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données au nouveau Gouverneur Cumming portaient que l'on n'interviendrait dans les questions religieuses qu'autant qu'elles amèneraient à leur suite une violation de la Constitution. Mais Brigham Young ne tarda pas à manifester ses sentiments dans une proclamation où il déclarait « qu'il maintiendrait son pouvoir par la force. Des actes d'hostilité suivirent ce manifeste. On pouvait d'autant moins douter des intentions de Brigham, qu'au rapport de M. Buchanan il s'était, dans ces dernières années, activement occupé d'amasser et de fabriquer des armes et des munitions de guerre, et de dresser les Mormons à la discipline militaire. Il intrigua aussi parmi les tribus indiennes, en vue de les exciter contre les Etats-Unis. Enfin, il annonça au major Van Vliet, chargé d'acheter des provisions dans l'Utah, qu'il se retirerait dans les montagnes et y défierait toutes les forces du Gouvernement. Pure forfanterie, peut-être; mais cette première rébellion dans les territoires de l'Union devait être aussi la dernière, selon le Président de la République : «Nous devons nous rendre là avec une force assez imposante, pour convaincre ces populations abusées que toute résistance serait vaine, et épargner ainsi l'effusion du sang. » Ainsi parlait M. Buchanan : c'était un langage digne d'une grande nation.

Pendant que les Mormons gardaient, vis-à-vis du Gouvernement fédéral, cette attitude menaçante, le flibustier William Walker s'agitait sur un autre point. Le 14 novembre il se rendait de Mobile vers la rivière Colorado. Le vapeur Fashion, sur lequel il était monté avec deux cents hommes, put passer, en plein jour, devant la corvette fédérale Saratoga qui ne s'attendait à rien, et débarquer ainsi à Punta-Arenas. Ses hommes étaient armés d'une manière qui n'avait rien de rassurant. Mais, le 8 décembre, le commodore Paulding qui, de la frégate Wabash où il avait son pavillon, avait pu voir s'échapper Walker masqué par un brouillard, arriva avec le Saratoga et le Fulton sur le même point où, avec quatre cents marins, il se disposa à bombarder les aventuriers. Walker se le tint pour dit, et se rendit prisonnier avec ses compagnons. Toutefois le commodore le laissa partir après qu'il eut donné sa parole de se constituer prisonnier à New-York. La conduite du vainqueur, si rapide et si énergique

d'ailleurs, ne fut pas approuvée par les États du Sud, qui la qualifiaient d'illégale, et, suivant son habitude, une fois le danger éloigné, Walker se plaignit dans le même sens au Président des États-Unis. N'était-il pas, disait-il, lui Walker, le premier magistrat du Nicaragua? C'était donc le droit international que le commodore avait violé en sa personne. Le Président, tout en reconnaissant que M. Paulding n'avait pas le droit de débarquer des troupes sur le territoire du Nicaragua, déclara que les flibustiers n'avaient eu que ce qu'ils avaient mérité. Cette déclaration, faite au Sénat, concordait parfaitement avec les termes du Message du 8 décembre dans lequel M. Buchanan, s'appuyant sur l'acte de neutralité du 20 avril 1818, en inférait le droit, pour le gouvernement de l'Union, d'employer néanmoins les forces de terre et de mer pour empêcher toute formation d'expédition de ce genre, et arrêter toute entreprise analogue dans les limites, circonscription et juridiction des États-Unis. En conséquence, ordre aux officiers de terre et de mer de se tenir sur leurs gardes et de faire tous efforts pour le strict accomplissement de l'acte de 1818. Mais, malgré ces précautions, l'expédition qui venait d'aboutir si malencontreusement, avait pu s'échapper des limites du territoire de l'Union. Ce grave sujet avait été recommandé par le Président à la sérieuse attention du Congrès.

Des questions intérieures presque vitales se disputaient en même temps l'attention du pays, du Gouvernement et de la législature. Comme dans nombre de contrées, une crise financière et commerciale redoutable venait d'éclater, et devait prendre ici des proportions plus considérables que partout ailleurs, puisqu'ici le Gouvernement central se tient, en général, à l'écart de la spéculation privée qui, se sentant moins surveillée, y est aussi plus aventureuse.

Comme il arrive presque toujours, le principe de la crise universelle c'était la récolte insuffisante en Europe pendant plusieurs années, devenue le point de départ de la spéculation à outrance avec laquelle les contrées transatlantiques avaient à compter actuellement, et qui engloutit d'innombrables fortunes. L'Ouest en particulier, ayant vu des récoltes successives lui verser d'abondantes ressources, il en résulta une augmentation de la va

leur du sol sur laquelle on agiota pour ainsi dire, et puisqu'on s'enrichissait, on demanda à l'Europe le trop plein de son industrie, et les ports de l'Atlantique, Boston, New-York, Philadelphie, intermédiaires de ces transactions, de faire de gros bénéfices, de s'enrichir. De là l'accroissement inattendu et jusqu'au double, des importations en 1856. Mème progression dans les exportations. Et le commerce américain d'oublier que cette situation prospère avait pour principe, ce qui ne pouvait pas être éternel, l'insuffisance des récoltes sur d'autres points du globe. Et pour comble de sécurité, nul embarras ne s'était trahi jusqu'alors dans la circulation monétaire, l'or de la Californie y aidant. On ne songeait pas que si, en Europe, en France, en Angleterre, en Belgique, la récolte suffisait enfin aux besoins de la consommation, on ne recourrait sans doute plus aux céréales transatlantiques; et l'on continuait d'importer sans compter. De là un soudain encombrement de marchandises qui devait, au premier aspect, aboutir à l'avilissement des prix. Mais le commerce se maintint à la hausse, comptant sur un point d'arrêt purement temporaire, et, pour se soutenir sur ce pied où chacun faisait assaut de persistance, on recourut au crédit en attendant les demandes des consommateurs, d'autant plus que l'Angleterre, privée de faire le commerce dans l'Inde, continuait de chercher des débouchés en Amérique. Mais, en attendant que le mouvement commercial reprit son ancien essor, on s'adressait aux banques, et celles-ci ouvrirent au commerce des facilités qui bientôt tournèrent contre elles. Encaisse et capital se trouvèrent dépassés par les demandes. Ajoutez que les banques, pour ne pas laisser inactifs les dépôts qui leur étaient faits, escomptaient au commerce, à d'assez longues échéances, des sommes qui étaient parfois immédiatement exigibles. Ces opérations avaient pu être sans danger en 1855 et 1856, il n'en fut pas de même en 1857 : les 122 millions avancés cette année (août) au commerce, ne pouvaient évidemment plus représenter un cours régulier d'opérations. On était désormais sur le terrain des transactions hasardeuses, et le commerce était entraîné sur la pente la plus dangereuse par les facilités mêmes qui lui étaient offertes. Les chemins de fer n'avaient pas été plus prudents: en

er

juillet cinq compagnies étaient débitrices d'environ 12 millions de dollars. Il est vrai que leur capital s'élevait à un chiffre (120 millions) comparativement rassurant. Et ces 12 millions se trouvaient en face des avances énormes faites au commerce par les banques. Ainsi, ces deux mouvements parallèles, les émissions des banques et les obligations des compagnies de voies ferrées qui s'échangeaient contre dépôts de titres (les placements dans les chemins de fer ayant été fréquents et recherchés par la spéculation anglaise), tout cela se trouvait en présence sur la place, et dépendait du premier choc qu'un manque de confiance pouvait imprimer à la situation. En résumé, le commerce avait trop importé, les banques avaient trop avancé, et les chemins de fer avaient trop accru leur dette flottante. Voici maintenant ce qui s'ensuivit. Pendant que les importations atteignaient (1o septembre), pour les mois écoulés, jusqu'au chiffre de 166,333,286 dollars, les exportations étaient descendues à 47,098,902 dollars de 52,725,509 même monnaie, qu'elles avaient atteints dans la même période de 1856. Avec quoi se solderait cette différence? Avee des céréales? Mais l'Europe n'en demandait point. Évidemment on ne pouvait plus payer qu'en argent. De là une situation extrêmement tendue et qui dut se résoudre en des chiffres inquiétants. On évaluait à deux milliards la somme due vers la fin de l'année par l'Amérique à l'Europe. Rareté de l'argent, diminution des recettes des chemins de fer qui n'avaient plus de grains à transporter, spéculations à la baisse sur leurs actions, tout cela se succéda ou survint simultanément, et les désastres ne se firent plus attendre. On sait comment procèdent les sinistres commerciaux pour ainsi dire solidaires entre eux. Après la suspension de paiements de l'Ohio life Insurance and Trust company de Cincinnati, ce fut au tour d'autres maisons et banques considérables et jusque-là renommées. Philadelphie, Baltimore, puis les localités et États voisins furent atteints. Toutefois il y eut des exceptions, parmi lesquelles les banques de la Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis du Missouri, tenues par leurs règlements à avoir un encaisse de nature à garantir leurs opérations. C'est qu'en général le Sud était prospère tandis que le Nord, presque tout entier, fut entraîné. New-York tenait bon.

Les banques faisaient des efforts pour soutenir leurs succursales, mais le nœud de la situation pour elles se trouvait dans la loi qui édictait que la suspension des paiements en espèces par une banque devait être suivie de la liquidation. Alors, aux termes de la Constitution de 1846, nulle excuse possible de la part du Congrès. Il fallait donc (il y allait de l'existence) augmenter l'encaisse et diminuer les affaires. C'est ce qui arriva : on n'admettait plus que peu de papier, à courts délais et à un intérêt excessif: 2 et 2 112 p. 100 par mois. Partant, diminution inouïe d'affaires et de crédit. Les céréales de l'Ouest, malgré une bonne récolte, ne se vendaient pas, vu l'absence de numéraire. Leur extrême prudence tournait donc cette fois contre les banques elles-mêmes. Il n'y avait plus qu'un moyen, un remède, et il était extrême : c'était de forcer les banques de New-York à suspendre leurs paiements. En effet, par suite d'une résolution adoptée par les présidents de ces établissements, les remboursements en espèces cessèrent aussitôt temporairement; et, pour se mettre en règle avec la législation, on adressa au Gouverneur une pétition à fin de convocation d'une législature extraordinaire en vue d'une suspension de la disposition qui exigeait une liquidation immédiate. L'exemple fut suivi par la plupart des banques de l'intérieur, même celles de la Nouvelle-Orléans. Cette mesure jugée extrême, et critiquée par quelques-uns, contribua cependant à éclaircir l'horizon financier. Seulement elle arrivait trop tard. Le dehors, l'Angleterre en particulier, avait ressenti le contrecoup des désastres américains, et l'élévation à 8 p. 100 du taux de l'escompte de la Banque de Londres n'était pas de nature à rétablir les affaires. De là de nouveaux sinistres. Cependant, grâce à l'abondance des récoltes et, partant, à la possibilité, pour les agriculteurs, de se libérer en nature, ce qui permettait à leurs créanciers de payer à leur tour, les affaires reprirent insensiblement leur cours. D'ailleurs, en ce commun danger, le commerce se relâcha de sa rigueur habituelle. New-York donna l'exemple (14 décembre); les banques de cette cité reprirent leurs paiements, et les autres établissements financiers en firent bientôt autant. Durant cette crise presque inouïe, le trésor public n'avait pu venir en aide à la situation que dans la mesure

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