous le coup des poursuites et des condamnations, mais parce que le nombre de ses abonnés s'était progressivement réduit. Mais on avait provoqué des démonstrations sur plusieurs points de l'Italie ? -Réponse : défi de citer un seul fait émané du Gouvernement du Roi, tendant à un tel but. Le Gouvernement piémontais

avait appelé l'attention du Congrès de Paris sur l'état de l'Italie et sur la nécessité d'améliorer son sort par des voies pacifiques, ce qui lui avait valu des témoignages de sympathie de la part d'individus appartenant à diverses contrées de la Péninsule. Mais il n'y avait pas là de provocation. L'Autriche elle-même, « tout en ne s'accordant pas sur les moyens, avait reconnu qu'il convenait de modifier l'état des choses en Italie. » Preuve : les actes qui venaient de s'accomplir.

Ainsi répliquait au premier ministre de François-Joseph le président du conseil de Sa Majesté sarde. Et l'on ne peut méconnaître que ce langage était aussi logique que sensé. Il s'accordait avec la déclaration que fit ensuite M. de Cavour du haut de la tribune (le 26 avril). C'était précisément à propos de la translation de la marine maritime de Gênes à la Spezia: on reprochait au chef du cabinet sa politique vacillante, « mais toujours révolutionnaire; » on le blàmait d'avoir, à son retour de Paris, fait concevoir à l'Italie des espérances excessives. « Notre politique, disait le ministre, a été libérale toujours, révolutionnaire jamais... Cette politique que j'ai cherché à faire triompher à Paris n'y a rencontré d'opposition sérieuse que de la part de l'Autriche, et j'ai quitté Paris sans que nos difficultés avec cette puissance fussent aplanies. » Bien inspiré, le cabinet de Vienne eût laissé tomber l'affaire; mais il était irrité, et la colère conseille mal. De là la dépêche de M. de Buol en date du 16 mars (V. Autriche), dont la conclusion était le rappel de M. de Paar, envoyé de l'Autriche à Turin. Lecture à lui faite de cette note, le chef du cabinet sarde n'insista plus. En conséquence (24 mars), ordre à M. Cantono, envoyé de la cour de Sardaigne à Vienne, de quitter cette résidence. Comme M. de Buol, M. de Cavour expliqua dans une circulaire à ses agents auprès des cours étrangères les motifs de la rupture : le ministre sarde était parfaitement en droit de dire que c'était l'Autriche qui avait introduit la querelle. Parmi les autres puissances, la Russie ne fut pas la dernière à manifester son improbation du procédé de l'Autriche. En Angleterre on releva assez justement la coutume encore récente, de rompre au premier dissentiment les relations diplomatiques.

La politique du chef du cabinet sarde n'avait pourtant rien

de bien ambigu. On en trouvait une autre preuve dans ses rapports avec le Saint-Siége. Le voyage du Pape (V. Etats pontificaux) dans le voisinage du Piémont, fournit à M. de Cavour l'occasion de s'expliquer à la tribune sur la ligne de conduite qu'il entendait suivre dans les affaires religieuses du pays, et dans le long démêlé de la Sardaigne constitutionnelle avec la cour de Rome. Le Gouvernement avait envoyé complimenter le Pape au moment de son passage, par le chevalier Boncompagni. Interpellation à ce sujet par M. Brofferio il blåma hautement dans la Chambre des députés cette démarche du Gouvernement, et il demanda si elle annonçait de nouvelles négociations en vue d'un concordat; si enfin elle menaçait indirectement la liberté de conscience et la liberté de la presse qui en peu d'années avaient pris racine dans le pays. C'était donner à une marque de déférence envers le souverain d'un pays limitrophe une portée assurément exagérée. Ainsi l'expliqua M. de Cavour. En même temps il donna de nouvelles assurances de son respect pour la liberté de la presse; il se défendit aussi de toute négociation nouvelle avec la cour de Rome au sujet d'un concordat. M. Brofferio avait fait allusion à l'exécution des lois concernant le mariage: le chef du cabinet répondit que ces lois seraient exécutées jusqu'à ce qu'elles fussent régulièrement réformées. Autre question de politique étrangère, quoique d'assez mince sujet : la Sardaigne, qui prétendait quelques droits à la possession de Menton et de Roquebrune, occupait ces deux communes depuis 1848. Elle prétexta de ce que ses habitants se plaignaient de l'absence continue du souverain et des abus d'autorité qu'elle entraînait. Cela ne suffisait pas, le dernier motif surtout, pour justifier une occupation; car si l'on s'arrêtait aux abus d'autorité, que de pays seraient occupés par leurs voisins! Au Congrès de Paris, le représentant de l'Autriche, M. de Hübner, avait argumenté de l'occupation des deux communes, pour atténuer l'existence du même état de choses dans les légations. La discussion était pendante, malgré les offres faites de part et d'autre: M. de Cavour ayant bien d'autres affaires sur les bras.

La Perse avait pris pied, diplomatiquement parlant, en Europe. Elle conclut avec la Sardaigne également (26 avril) et par son

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